Durant
l’année écoulée, les ménages sénégalais ont consommé, en moyenne, à Dakar comme
à l’intérieur du pays, une sardinelle (Yaaboy en Ouoloff) par jour contre deux
à trois, il y a cinq ans, du fait de la rareté de ce petit pélagique très
prisé.C’est ce que révèle une enquête de Jade/Syfia, réalisée en novembre et
décembre dernier auprès des ménages, mais également des pêcheurs artisans, des
mareyeuses, petites vendeuses de poisson et Instituts de recherche.
Consommé
par une écrasante majorité de la population à faibles revenus, le Yaaboy a
toujours été en tête du top trois des petits pélagiques (sardinelle, chinchard,
maquereau, pagre, etc.). Ces pélagiques fournissent aux Sénégalais 70 % de leur
besoin en protéine animale pour leur sécurité alimentaire, selon une étude du
Centre de recherche océanographique de Dakar Thiaroye ( Crodt ) de l’Institut
sénégalais de recherches agricoles (Isra). Pour bon nombre de femmes
interrogées en ville et en campagne, le Yaaboy a deux atouts majeurs.
Savoureuse, la sardinelle a, en effet, un goût particulier qui permet de
relever la sauce qui fait cuire le riz au poisson, le fameux ‘thiéboudieune’
des Sénégalais.L’autre avantage de ce pélagique, c’est son accessibilité et sa
forte présence sur les étals de tous les marchés du pays avec des prix
abordables variant entre 300 et 500 francs Cfa le tas de cinq unités de Yaaboy
pesant un kilo environ.
Aujourd’hui,
tout a changé. La sardinelle est devenue rare, les sous-produits transformés
aussi. ‘Il y a 5 ans, j’achetais à 400 F cfa un tas de 5 unités de Yaaboy
frais. Actuellement, ce prix a doublé pour la même quantité’, explique Madame
Fatim Ndiaye, ménagère, rencontrée, mi-décembre, au marché de Diourbel (150 km
Est Dakar). Ce jour-là, les discussions avec les vendeuses de poisson étaient
âpres. ‘J’ai 75 F cfa et je veux un Yaaboy’, chuchote discrètement une cliente.
‘Impossible ! La caisse, venue de Kayar (quai de pêche artisanale distant de
200 km de Diourbel, Ndlr), me revient à 10 000 F cfa’, répond sèchement Fatou
Sène, assise derrière son étal.
Guedj
et Kéthiakh pour les ‘recalés’ au Yaaboy
Au
Sénégal, la consommation de poissons est de 28 kg/hbt/an en moyenne. Mais la
rareté de ce pélagique, due à sa surexploitation et sa cherté sur le marché, a
fait que les ménages à faibles revenus se tournent vers la consommation de
poissons transformés, comme le Guedj (poisson fermenté de toutes espèces, salé
et séché) et le Kéthiakh (Poisson, (sardine et sardinelle), braisé, salé et
séché).
Malheureusement,
ces sous-produits qui devraient constituer une alternative au manque de Yaaboy
ont suivi la tendance haussière des prix du poisson. C’est ainsi que, aujourd’hui
à Joal, un panier de 50 kg de Kéthiakh coûte 15 000 F cfa, celui contenant du
Guedj 25 000 F cfa. ‘Autrefois, je cuisinais 4 fois par semaine du riz au
Yaaboy que j’achetais à 500 F cfa le tas. Cela me permettait de préparer un
grand déjeuner familial à midi et un dîner restreint. Aujourd’hui, avec la
hausse des prix des denrées de première nécessité (huile, riz, et légumes),
cela n’est plus possible. Avec la même somme qu’avant, je suis contrainte
maintenant de réserver une partie de ce repas de midi pour le soir’, confie,
non sans pudeur, Marie Anna Sèye, une mère de famille habitant le quartier de
Taïba Grand Dakar.
Au
marché de Diourbel, madame Khady Niang, vendeuse de Kéthiakh récupère les
‘recalés’ au Yaaboy qui se tournent vers elle. Deux petits morceaux de Guedj à
200 F cfa et une mince poignée de Kéthiakh à 50 F cfa suffisent à une de ces
clientes pour préparer son déjeuner. ‘Un panier de Kéthiakh coûtait, il y a
cinq ans, 7 500 F cfa, celui du Guedj à 8 000 F cfa’, témoigne la vendeuse.
Elle fait remarquer que la consommation des ménages en poisson et sous produits
transformés a beaucoup diminué ces dernières années. N’empêche, Khady est
obligée d’aller jusqu’à Joal, berceau du Yaaboy transformé, pour
s’approvisionner en paniers de Kéthiakh et Guedj vendus aujourd’hui
respectivement à 15 000 et 25 000 F cfa.
Des
pêcheurs endettés
A
Joal (114 km au Sud de Dakar), un des plus importants quais de débarquement de
la pêche artisanale, 180 000 t de sardinelles ont été pêchées en 2009. L’année
suivante, cette production a baissé pour atteindre 130 000 t. En 2011, la
situation risque encore de s’aggraver et de toucher même les espèces
démersales, comme le thiof (mérou blanc), le requin, etc qui se nourrissent de
Yaaboy. Conséquences, dans ce secteur de la pêche artisanale, les revenus ont
diminué de moitié. ‘De 15 milliards de F cfa en 2009, les revenus de la pêche à
la sardinelle sont tombés entre 7 et 8 milliards de F cfa’, confirme Abdou
Karim Sall, coordonnateur des Aires marines protégées ( Amp ) de Joal/Fadiouth.
Cette crise dans la pêche artisanale entraîne des difficultés jusque même dans
les foyers des pêcheurs, obligés parfois de s’endetter pour nourrir leur
famille.
Pour
Bathie Dieng, mareyeur depuis 35 ans à Mbour et spécialisé dans la vente de
sardinelles à l’intérieur du pays et dans la sous-région, les prix du Yaaboy
ont augmenté. Ils sont actuellement à 600 F cfa le kg, contre 300 F cfa il y a
cinq ans. Mais, compte tenu de la pauvreté en milieu rural, difficile de vendre
ce poisson à ce prix. ‘Aujourd’hui, il nous faut une semaine pour écouler un
camion de sardinelles à Tamboucounda (460 km au sud est de Dakar) où il n’y
avait pas de problème de vente, il y a cinq ans’, explique M Dieng debout au
milieu des quais de débarquement de sardinelles presque vide.Du côté des femmes
transformatrices de Joal, celles-là qui règnent en maître dans ce métier, la
crise de la sardinelle les a aussi frappées de plein fouet. A notre passage, il
n’y avait presque pas de Ketiakh sur les tables de séchage.
Les
pays riches mangent les protéines des pauvres
Selon
plusieurs observateurs, la présence, depuis mars 2010, de chalutiers étrangers,
les bateaux russes notamment, serait à l’origine. Au Sénégal, cette affaire des
chalutiers étrangers avait défrayé la chronique en 2011. Tous les acteurs de la
pêche (marins, mareyeurs, transformateurs, pêcheurs industriels et artisans)
avaient fermement dénoncé les autorisations de pêche accordées sans
transparence à ces chalutiers étrangers. Des marches de protestations,
violemment réprimées, avaient été organisées au port de Dakar, ainsi qu’à
Mbour, Joal et Kayar, les principaux quais de débarquement de la pêche
artisanale. Le Groupement des armateurs et industriels de la pêche au Sénégal (
Gaipes ) était monté au créneau pour parler de ‘pillage des ressources’ et de ‘pêche
illégale’. Cette présence des chalutiers dans les eaux sénégalaises, un
chercheur du Crodt la résume éloquemment en ces termes : ‘Les pays riches
viennent chez nous pour prendre le Yaaboy qui est la plus importante protéine
animale des pauvres au Sénégal.’
Abdoulaye
Guèye, Secrétaire général du Comité local des pêcheurs de Ngaparou, près de
Mbour, regrette que les 50 000 tonnes de petits pélagiques pêchées l’année
dernière par les chalutiers russes, à raison de 15 F cfa pour chaque kilogramme
de poisson capturé constituent une perte énorme pour l’économie sénégalaise.
Selon M. Guèye, si ces captures de petits pélagiques étaient pêchées,
débarquées et transformées dans le pays, l’Etat aurait pu, en termes de
taxation et de valeur ajoutée locale, en tirer grandement profit.
Sur
la base d’informations recueillies de la bouche du directeur des pêches, ce
petit pêcheur sénégalais a réussi à faire ses petits calculs. ‘L’Etat vend aux
bateaux russes une tonne de pélagiques à 35 dollars, soit 15 750 F cfa/t. Paradoxalement,
les mêmes espèces, pêchées par les Sénégalais et revendues aux usines
installées à Dakar (avec plusieurs milliers d’emplois, en sus des taxes dues à
l’Etat : Ndlr) reviennent à 150 000 F cfa la tonne, donc dix fois plus chers…’,
explique M. Guèye qui parle d’une perte de plusieurs centaines de millions de F
cfa et du manque à gagner des pirogues de la pêche artisanale qui ciblent ces
espèces mais qui ne les voient plus en mer.
PECHE
ARTISANALE : La rançon du succès
Pendant
de longues années, la pêche artisanale sénégalaise est connue pour son
dynamisme et son expertise. Huit sites de débarquement (Hann, Ouakam, Rufisque,
Thiaroye, Mbour, Joal, Kayar et Kafountine) sur les 718 km de côtes
sénégalaises, permettent d’assurer aux Sénégalais leur sécurité alimentaire en
petits pélagiques, sardinelle notamment. Selon Ousmane Ndiaye, ancien Directeur
des pêches maritimes du Sénégal (Dpm), 450 000 t de poissons ont été débarqués
en 2010 dans le pays, dont 80 % proviennent de la pêche artisanale. Les petits
pélagiques constituent la plus accessible source de protéine pour les
populations les plus pauvres. La pêche artisanale sénégalaise est
principalement une pêche de jour (95 %) fraîche débarquée sur les plages avec
17 500 pirogues recensées en 2011. Les débarquements à Kayar (3e quai de
débarquement après Joal et Mbour) principalement de la sardinelle, représentent
50 000 t/an pour une valeur de huit milliards de F cfa, selon une récente étude
de l’Union européenne (Ue). En 2008, cette communauté a importé plus de 37 000
t de poissons estimés à 184 millions d’euros, soit plus de 120 milliards de F
cfa. Un succès de la pêche artisanale.
Madieng
SECK
4 Commentaires
Xalaas
En Février, 2012 (10:32 AM)Reply_author
En Février, 2023 (14:01 PM)Reply_author
En Février, 2023 (09:18 AM)Mool
En Février, 2012 (10:42 AM)Reuss
En Février, 2012 (11:26 AM)Pour Vous
En Février, 2012 (18:31 PM)La surpêche : un problème global et systémique
Daniel Pauly, biologiste des pêches, est professeur à l’université de la Colombie-Britannique à Vancouver (Canada). Il a reçu en 2005 le prix Cosmos, un grand prix scientifique japonais pour la recherche en écologie. Accueilli en résidence par l’IRD au Centre de recherche halieutique méditerranéenne et tropicale de Sète pendant plusieurs mois, il livre à Sciences au Sud son analyse des questions liées à la surpêche.
Sciences au Sud : Quels constats faites-vous aujourd’hui en matière de pêcheries ?
Dianel Pauly :
Le problème est simple : l’effort de pêche ou la capacité de pêche par rapport aux stocks est démesuré. On observe bien trop de bateaux et d’engins au regard des ressources. Nous attendons de la mer qu’elle nous fournisse toujours plus de poissons, or elle ne peut en fournir plus qu’elle ne le fait actuellement. Mon rôle est d’envisager la question dans une perspective globale. La pêche, ce n’est pas la somme de petits événements dans tel ou tel coin du monde, mais plutôt un système global. La situation est tout à fait similaire à celle des banques à l’heure de la crise. Voilà un an, telle banque avait des ennuis pour une raison donnée tandis que telle autre était en difficulté pour d’autres causes. Désormais, nous nous rendons compte que c’est tout le système qui, par des vases communicants, a transmis une ''maladie''. Dans les pêcheries c’est pareil. Cette transmission se fait par l’intermédiaire des marchés, de flottilles mobiles, du commerce, etc. Concrètement, un pays du Sud qui, souhaitant protéger sa flore et sa faune, déciderait de ne pas faire d’accord de pêche, se trouverait exposé à une pression incroyable en raison de ses stocks alors très abondants. Une telle pression n’étant pas supportable, il y a tendance à un nivellement de toutes les zones de pêche du monde vers le bas. Seuls les pays forts peuvent résister à cela. Par exemple, les États-Unis, en Alaska, ont une très bonne gestion de la pêche. Elle est conservatrice, c’est-à-dire que l’effort de pêche exercé est faible par rapport à la taille de la ressource.
Sciences au Sud : Vous avez tiré la sonnette d’alarme. Pensez-vous avoir été entendu ?
Dianel Pauly :
Je le crois car un changement très fort s’est opéré entre les années 90 et aujourd’hui. La différence est que les problèmes de la pêche ne sont plus perçus comme des problèmes isolés mais bien comme un problème global et systémique. Les ONG ont fait une partie de ce travail de communication auprès du public. Contrairement à la profession qui tente de dire que le problème n’existerait pas si on la laissait faire et si on lui donnait plus de subventions. Mais celles-ci sont ellemêmes un des problèmes de la pêche. Plus on distribue de subventions, plus on permet à la profession d’ignorer le cri d’alarme que les ressources donnent elles-mêmes.
Sciences au Sud : Quel pourrait être le paysage dans 20 ans ?
Dianel Pauly :
Si nous projetons les tendances fortes observées jusqu’ici, nous aurons une catastrophe, à savoir la destruction des stocks les uns après les autres. C’est ce qui s’est passé au cours des 30, 40, 50 dernières années. Quand je dis ça, les gens se demandent mais pourquoi est-il si pessimiste puisque jusqu’à présent nous avons du poisson ? Nous ne nous rendons pas compte que nous avons déjà perdu des stocks très importants exploités auparavant et qui n’existent plus. Nous nous sommes adaptés en consommant autre chose. Dans ce scénario et dans 20 ans, la situation fera qu’on aura détruit d’autres espèces, par exemple les thons rouges. Mais nous mangerons du surimi !
Sciences au Sud : Et si les choses changent ?
Dianel Pauly :
Si les choses changent, ma vision de la pêche est alors positive. Je la vois évoluer vers une exploitation des stocks ainsi reconstruits, la biomasse ayant augmenté, et l’effort de pêche au niveau industriel ayant donc diminué. Je vois les pêcheurs artisanaux encouragés à produire du poisson de bonne qualité et pêché selon des méthodes sélectives. Dès que nous allons sortir de cette crise économique, il y aura à nouveau une flambée du pétrole. Son prix va grimper de telle manière que cela va tuer le système de subventions à la pêche industrielle qui existe maintenant. Il faut savoir que les chalutiers utilisent un poids en carburant supérieur à celui des poissons pêchés… Cela devient intenable quand on atteint un certain niveau de prix du fioul. À terme, ce sera la faillite pour les armateurs qui ont des gros bateaux.
Sciences au Sud : Quelle analyse plus spécifique faites-vous pour les pays du Sud ?
Dianel Pauly :
En plus des problèmes en termes de développement durable, la pêche devient inéquitable. Il y a une dimension éthique qui entre en compte. Cela devient très difficile de penser qu’un aliment, qui était bon marché, qui compensait les carences alimentaires auxquelles sont confrontées les populations dans nombre de pays tropicaux, est extrait des écosystèmes et envoyé ici ou là pour nourrir des porcs, des saumons… ou encore pour être consommé par des gens qui ont d’autres options alimentaires.
Sciences au Sud : Comment orienter les recherches pour répondre aux défis évoqués ?
Dianel Pauly :
Je trouve qu’il y a trop peu de chercheurs qui participent à la production de ''big numbers ». La banque mondiale a besoin de ces grands chiffres qu’on utilise pour décrire le système global. Ce ne sont pas des chiffres qui sont élevés mais des chiffres qui sont globaux, utilisables pour dire quelque chose sur un secteur. La France ou l’Europe participent trop peu aux initiatives globales sur la biodiversité, sur la santé, etc. C’est aux chercheurs de proposer une vision que les autres peuvent exploiter. C’est mon créneau, d’accord, mais je pense que pour entrer dans un débat avec d’autres disciplines, avec d’autres gens, il faut avoir un dénominateur commun. Or notre dénominateur commun, c’est notre planète, pas la France ou l’Europe. C’est en ce sens que nous avons créé la base de données FishBase.
Sciences au Sud : En quoi consiste-t-elle ?
Dianel Pauly :
C’est une base de données sur tous les poissons du monde qui offre des informations sur la biologie des poissons à tous les niveaux et ce, dans nombre de langues. Au début, elle s’adressait aux scientifiques et aux décideurs des pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) et donc relevait d’information sur les poissons commerciaux dont ils avaient besoin pour gérer les ressources. Nous avons étendu le nombre d’espèces de 3.000 à 30.000 et élargi le champ d’application à toute personne intéressée par les poissons.
Sciences au Sud : Comment allez-vous diriger votre propre activité dans les années à venir ?
Dianel Pauly :
Je vais poursuivre la sponsorisation de FishBase et lui trouver des alliés. Et puis il y a la petite soeur de FishBase qui s’appelle SeaLifeBase et qui recense tous les autres animaux marins. Nous en avons répertorié à peu près 100.000 à ce jour. Ce serait bien que l’IRD, par exemple, puisse nous y aider. Enfin, je vais continuer mon projet Sea Around Us. Son ambition est de fournir pour chaque pays des informations à propos de l’impact des pêches sur les écosystèmes marins et ce à grande échelle.
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