Samedi 8 février, un message de soutien à l’artiste Ballaké Sissoko est publié sur la page Facebook du ministère malien de la Culture. La mésaventure du virtuose de la kora, qui avait accusé les douanes américaines d’avoir détruit son instrument lors des fouilles de sécurité à l’aéroport, a suscité une vague d’indignation.
« Si son caractère délibéré reste à établir, cet immense préjudice culturel nous interpelle et nous fera entreprendre tout ce qui est juridiquement et diplomatiquement possible pour obtenir réparation », regrette le communiqué. « Nous prenons l’engagement de tout mettre en œuvre pour que justice soit faite », ajoute-t-il.
Mais dès le lendemain, le message au ton ferme est supprimé. Un démenti laconique est ensuite publié : « Il a été posté sur la page du Ministère de la Culture un communiqué relatif à un dommage causé à la kora de Ballaké Sissoko. Nous sommes au regret d’indiquer que ce communiqué ne provient pas du ministère de la Culture. »
Si le message laisse dubitatif, c’est qu’il ne précise à aucun moment comment le premier communiqué a pu se retrouver sur la page Facebook du ministère. De plus, aucune des deux publications n’était signée. Rétropédalage ou erreur humaine ? Contactée par Jeune Afrique, l’équipe de Ballaké Sissoko explique que l’artiste a eu un échange téléphonique avec la ministre de la Culture N’Diaye Ramatoulaye Diallo au cours du week-end. « Elle lui a exprimé sa solidarité et le communiqué résume l’essentiel de leur conversation », confie Corinne Serres, attaché de presse de Sissoko.
« Il rentrera à Bamako cette semaine, notamment pour chercher une calebasse pour sa nouvelle kora. Et il est prévu lors de ce séjour une rencontre avec la ministre. Voilà où nous en étions restés », précise-t-elle.
Plusieurs cadres du ministère ont pour leur part confié avoir découvert le message sur les réseaux sociaux et exprimé leur incompréhension quant à ce double discours. Ils étaient toujours dans l’attente d’explications lundi. En mission à Addis Abeba au sommet de l’Union Africaine aux côtés de la ministre de la Culture, le directeur de la communication du ministère était pour sa part injoignable. N’Diaye Ramatoulaye Diallo, a déclaré dimanche que le communiqué attribué à son ministère était « un faux ».
« Cela traduit un déficit de professionnalisme et un manque d’encadrement et de la communication gouvernementale », regrette Bréma Ely Dicko, sociologue à l’université de Bamako. « Récemment un tweet jugé offensant pour Trump a été publié sur le compte Twitter de la présidence. L’ancien chargé de la communication qui avait gardé ses accès a reconnu s’être trompé de compte. Cette affaire aurait dû être un élément déclencheur pour plus de vigilance dans l’usage des sites et réseaux sociaux des institutions publiques », ajoute-t-il.
Pour le sociologue, « le président Ibrahim Boubacar Keïta est le champion des arts et de la culture de l’Union africaine. Il est normal que le Mali prenne position pour défendre ce grand artiste. »
Dans un communiqué daté du 9 février, le président malien a d’ailleurs souhaité que « toute la lumière soit faite sur cette affaire » et exprimé « sa sympathie à Ballaké Sissoko, sa famille, ses admirateurs et à toute la communauté culturelle panafricaniste ».
L’artiste qui a atterri le 4 février à Paris après une tournée aux États-Unis a vu son instrument « en morceaux », accompagné d’un mot de l’administration fédérale de la sécurité des transports (TSA). La TSA, qui analyse les bagages pour rechercher des explosifs, a regretté les dégâts subis par l’instrument, mais a affirmé dans un communiqué ne pas avoir ouvert l’étui.
« Après un examen approfondi de la réclamation, il a été établi que la TSA n’avait pas ouvert l’étui parce qu’il n’a pas déclenché d’alarme lorsqu’il est passé à la détection d’éventuels explosifs ».
L’équipe de l’artiste a annoncé qu’une plainte allait être déposée contre TSA.
Ballaké Sissoko, qui doit assurer une série de concerts en France à partir du 25 février, se retrouve sans son instrument. Il a reçu le soutien de nombreux artistes de son pays, dont Toumani Diabaté, lui-même joueur de kora.
La fabrication traditionnelle d’une kora doit suivre des rites
« La destruction de sa kora est très grave. On peut en fabriquer une autre, mais c’est un instrument irremplaçable. La fabrication traditionnelle d’une kora doit suivre des rites », explique Lassana Cissé, directeur national du patrimoine culturel. Il rappelle également son importance culturelle : « C’est un instrument de musique traditionnelle qui était essentiellement joué dans les cours royales dans l’empire mandingue. Il a pour fonction entre autres le renforcement de l’unité dans la cour royale et entre les hommes. On jouait de la kora pour encourager les guerriers également. C’est un instrument important dans notre culture. »
L’art de la kora se transmet de génération en génération. C’est le cas de Toumani Diabaté, dont le fils Sidiki Diabaté est un joueur de kora. Le père de Ballaké Sissoko lui-même, Djelimady Sissoko, était un grand joueur de kora.
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