L'artiste a été retrouvé mort lundi 17 février dans sa cellule alors qu'il était en détention depuis trois jours à Kigali. La police et le bureau d'enquêtes rwandais affirment qu'il s'est suicidé. Pour certains, cette thèse ne tient pas la route. Les autorités ont annoncé l'ouverture d'une enquête. Depuis, les réactions se multiplient sur les réseaux sociaux.
Sur Twitter comme sur Facebook, les internautes ne cachent pas leur émotion. "Difficile de croire que (...) l'apôtre de la réconciliation rwandaise n'est plus de ce monde", écrit par exemple Alice Mutimukeye. Avant d'ajouter : "Merci pour tout Kizito Mihigo. Repose en paix."
Réactions également du côté de classe politique rwandaise. "Un bon coeur a cessé de battre. Cela dépasse l'entendement", tweete pour sa part l'opposante Victoire Ingabire, grâciée et libérée de prison en 2018, au même moment que le chanteur de gospel.
L'annonce du décès de Kizito Mihigo fait réagir jusqu'en République démocratique du Congo voisine. Illustration avec le mouvement citoyen la Lucha qui s'adresse directement au défunt par ces mots : "Adieu Kizit Mihigo. L'écho de ton cri pour la justice et la paix résonne jusqu'ici."A good heart has stopped beating in #Rwanda! Rest In Peace Dear @kizitomihigo. This goes beyond anyone's imagination..????https://t.co/H9qzXeCRSw#RIPKizitoMihigo
— Victoire Ingabire (@VictoireUmuhoza) February 17, 2020
"Il était seul dans sa cellule", affirme le bureau des enquêtesLe sang de millions de Congolais & de centaines de milliers de Hutu rwandais versé n’ayant pas étanché sa soif, le Hitler des Grands-Lacs Paul Kagame élimine désormais un à un ses propres frères. Adieu #KizitoMihigo! L’écho de ton cri pour la justice et la paix résonne jusqu’ici! pic.twitter.com/a5lgleLSJR
— LUCHA ???????? (@luchaRDC) February 17, 2020
Mais au-delà de l'émotion, la mort de l'artiste soulève de nombreuses interrogations. Certains se disent indignés. D'autres n'hésitent pas à pointer du doigt le régime du président Paul Kagame, en l'accusant d'avoir assassiné le chanteur.
Le directeur exécutif de l'ONG Human Rights Watch, Kenneth Roth, appelle quant à lui à une "enquête urgente", surtout dit-il "si l'on se fie à l'histoire politique du Rwanda, marquée par les assassinats d'opposants présumés".
La police rwandaise affirme que le célèbre chanteur de gospel s'est suicidé dans sa cellule. Il était détenu au poste de Ramena, à Kigali depuis trois jours. Kizito Mihigo avait été arrêté jeudi dernier dans le district de Nyaruguru, dans le sud du Rwanda.
Le bureau des enquêtes rwandais l'accusait d'avoir voulu traverser illégalement la frontière burundaise pour rejoindre un groupe armé. Il assure cependant travailler à faire toute la lumière sur l'événement. "Nous avons été informés ce matin par le poste de Remera, où il était détenu. Et nous avons ouvert une enquête. Il semble que ce soit un suicide. Il était dans sa cellule, seul, et il a utilisé un drap pour se pendre. Son corps a été transféré au laboratoire de médecine légale en vue de son autopsie. Je peux ajouter qu’il était très silencieux depuis son arrestation. Il ne voulait pas parler, même lors de visites", détaille Marie-Michelle Umuhoza, la porte-parole du bureau.
Lorsque nous lui demandons si le fait que Mihigo soit mort sous la responsabilité des autorités n'est pas vécu comme un échec, elle rétorque : "Vous savez, les détenus ont des droits, et ils ont droit à la vie privée. Donc il était seul dans sa cellule. C'est une triste nouvelle."
L'activiste rwandais René Mugenzi, en exil à Londres, se dit sous le choc. Pour lui, la thèse du suicide ne tient pas la route.
On ne croit pas que Kizito Mihigo se soit suicidé. C'est impossible, parce que Kizito est chrétien qui a des valeurs chrétiennes très profondes. Il l'a montré dans ses chansons, dans ses actions. Il n'aurait jamais, jamais pu se suicider. Il n'aurait pas non plus contacté les groupes soi-disant terroristes ou les groupes armés, ce ne sont pas ses valeurs, qui sont celles du pardon, de la réconciliation. On est sûr à 100% qu'il a été assassiné par la police.
René Mugenzi, activiste rwandais exilé à Londres : "On est sûr à 100% qu'il a été assassiné"
De la gloire nationale au statut de conspirateur
Rescapé du génocide à seulement 13 ans, Kizito Mihigo avait fait de la réconciliation du pays sa vocation.
Un pas géant a été franchi, après le génocide, pendant ces vingt-cinq ans. Aujourd'hui par exemple, les gens vivent dans la même communauté en sécurité [...] Les gens comprennent de plus en plus qu'ils sont rwandais avant d'être hutus ou tutsis. Après, on n'est pas arrivé à la réconciliation totale, il y a encore un travail à faire. J'ai l'impression que tout le monde a besoin de s'approprier cette valeur qu'est la réconciliation
Kizito Mihigo : "La réconciliation pas encore totale
Profondément religieux, cet ancien élève du petit séminaire de Butare a longtemps été un organiste et un chanteur liturgique star au Rwanda. À 20 ans, il participe même à la composition du nouvel hymne national. Il part ensuite, avec le soutien des autorités, suivre une formation au conservatoire de musique de Paris. Persuadé du rôle de l’art dans la reconstruction du pays, il crée la Fondation Kizito Mihigo pour la paix.
De retour au Rwanda, il chante régulièrement aux commémorations du génocide des tutsi. Jusqu’en 2014. Cette année-là, un de ses titres fait polémique. Il y évoque le génocide, mais aussi les représailles à l’encontre de la communauté hutu.
Peu de temps après, Kizito Mihogo est arrêté, accusé de liens avec l’opposition politico-militaire en exil. Ses chansons sont alors bannies des radios du pays. Il sera ensuite inculpé de conspiration contre l’État. Depuis sa grâce et sa libération en 2018, il devait se présenter tous les mois au bureau du procureur. Il tentait également difficilement de reprendre ses activités musicales et associatives.
En avril dernier, à la veille des commémorations des 25 ans du génocide, Kizito Mihigo avait témoigné au micro de l'envoyé spécial de RFI à Kigali. Il évoquait la nécessaire prudence d'un artiste comme lui.
Après la prison, j'ai l'impression que je travaille librement, mais je sens que je dois faire attention, je dois être prudent, surtout dans la période de commémoration
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