Première raison: les dirigeants occidentaux dénaturent les droits de l’homme en prétendant les défendre
C’est la position de Rony Brauman.
L’ex-président de Médecins sans frontière dénonce l’opération
internationale contre le régime Kadhafi car, selon lui, les principes
moraux brandis par les dirigeants occidentaux ne sont que des prétextes.
Si l’on veut défendre les droits de l’homme et chasser les dictateurs
de la planète, alors pourquoi avoir attendu 42 ans avec Kadhafi? Et
pourquoi ne pas commencer avec le Soudanais Omar El Béchir, pourchassé par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes contre l’humanité, ou avec l'Ivoirien Laurent Gbagbo qui mène son pays à la guerre civile, voire avec Issaias Afwerki qui
a transformé l’Erythrée en une autre Corée du Nord. Et, tiens, pourquoi
pas nous débarrasser aussi des dirigeants nord-coréens, et du
Biélorusse Alexandre Loukachenko, surnommé «Pinochenko» par ses
compatriotes.
Avec la Libye, nous sommes en pleine démonstration d’hypocrisie. La démocratie, les droits de l’homme, la défense de «paisibles civils»
ne sont que des prétextes à une intervention dictée par d’autres
considérations, beaucoup moins avouables. Brandir la bannière des droits
de l’homme pour justifier une attaque contre Kadhafi est donc non
seulement peu crédible, mais aussi dangereux, car on accrédite l’idée
que ces principes sont à géométrie variable, et, de ce fait, on les
dénature aux yeux de l’opinion internationale. Qui demain pourra croire
Sarkozy lorsqu’il prétendra défendre les droits de l’homme?
Deuxième raison: la campagne de Libye préfigure la campagne de Sarkozy
Le président Nicolas Sarkozy a-t-il lancé l’aviation française dans la
bataille libyenne pour préparer sa réélection en 2012? Après le double
fiasco diplomatique en Tunisie et en Egypte,
Paris ne voulait pas apparaître une fois de plus à la traîne de
l’Histoire, voire dans le camp des méchants. Avec des ministres pris la
main dans le pot de confiture en Tunisie et en Egypte, avec une
diplomatie errante, tiraillée entre les ordres venus de l’Elysée et ceux
du ministère des Affaires étrangères, la France a fait piètre figure.
Certes, Le ridicule ne tue pas, mais il peut contribuer à faire perdre
une élection. Il fallait donc réagir.
Et Nicolas Sarkozy a sauté sur l’occasion libyenne
comme on saute sur une journée de soldes supplémentaires. C’est tout
juste s’il n’a pas lui-même accroché les bombes aux ailes des avions
français! A un an de l’élection présidentielle et alors que le Front
national (extrême-droite) taille des croupières à l’UMP (le parti
présidentiel), rien ne vaut une bonne petite démonstration de force pour
convaincre l’électorat que l’on est l’homme de la situation face aux dangers qui menacent le monde! «Sarkozy s’en va en guerre contre Kadhafi», voilà le feuilleton qui devrait rehausser l’image du président français. Il n’est pas certain que le pari soit gagné d’avance.
Troisième raison: on ne crache pas sur quelqu’un qui vous a tendu la main
Demandez à Nelson Mandela ou Jacob Zuma ce qu’ils pensent de Mouammar
Kadhafi, et vous entendrez un discours mesuré. Il ne faut pas oublier
qu’au temps ou l’ANC était considéré comme un groupuscule terroriste,
ses dirigeants ont été aidés par le Guide libyen. Pendant ce temps, les
Européens se pinçaient le nez dès qu’un Sud-Africain approchait d’un peu
trop près. Des liens se sont forgés dans l’adversité entre Libyens et
Sud-Africains mais aussi entre le Guide et une foule d’opposants, de
présidents, de ministres venus des quatre coins du continent.
Mouammar Kadhafi a dépensé des milliards de dollars
dans des projets de coopération économique sur le Continent. Ecoles,
routes, hôpitaux. Il a «cadeauté» des centaines de ministres, et s’est
créé un solide réseau d’affidés. Là où les occidentaux sortaient leurs
calculettes et brandissaient le Fonds monétaire international (FMI), le
Guide sortait son chéquier. Etait-il sincère dans son désir d’unifier
l’Afrique? Ou simplement mégalomane? Peu importe, en dépit de ses
frasques et de ses lubies, il a aidé ses amis. Les dirigeants africains
n’ont donc aucune raison d’aboyer avec la meute. Et ce d’autant que
beaucoup de ces dirigeants redoutent «la contagion du printemps arabe».
Quatrième raison: ne pas mépriser l’Afrique
Comme le déplore l’une des rares intellectuelles africaines audibles hors du continent, l’historienne Adame Ba Konaré,
les occidentaux n’ont pas demandé l’avis des pays africains avant
d’engager le feu en Libye. Jean Ping, le président de la commission de
l’Union africaine (UA), n’a d’ailleurs pas assisté à la conférence de
Paris le 19 mars 2011, faisant savoir publiquement qu’il ne voyait pas
pourquoi il irait poser pour les photographes dès lors qu’on méprisait
la position de l’UA (qui est contre les frappes aériennes sur la Libye).
La France, l’Europe et les Etats-Unis se soucient au plus haut point des
pays arabes, mais ignorent superbement l’Afrique. Son poids reste
infime sur la balance des relations internationales et on ne voit pas
comment cela pourrait changer dès lors qu’on l’écarte sur un dossier
aussi important. Adame Ba Konaré redoute aussi une forme de
recolonisation de l’Afrique à travers cette opération militaire. On se
dirige vers une partition de la Libye mais aussi vers une nouvelle
fracture entre l’Afrique blanche et l’Afrique noire.
Cinquième raison: au Sud, il est parfois perçu comme une «grande gueule sympathique»
Il leur a tout fait… De l’inavouable, à l’horrible, en passant par les
farces moqueuses. Attentats de Lockerbie en 1986 et du vol d’UTA en
1989. Financement des réseaux terroristes en Europe (IRA et Brigades
rouges). Discours enflammés contre la colonisation ou en en faveur de
l’islamisation de l’Europe.
Kadhafi, le «trublion», est un personnage excentrique qui effraie les
occidentaux tout autant qu’il fascine les opinions publiques du Sud. Ses
coups de colère
ou ses propos venimeux à l’encontre des dirigeants du monde amusent les
opinions arabes et africaines tout autant qu’elles agacent les opinions
du Nord.
Kadhafi, pense-t-on à Dakar ou Alger, dit tout haut ce que les gens
pensent tout bas. On peut critiquer ses buts, ses objectifs, ses
méthodes, mais on critique rarement son verbe. Ce n’est sans doute pas
très politiquement correct de le dire mais l’opinion publique africaine
préfère de loin un trublion comme Kadhafi, à un Paul Biya ou un Blaise Compaoré.
La différence? Presque aucune. Tous ont le même mépris du peuple mais
Kadhafi au moins donne le change avec panache. Il agite sans cesse
l’opinion internationale, tandis que les autres se contentent de régner.
7 Commentaires
Juleone
En Avril, 2011 (14:35 PM)Dass Fananal
En Avril, 2011 (14:52 PM)Rim
En Avril, 2011 (14:54 PM)Undefined
En Avril, 2011 (15:04 PM)Pra
En Avril, 2011 (15:06 PM)Bigboull
En Avril, 2011 (22:22 PM)Herma
En Avril, 2011 (11:23 AM)Participer à la Discussion