« Il n'y a de justice que dans la vérité. Il n'y a de bonheur que dans la justice » Emile Zola
Papa Ibrahima Seck est un fils du Saloum. Né en 1953, sur les sillons de sa grand-mère Fatou Daraameh, Papa Ibrahima Seck s’est distingué par un parcours scolaire et universitaire auréolé de succès. Docteur d’Etat ès Lettres et Sciences humaines, Docteur d’Etat en Science politique, Papa Ibrahima Seck était aussi un poète talentueux.
Dans la préface de son recueil de poèmes « Sangomaar » paru chez L’Harmattan en 1993, Edouard Glissant lui rend hommage en ces termes : « [...] La poésie seckienne, sur un ton de confidence qui n’évoque pas d’abord le salon mais le chemin de trace où l’on accompagne un ami, prend donc toujours, ou presque, comme motif le mot. Le jeu de mots, les mots de ce jeu nouveau, où le monde entier surgit et régit... »
Mais il faudra rebrousser chemin jusqu'à Gossas, le royaume d'enfance de Pape Seck, pour saisir les réalités de « son enfance matelot à l’écume des temps », son rapport avec le verbe et les mots concassés qui ont pavé son cheminement poétique.
Témoignant de son affection sans limite pour sa grand-mère Fatou Daraameh, il écrit dans « Sangomaar », p. 17 :
« grand'mère
Ma douce rumeur des Tropiques
tu es la mère la douce mer
qui berce la nuit des étoiles
comme le berger la compagnie du soir »
Pétri des valeurs de civilisations africaines, Papa Ibrahima Seck n’a pas attendu que soit posée la problématique du genre pour honorer la femme. Le premier poème de « Sangomaar » (à la page13) s’intitule Amy Gaye, du nom de son épouse. Amy Gaye n’a pas le même sort que la regrettée Fatou Gaye que le poète endeuillé pleure dans le célèbre poème wolof.
C'est une femme présente à l'ombre de cette grand-mère protectrice du village de Gossas qui a guidé les premiers pas de Papa Ibrahima Seck.
De Amy Gaye, mère de ses enfants Bakary et Bara, Papa Ibrahima Seck dira :
« Je suis à toi
Maintenant que sur notre vie
Rayonne le monde
Je regarde ton sourire moisson
Ta vie belle de patience t’apporte la moisson
La chanson en cascades des jours ensevelis
Je te salue amie à l’horizon du silence
Tu m’as choisi ndiagamaar le sac pur sans attache
Tu m’as offert ta vie dès l’aube sans l’espoir du soleil
Elevant la mienne à la dignité d’amour
Je suis à toi Soppé je suis à toi Fidèle
Car tu m’as choisi la nuit sans l’espoir du jour »
Derrière Amy Gaye, cette grande dame par la taille et par l’âme, qui rappelle les femmes du Mardi de Ndeer, Papa Ibrahima Seck s’est construit un bouclier solide pour affronter les périls de sa vie intellectuelle.
Africain, panafricain et humaniste, il a démontré dans son livre « La stratégie culturelle de la France en Afrique » (L'Harmattan, 1993), par l’équation Colonisation = Canalisation, comment l’école française a réussi à laminer tous les efforts de développement des pays d'Afrique francophone. Loin de ces chercheurs emmurés dans une sorte de laboratoire in vitro, Papa Ibrahima Seck savait décliner socialement les fruits de ses travaux universitaires.
Pédagogue, animé du sens de l’action, il savait improviser.
Tous ceux qui ont eu le privilège de l’écouter au Sénat français le 26 juin 2008, lors de la rencontre organisée par l’Association Re-Source-Sununet et dans d'autres conférences, garderont toujours de l’homme la perspicacité et la générosité en signe de souvenirs.
De son héritage, la jeune génération s'inspirera de l'humilité, de la quête insatiable du savoir et de la persévérance dans le travail.
L'humilité est un art peu démocratisé. Le regretté poète en a fait usage dans sa capacité d'aller vers l'autre. Mu par le don de soi, Papa Ibrahima Seck se démarquait des diplômés de l'enseignement supérieur qui regardent nos concitoyens de conditions sociales modestes du haut de leurs balcons. Lisez le récit de sa vie avec son ami d'enfance Momar, exclu de l'école de Gossas , dit-on, pour inaptitude à poursuivre des études primaires, vous saurez d'où lui vient cette soif inextinguible de questionner le système éducatif sénégalais et son élite politique. Quelques vers du poème « Le retour au village » sondent le coeur du poète ; autant dire son esprit à travers ce message qu'il adresse à Momar, ce travailleur de la terre nourricière.
« Cet homme fils c'est mon frère
A nous les mêmes ancêtres
seule l'école des autres nous a séparés
il sait ce que je ne sais pas
je sais ce qu'il ne sait pas
mais à nous tous le village
à nous tous le pays
que par nos mains
lentement
nous devons reconstruire »
Quelle belle leçon de vie pour revenir sur terre !
De l'humilité, Papa Ibrahima Seck fortifia son armure à la quête insatiable du savoir.
A Kinshasha, août 1987, dans son poème « Lumière », il parle de la mort du sage comme d'une seconde naissance. « Car, dit-il, on ne reconnaît la valeur de la sagesse
qu'après la disparition du sage
comme si l'esprit est l'allié de l'absence » (Sangomaar, p. 19)
Mais l'absence du Sage Papa Ibrahima Seck sera toujours emplie d'une présence de ce qui reste de lui pour vivifier sa persévèrence dans le travail. L'ére de la spécialisation allait inhiber son génie créateur. Il est resté un « bon à tout » se définissant lui-même comme un « vagabond sédentaire de l'esprit animé du sens de l'action ».
Dans le sillage lumineux de tous ces grands esprits habitués de la navette entre le « Ciel des idées » et la « doxa », il a appris à donner et à se donner en marchant à pas feutrés et sur la pointe des pieds. Sa disparition lui ressemble fidèlement.
En définitive, Papa Ibrahima Seck est parti comme il a vécu : discrètement.
Re-Source-Sununet s’associe à la douleur de sa famille, amputée d’une partie d’elle-même.
Cette douleur immense affecte du reste la diaspora sénégalaise qui n’a pas fini de le pleurer.
Que la terre du Saloum de ses ancêtres qui ne l'a jamais quitté lui soit légère ! (Amen !)
Daouda Ndiaye
Ecrivain
Membre de Re-Source-Sununet
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