![Single Post](https://images.seneweb.com/dynamic/modules/news/images/gen/fb/669496dd11348aa43d380dc48cd92f7430dfe9e4.png)
Il y a un peu plus d’un an, le Sénégal était le théâtre de manifestations sanglantes qui ont causé quatorze victimes. Depuis ces journées tragiques, le Président Macky Sall tente de reconquérir la jeunesse avec plusieurs programmes et initiatives. Mais pour Cheikh Fall, Président des Africtivistes, cela vient trop tard. Il pointe également l’incapacité de Macky Sall à comprendre les aspirations de la jeunesse.
Il y a un peu plus d’un an, le Sénégal avait été le théâtre de manifestations ayant causé quatorze morts. Au-delà des soubassements politico-judiciaires, ces manifestations avaient laissé transparaître le malaise de la jeunesse. Ce malaise est-il toujours palpable d’après vous ?
Permettez-moi tout d’abord de m’incliner devant la mémoire de ces « jeunes martyrs de la démocratie ». Ils ont chacun un prénom et un nom, une famille et des parents. Ils ont été tués jeunes pendant qu’ils exprimaient leur frustration. À ce jour, ils n’ont toujours pas encore été cités par le Président de la République et aucune décision de justice n’est rendue alors que tout le Sénégal garde en mémoire la répression violente et les scènes macabres filmées par les téléphones portables. Au-delà des soubassements politico-judiciaires, il faut comprendre ces manifestations autrement. C’est surtout des journées symboliques d’explosion d’une longue sédimentation de frustration, de colère, d’amertume, de vide, d’injustice et de sentiment de rejet. Une “révolution juvénile” spontanée et virulente que seuls ceux qui sont capables d’une écoute active pourraient décrypter et en tirer des leçons. Je l’ai appelé la révolution d’une démocratie silencieuse portée par une jeunesse citoyenne soif d’un État de droit et d’une justice équitable. Ce malaise est toujours présent et il est cristallisé par : une crise de la démocratie représentative dont les mécanismes électif ne répondent plus aux exigences et à la demande accrue d’une démocratie participative ; un sentiment d’absence de l’État dans certaines parties du territoire ainsi qu’un profond fossé entre une minorité privilégiée par le pouvoir et une grande majorité de la population victime de politique inégalitaire ; une insuffisance d’éthique institutionnelle et de loyauté républicaine des autorités politiques (impunités, tripatouillage, détournement, gabegie et manque de transparence de la gestion des deniers publics …) ; un sentiment de confiscation du pouvoir donnant l’impression de la monopolisation des idées laissant penser qu’une minorité décident à la place de la grande majorité sans leur consentement ou avis.
Quand les aspirations démocratiques dépassent les propositions politiques, cela crée un vide dont se nourrissent les frustrations populaires. Quand la demande de démocratie et de bonne gouvernance des populations dépasse l’offre des acteurs du système administratif, les exigences citoyennes ne peuvent être comprises par les autorités.
“Macky Sall est passé à côté de certaines exigences qui n’ont rien à voir avec la construction d’un aéroport, d’une autoroute ou d’un stade”
Le Président de la République, depuis lors, a mis en place quelques initiatives, de Xeyu Ndaw Yi à récemment Jokko ak Macky. Ces actions suscitent-elles votre enthousiasme, vont-elles dans le bon sens ?
Ce qui est arrivé avec Macky Sall en mars dernier, c’est une preuve qu’il est passé à côté de certaines exigences qui n’ont rien à voir avec la construction d’un aéroport, d’une autoroute ou d’un stade. C’est fort regrettable qu’une telle situation se produise au point d’occasionner la mort de 14 jeunes Sénégalais pour qu’enfin le Président de la République pense à mettre en place des nouvelles initiatives orientées “Politique jeunesse”. Il a fallu qu’il soit à son deuxième et dernier mandat pour lancer Xëyu Ndaw yí. Un simple discours d’annonce d’un réajustement de la politique de jeunesse ou de réallocation de fonds supplémentaires pour l’entrepreneuriat ne constitue pas la véritable réponse à ce malaise. Comprendre cette crise, c’est l’aborder hors de la bulle institutionnelle et sans oeillères partisanes du gain politique. Les jeunes qui sont sortis manifester n’ont pas eu besoin d’un leader, ni d’un mouvement encore moins de l’opposition politique. Ceux qui sont sortis manifester ne sont pas tous des chômeurs ou des jeunes en quête de travail. Les internautes sénégalais qui ont porté #FreeSenegal ne sont pas tous des demandeurs d’emploi. Ceux qui ont jeté des pierres à l’Université ne sont pas que des politiques. La réponse est donc ailleurs et pas que sur Xëyu Ndaw yí.
Parmi les jeunes qui sont sortis défier les forces de l’ordre, il y a ceux qu’il avait traité par le passé d’oisifs errants sur les réseaux sociaux ; ceux dont les frères et les sœurs ont péri en mer en voulant rejoindre l’Europe dans l’espoir d’une vie meilleure; ceux qui n’ont cessé de l’interpeller sur les mesures d’urgence par rapport au phénomène de l’émigration clandestine et le fort prix en vies humaines qu’il coûte à la nation. Il y a surtout ceux qui pensent que la justice serait instrumentalisée et qui n’ont cessé de réclamer leurs « 400 000 F CFA » à son jeune frère Aliou Sall (pour rappel, il a été cité par une investigation de la BBC sur les contrats du pétrole sénégalais). D’une manière ironique, ils font référence à la part de chaque Sénégalais dans les montants avancés dans ce présumé scandale. C’est une aberration que de penser que Xëyu Ndaw yí est destiné à ces jeunes là, à qui il avait promis une gouvernance sobre et vertueuse, à qui il a vendu la théorie de “la patrie avant le parti”. C’est à cette jeunesse-là qu'il a promis de ne faire que deux (2) mandats consécutifs. Ils vont dire oui à Xëyu Ndaw yí parce que c’est pour cela qu’il a été élu et payé par nos soins mais ils l'attendent au tournant sur des questions complètement différentes que celles de l’emploi.
Quant à l’initiative Jokko Ak Macky, je la salue et félicite les initiateurs car toute démarche des autorités visant à briser la glace, à créer des ponts et à instaurer des dynamiques d’écoute, de partage et de co-construction sont salutaires. Cependant, l’organiser en presque fin de mandat me pousse à me poser des questions. J’espère que le format se fait sans filtre et que les jeunes qui sont conviés à cette activité ne le sont pas parce qu’ils seraient du même bord politique et que les conclusions de ces échanges vont aider les acteurs politiques à être plus à l’écoute de la population pour mieux comprendre leurs demandes.
“Écouter sa jeunesse ne correspond pas à la traiter « d’oisif errant » ou de « mafia kacc kacc ». Les jeunes sont dans leur rôle de critiquer les actions du pouvoir public”
On a l’impression qu’il y a une déconnexion voire un malentendu entre Macky Sall et une partie de la jeunesse. On l’a encore vu récemment lors de sa sortie sur les influenceurs et les réseaux sociaux. Qu’est-ce qui explique d’après vous ce décalage entre le Président et sa jeunesse ?
La démocratie est “le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple”, disait Abraham Lincoln. Quand ce peuple est connecté et organise la circulation de l’information à travers le cyberespace, il devient une force de pression, de contestation, de plaidoyer in extenso, une force de participation. Quand ce même peuple composé en majorité de jeunes vit une impression d’abandon et de manque de considération, cela crée forcément un décalage avec l’élite politique. Le monde d’aujourd’hui avec la transformation digitale impose certaines règles à savoir l’accessibilité, l’interaction, l’écoute et le partage d’information.
L’accessibilité : la crise de la démocratie représentative démontre encore une fois une nécessaire transition vers une démocratie participative. Cela ne peut passer que par l’accès des populations aux acteurs des pouvoirs publics avec notamment des mécanismes de participation et de co-construction.
L’interaction : La jeunesse actuelle n’a pas besoin qu’on lui partage tout simplement des informations; elle a besoin de se sentir impliquée et entendue d’où une écoute active.
L’écoute : Écouter sa jeunesse ne correspond pas à la traiter « d’oisif errant » ou de « mafia kacc kacc ». Les jeunes sont dans leur rôle de critiquer les actions du pouvoir public. Les autorités politiques doivent avoir la responsabilité d’accepter les critiques et de trouver des solutions afin de les atténuer.
Partage de l’information : Avec la profusion des fausses informations ainsi que la porte ouverte aux dérives via internet, l’autorité publique doit pouvoir répondre efficacement à la demande d’information. Elle doit surtout apprendre à rebondir sur les différentes interpellations.
“Le Président Macky Sall doit savoir que la jeunesse sénégalaise est de loin en avance sur les acteurs politiques”
C’est une faiblesse notée sur tous ces 4 points qui constitue les causes du décalage entre le Président Macky Sall et la jeunesse sénégalaise. Pendant tout un mandat, il a donné l’impression d’être en colère contre les jeunes et au-delà des discours formels de fin d’année et du 3 avril, veille de la célébration de notre indépendance, rares sont les moments où on le voit s’adresser à la population et aux jeunes. Le Président Macky Sall doit savoir que la jeunesse sénégalaise est de loin en avance sur les acteurs politiques. C’est une jeunesse mature, responsable, républicaine et très patriote. Elle a su démontrer sa maturité depuis plusieurs années et c’est cette maturité qui l’a conduit au pouvoir en 2012. C’est à lui en tant que haute autorité de la République de créer ce lien et de le rendre fluide et c’est dommage qu’on soit obligé de le lui rappeler surtout à la fin de son dernier mandat.
Vous êtes très engagé sur les questions de bonne gouvernance mais aussi de liberté civique. Comment appréciez-vous l’évolution du Sénégal par rapport à ces questions ?
Sur le continent, le Sénégal fait figure d’exemple malgré ces situations déplorables précitées. Sur le plan de la justice, du respect des libertés et de la bonne gouvernance, force est de reconnaître que nous sommes l’un des rares pays où les libertés d’expression et d’association telles qu’elles sont consacrées permettent aux citoyens et mouvements sociaux de s’organiser et d’exercer leur rôle de sentinelles et de vigies de la démocratie. Cela ne signifie pas que ces libertés sont totalement acquises. Tous les jours, nous assistons à : des violations des droits des population ; des rapports d’audits épinglant des institutions de la République ; des cas de corruption ; des manifestations pacifiques et démocratiques réprimées ; des demandes de manifestations ou sit-in refusées ; de longues détentions préventives dans des prisons débordantes ; une série de lois votées et non appliquées ; des journalistes attaqués où même violentés dans l’exercice de leur fonction ; des projets de loi visant à restreindre les droits des citoyens dans l’espace public.
Ce tableau est certes sombre et cela devrait nous interpeller à plusieurs niveaux. Les principes de l'État de droit, la loyauté républicaine, le sens de l’intérêt national ainsi que le respect avec rigueur des institutions doivent guider tout acteur politique et surtout le Chef de l’État.
13 Commentaires
Idéaliste
En Avril, 2022 (20:37 PM)Reply_author
En Avril, 2022 (03:58 AM)Jeunesse Conscient
En Avril, 2022 (20:45 PM)Vertue
En Avril, 2022 (20:54 PM)Sagesse
En Avril, 2022 (20:56 PM)Paco
En Avril, 2022 (21:09 PM)Vivement que les marteaux reviennent...
Fallou Diémé
En Avril, 2022 (22:49 PM)On vous attend sur cette tentative nauséabonde de 3ème mandat illégal et illégitime.
Participer à la Discussion