
La gent féminine ne doit pas craindre outre mesure la polygamie, qui peut se révéler comme une des voies par lesquelles les femmes peuvent passer pour se réaliser et se valoriser, a soutenu l’écrivaine sénégalaise Ken Bugul.
Les femmes ne devraient pas avoir ‘’peur de la polygamie’’, a-t-elle soutenu dans un entretien publié dans l’édition de vendredi du quotidien privé Enquête, en partant de sa propre expérience dont elle a rendu compte dans ‘’Riwaan ou le chemin de sable’’, le troisième livre d’une trilogie semi-autobiographique.
Revenue ‘’épuisée’’ et ‘’humiliée’’ d’un mariage mixte avec un citoyen français, Ken Bugul était devenu la vingt-huitième femme d’un marabout mouride à côté duquel il a vécu heureux en se réhabilitant et en se relevant petit à petit de l’échec de son premier mariage.
Cette expérience lui passe un regard singulier sur la polygamie dont il rend compte dans son roman, à travers un tableau beaucoup moins sombre de cette pratique. Ce faisant, Ken Bugul prend de revers toutes les critiques, de féministes notamment, en traitant la polygamie comme une reconnaissance par les coutumes de sa féminité et de son authentique rôle de femme.
‘’Il ne faut pas qu’elles (les femmes) se mettent dans la tête que l’objectif de la vie, c’est un homme. A la limite, on doit utiliser un homme pour nos propres objectifs et non accrocher notre vie jusqu’à la violence’’, analyse l’écrivaine, Mariétou Mbaye de son vrai nom.
‘’Chez les femmes du marabout, il n’y avait pas de violence. Ces femmes-là, elles disaient +Je+. Je me suis dit pourquoi moi j’ai passé 35 ans de ma vie, dont les dix ou les quinze à vouloir renoncer à moi. C’est là que j’ai dit que les femmes devraient sortir les hommes de leur tête. Il faut qu’elles pensent à elles’’, dit-elle.
‘’Ce n’est pas une institution la polygamie, ni la monogamie. Est-ce que la réalisation de notre existence, c’est par rapport à un homme. Nous avons les mêmes responsabilités devant Dieu. Nous devons nous préoccuper de la vie, de la mort, de Dieu, de notre entrée au paradis ou en enfer. Il faut qu’on soit responsable de notre vie et non accrocher notre vie à un homme’’, plaide-t-elle.
‘’Qu’on soit dans un ménage polygame ou monogame, pour moi, c’est pareil. Alors là, on a dit : si je dis ça, c’est que je défends la polygamie. En ce qui me concerne, moi Ken Bugul, avec ce que j’ai appris de ces femmes-là qui n’utilisaient le marabout que pour se réhabiliter, se valoriser, ou pour avoir une entrée au paradis, on doit utiliser les hommes comme un tremplin, et si c’est la polygamie, qu’est-ce que ça fait ?’’, se demande-t-elle.
‘’On est là à nous monter les uns contre les autres, mais pendant ce temps, les hommes se la coulent douce, et les femmes sont en train de se s’entretuer et de se détruire au lieu de penser à se réaliser dans cette vie et dans l’autre’’, analyse-t-elle encore.
‘’Malheureusement, ce genre de pratiques (mariages avec des marabouts) n’existe plus. Moi, j’aurais aimé que ce genre de pratiques existent toujours parce que ça servait de refuge au lieu de partir dans des hôpitaux psychiatriques où on est soi-même à coup de valium’’, soutient Ken Bugul.
Selon l’écrivaine, ‘’plein de femmes’’ souffrent de névrose simplement parce que ‘’nos sociétés n’ont pas la capacité de récupérer. On les traite de folles, de rap ou de djinné (esprits ou créatures malfaisantes), alors que simplement la personne avait besoin d’écoute ou d’évacuer’’.
Native de Louga, Ken Bugul, Mariétou Mbaye de son vrai nom, est installée au Bénin (Porto Novo) depuis la fin de sa carrière de fonctionnaire internationale. Récompensée par le Grand Prix littéraire d’Afrique Noire, elle est l’une des figures majeures de la littérature africaine.
Son roman ‘’La folie et la mort’’ (Présence africaine, 2000) est déjà tenu pour un classique, et exprime, selon la critique, son talent dans l’art narratif, sa capacité à créer un univers fantastique qui intègre harmonieusement l’imaginaire africain avec ses contes, ses légendes et ses allégories.
Ken Bugul a notamment publié ‘’Nouvelles du Sénégal’’ (Magellan et Cie, 2010) ‘’Mes hommes à moi’’ (Présence africaine, 2008), ‘’La pièce d’Or’’ (Ubu, 2006), Rue Félix-Faure ((Hoëbeke, 2005), ‘’Les larmes du lac’’ (Joca Seria, 2004).
La Sénégalaise est aussi l’auteur de l’œuvre ‘’De l’autre côté du regard’’ (Serpent à plumes, 2003), ‘’Riwan ou le chemin des sables’’ (Présence africaine, 2001), ‘’Cendres et braises’’ (L’Harmattan, 1994).
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