Le Fassois «Gris Bordeaux» qui rencontre, ce dimanche au Stade Demba Diop, «Lac de Guiers» (Walo) a une occasion unique d’entrer dans la «Cour des grands» où il est en attente depuis quelques années.
Sa carrière a toujours voyagé entre éclaircies et pénombres dans une apesanteur qui n’appartient qu’à lui. S’y nichent des moments de gravité et d’hilarité pure, des élans taquins ou bellicistes. C’est ainsi qu’il a creusé le sillon de sa carrière. Ibrahima Dione est ainsi fait. En noir et blanc ou en couleur pâle ? En «Gris-Bordeaux», tout simplement. Selon les circonstances ou ses tempéraments, sa teinte bâtarde, inconnue au répertoire des couleurs, a souvent changé au fil des combats. En tout cas, le peuple de l’arène aura tout vu de l’enfant de la Médina depuis ses premiers pas dans l’arène jusqu’à la promesse de consécration face à «Lac Guiers», ce dimanche à 18h au Stade Demba Diop. Ce garçon a toujours montré qu’il faut compter avec lui dans ce «Sport de chez nous» en pleine recomposition. Il a toujours affiché ses ambitions et ses intentions au sein de l’arène et de l’écurie Fass, même s’il a toujours vécu sous l’ombre tutélaire du «Tigre» en chef, Tapha Guèye.
Depuis quelques années, il s’est évertué à camper le rôle de «caïd de la classe». Spécialiste de la «guerre des lieutenants» qui sévit dans le cercle des espoirs de l’arène, il a plombé les ailes du Mbourois «Bombardier n°2», fauché Khadim Ndiaye n°2 et envoyé Eumeu Sène à ses doutes. De prouesse en chef d’œuvre, le Fassois a montré au fil de ses combats une aisance technique que beaucoup d’observateurs ne soupçonnaient chez lui. Surtout contre Antoine Bakhoum. «Gris», chantre du «Door Doorat» («Frapper, toujours frapper»), n’avait pas boudé son plaisir après avoir défait le Champion d’Afrique en lutte traditionnelle de 2002 : «Forcément, il y avait beaucoup d’émotion dans ce combat. Il fallait surtout laisser une bonne impression.» Une sorte d’esquisse d’une carrière dont le destin est de visiter les cimes de la gloire.
La bourde de mars 2004
Au calme et aux succès de ses premières années victorieuses, vont succéder des temps agités. En mars 2004, il montre une autre palette de son savoir-faire devant des amateurs ahuris, qui salivaient pourtant devant ce duel qui augurait d’une après-midi d’orfèvres. D’un beau sommet technique face à Kadd-Gui. Car ce jour, le rusé Thiaroyois a réussi à pâlir son étoile de futur porte-drapeau de l’écurie de Fass. Usant de la provocation, le sociétaire de l’écurie Yarakh a piégé «Gris Bordeaux», réputé pour son naturel impulsif, qui a commis la faute impardonnable de le rouer de coups après un arrêt de l’arbitre au sortir du premier round. Un acte anti-sportif qui a poussé l’arbitre à donner la victoire à Kadd-Gui qui signera ainsi la troisième chute officielle du Fassois qui avait subi dès ses premières heures dans l’arène les foudres de Samba Ndiaye et Abdou Diouf (Ecurie Walo). Fortement déprimé par ce revers, qui a un peu retardé sa marche glorieuse, il tempête dans son coin et médite sur son sort. Mais, il ne mollit pas et reste droit dans ses bottes jusqu’au bout. Il revient avec de nouvelles ambitions clairement planifiées : déclasser des adversaires directs et assouvir définitivement sa volonté d’hégémonie au sein de sa génération. Le socle étant tellement solide, il a pu résister à ce camouflet pour rebondir de façon éclatante devant «Tyson junior».
Futur «Tigre» de Fass
C’est aussi dans le souvenir et la frustration du combat perdu contre «Kadd-Gui» qu’il faut puiser l’explication de son euphorie rageuse lorsqu’il avait remporté son choc face à Tyson Junior la saison dernière. Aujourd’hui, les résultats s’affichent à la hauteur de l’engagement du futur patron de l’écurie de Fass. Pour maintenir haut le flambeau, et dissiper la grisaille qui s’abat sur l’écurie avec la fin de cycle de Tapha Guèye, Fass n’esquisse qu’une seule solution très colorée : «Gris-Bordeaux, joyau de technicité, de témérité et de puissance, considéré comme une prometteuse alchimie par les analystes du temple de la lutte sénégalaise. L’intéressé ne s’empresse pas de porter ce titre honorifique mais balourd de «nouveau Tigre de Fass» : «S’il plait à Dieu, quand l’heure sonnera ce sera facile. Je suis les conseils de mon encadrement. Je m’entraîne sérieusement pour mettre tous les atouts de mon côté. Le reste ne dépend pas de moi.» Pour l’instant, il a fini de s’accommoder du rôle de petit-frère, une façon de rester connecté à la fameuse lignée des Guèye qu’il veut transcender encore. Au nom de ces poulains avides de succès et de référence. Mbaye Guèye, «Tigre» de référence, échafaude déjà des lendemains qui chantent pour le «nouveau leader» de l’école de Fass. Les qualificatifs qu’il verse dans son compte ont une saveur d’hagiographie : «Il est le leader de notre écurie. C’est un homme qui a de grandes qualités humaines et surtout sportives. Il sera un grand champion de lutte», prédit l’ancienne icône de l’arène sénégalaise.
Entrer dans la cour des grands
Sa parole sera-t-elle celle d’Evangile ? Ce dimanche, son poulain aura sans doute l’occasion de briller de mille feux devant «Lac de Guiers», dernier cobaye sur lequel «grand-frère Tapha» a réajusté son génie à tiroirs. Mais ce samedi qui mange les heures, qui aiguise les appétits, va farcir de tourments la tête de «Gris» avant de rencontrer le chef de file de l’Ecurie Walo qui a aussi les tripes en feu. Car ce dimanche qui s’avance n’est pas un jour pour simplement ajouter une ligne au palmarès. Il est le moment de grandir pour le Fassois. Il sera l’occasion unique pour amorcer une carrière encore en latence et pousser la dernière porte qui mène à la «Cour des grands» autour de laquelle où il poireaute depuis des années. Et «Gris» ne négligera rien pour réussir une entrée fracassante : «A Fass, on a coutume de bien préparer tous nos combats, d’étudier notre adversaire et voir comment aborder la confrontation. La lutte demande un entraînement technique, mystique et moral. Je suis à la lettre les consignes de mon staff et lorsque j’entre dans l’arène, c’est ce que j’applique. C’est ce que j’ai toujours fait et je ne suis pas près de changer.» Après avoir fait le vide autour de ses compagnons de récré, le voici à l’âge de la confirmation qu’il aurait certainement voulu prendre un peu plus tôt. «Ce combat lui permettra d’entrer définitivement dans la cour des grands. Il a battu tous les lutteurs de sa génération, il ne lui reste qu’à aller défier les poids lourds», avance Mbaye Guèye.
Il est certainement très bien placé pour savoir la nécessité d’une victoire ce dimanche. Parce que «Gris Bordeaux», l’air de rien, doit encore repousser ses frontières. Pour tenir les promesses et les espoirs placés en lui. Son jour de gloire a-t-il sonné ? «Il est incontestable que ce combat lui servira de tremplin. Il fera tout pour remporter ce duel qui sera déterminant dans la suite de sa carrière», avertit Mbaye Guèye.
Ce dimanche, il aura sans doute en face de lui, un lutteur de 36 ans, qui cache derrière sa pugnacité et ses frappes désordonnées, un désir social de ramasser ses restes d’argent dans l’arène. L’affront sera de taille en cas de ratage et la boulette pourrait coûter très cher au Fassois. Il retarderait son entrée dans le cercle fermé des seigneurs. Cette hypothèse n’a pas les faveurs des pronostiqueurs de l’arène, mais elle a le mérite d’exister. Et d’inquiéter. Pour l’instant, «Gris Bordeaux» est prêt à se lancer dans le grand bain, avant même d’étancher sa soif dans le «Lac de Guiers» qui se dresse devant lui. «Il n’y a aucun lutteur qui descend dans l’arène qui ne rêve de les rencontrer. Je suis, donc, prêt à affronter Tyson et Bombardier», annonce-t-il.
«Dépasser Tapha»
Son ambition a une taille de géant, mais le Fassois devra forcément faire preuve de beaucoup de persévérance et de bellicisme pour réaliser son dessein : devenir un grand champion de lutte. Comme les têtes de file de la Cour des grands (Yékini, Tyson ou Bombardier) face à qui «Tapha, l’idole» a étalé ses limites avec une élégance fragile de seul technicien. Mais lui «Gris», prototype des champions d’aujourd’hui, a ce répondant physique des terreurs du moment. Avec plus de 110 kgs, ce jeune lutteur a la légitimité morphologique de nourrir ses désirs les plus fous : «Je rêve d’être un grand champion dans l’arène. C’est mon souhait et j’y pense tous les jours, je travaille pour ça et je ne pense qu’à ça, même quand je dors : Etre un grand champion. Je rêve d’être comme Moustapha Guèye. Et de le dépasser un jour. Pourquoi pas ? En tout cas, c’est le but que je poursuis tous les jours.» Ce dimanche, face à «Lac de Guiers», il ne sera pas question de faire mieux que l’illustre Tapha. Il s’agira juste de marcher sur ses pas. 
Les amateurs sont forcément témoins des après-midis réussis du jeune Fassois (25 ans) où les feux d’artifices se sont succédé aux gestes d’orfèvre durant ses différents combats. Car, dans sa marche glorieuse, quoique chahutée par quelques embardées dans des chemins de traverse, «Gris Bordeaux» aura écarté nombre de congénères de son chemin, dont le très technique Antoine Bakhoum, ancien de l’écurie de «Yékini».
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