
Condamné il y quatre jours à trois ans de prison ferme par la juge nigériane Eunice Dada qui présidait une Cour spéciale créée pour le juger, le chef du plus grand parti de l'opposition gambienne, Ousainou Darbo s'est adressé à cette instance dont le procureur est aussi un nigérian pour dénoncer l'asservissement des magistrats nigérians employés dans le système judiciaire gambien pour casser les opposants au régime de Yahya Jammeh. Ousainou Darboe et 19 de ses camarades de parti ont été condamnés pour avoir organisé une marche de protestation après l'arrestation et la torture à mort du responsable des jeunes de son parti (UDP) Solo Sandeng. Seneweb qui a reçu copie de la déclaration de l'opposant gambien, la publie in extenso.
Depuis 1996, je me suis aligné du côté de la loi. J'ai encouragé mes partisans à respecter la loi et éviter la violence. Voilà pourquoi, tous les membres de mon parti, l’UDP ayant été l’objet de poursuites dans ce pays ont tous été acquittés, sauf lorsque leur procès est dirigé par un magistrat étranger, non gambien. C’est ma profonde conviction que les agents des forces de sécurité ont le devoir et le pouvoir d'arrêter toute personne soupçonnée d'avoir commis une infraction ou un délit. Mais je rejette l’idée qu'un agent chargé de faire appliquer la loi se donne le pouvoir d'arrêter une personne et la soumette à des actes de torture provoquant sa mort. Ceci n’est rien d’autre qu’un assassinat. Je ne peux le tolérer, et aucune nation civilisée ne peut non plus le tolérer.
Madame le juge, je me suis opposé à l'arrestation et à la détention d’Ebrima Solo Sandeng par des éléments de l’Unité d’intervention de la Police de Gambie qui l’ont gardé dans les locaux de l'Agence nationale de renseignement (NIA), période pendant laquelle il a été assassiné. Sa mort n'a jamais été communiquée à sa famille ou à ses camarades politiques. Il n’y jamais eu d’autopsie pour déterminer la ou les cause de sa mort. Ses restes n’ont pas été remis à sa famille. Le calvaire qu'il a vécu avant son dernier souffle est consigné dans une déclaration sous serment de Nogoi Njie déposée sur la demande d'un habeas corpus en instance devant cette honorable cour.
Le même jour et dans le même QG de la NIA, les dames Fatoumatta Jawara, Fatou Camara et Nogoi Njie ont été brutalisées par des personnes qui sont des agents de la NIA. Elles ont été soumises aux actes les plus horribles de brutalité. Elles étaient non seulement humiliées par des voyous, mais la torture infligée à ces dames était plus sévère sur les parties les plus intimes de leur corps. L'humiliation, les actes horribles de barbarie infligés à ces femmes est une humiliation et une barbarie à l’endroit de toutes les femmes d'Afrique et de la Gambie en particulier.
Madame, est-ce que tous ces faits ne sont pas de bonnes raisons suffisantes pour pousser toute personne ayant une conscience à aller à une manifestation pacifique afin de demander la libération de Solo Sandeng, mort ou vivant, et pour protester contre l'humiliation et les actes de banditisme commis sur ces femmes ? Aujourd’hui, chaque femme en Gambie est solidaire de l’épouse de Solo Sandeng. Chaque femme en Afrique et en Gambie, en particulier est solidaire de Fatoumatta Jawara, Nogoi Njie et Fatou Camara.
Madame le juge, au lieu que les auteurs de ces crimes, de cet assassinat et des actes de torture commis sur ces femmes comparaissent devant cette cour pour répondre de leurs actes criminels, moi et mon peuple sommes jetés devant les tribunaux à la demande de notre adversaire politique.
Madame, je refuse de demander à ce tribunal d'être indulgent avec moi parce que, ce faisant, j'accepte le fait que Solo Sandeng méritait d'être torturé à mort par les agents chargés de veiller à la sécurité de ce pays et de ses citoyens dont Solo Sandeng.
Madame le juge, je connais le but de cette partie du procès qui me permet de m’adresser à vous, mais je refuse de demander la clémence à cette cour parce que, ce faisant, je romps les rang avec Fatoumatta Jawara, Fatou Camara et Nogoi Njie qui, en dépit de leur humiliation et des actes horribles de brutalité commis sur elles, sont maintenant persécutées à la demande de notre adversaire politique, alors que les vrais criminels se promènent librement dans les rues de Banjul et se félicitent d’avoir accompli leurs actes de brutalité.
Quand je me tenais devant cette cour, je me consolais de la conviction que je vais avoir la pleine protection de la Constitution et des autres lois de la Gambie. Mais je suis déçu. Mon expérience en tant qu’avocat et vétéran du barreau m'a amené à conclure que ma condamnation est un ordre donné à cette cour. Car, chaque règle de procédure garantissant mon procès équitable a été ignorée.
La première théorie enseignée à tout étudiant en droit à la faculté de droit est que les règles de procédure civile sont applicables au procès d’affaires civiles et celles du code de procédure pénale s’appliquent aux procès dans les affaires pénales. Mon droit à la représentation par un avocat comme prévu par la constitution m’a été refusé parce que ce tribunal a jugé que nous, les personnes accusées, pouvons nous défendre seules contre les accusations auxquelles nous sommes confrontés. Je n’ai encore jamais vu dans la constitution d’un seul pays que la loi établit une distinction entre les infractions pour lesquelles l'accusé peut être représenté par un avocat et celles pour lesquelles l'accusé doit se défendre tout seul.
On ne m'a pas permis de faire usage de la procédure légale. En raison de ma condamnation pré-arrangée conviction et parce que je crois fermement que mes adversaires politiques ont leurs yeux rivés sur cette affaire et sur cette cour, il est bien évident que cette cour m'a privé d'un procès équitable, comme l’attestent certaines décisions avant la sentence que vous allez prononcer. Je ne vais pas demander une clémence au tribunal dans de telles circonstances. Si je le fais, je vous donnerai l’occasion de dire que j’ai bénéficié de la protection de la loi, ce qui n’a jamais été le cas.
Madame le juge, le 21 avril 2016, les agents de l'Unité d'intervention de la police lourdement armés nous ont escortés, moi et mes co-accusés au tribunal.
Votre honneur ne pouvait manquer de remarquer la présence de ces agents de sécurité armés dans et autour de la cour. Depuis le 21 avril et chaque jour que je viens à la cour, je le fais avec des menottes sur les mains. Pourtant, je ne suis pas mis en accusation pour crime. Tous les Gambiens qui me connaissent peuvent attester du fait que moi et les membres du parti ne sommes pas violents et que nous nous opposons à la violence y compris celle utilisée par les membres de toutes les forces de sécurité en Gambie.
Me menotter, moi et mes coaccusés est très symbolique en ce sens qu’il envoie un message significatif et profond à tout le monde. La menotte représente la servitude de la chaîne, elle montre qu'il n'y a pas d’homme libre en Gambie - nous sommes tous forcés de nous plier sous les pieds de notre adversaire politique qui domine tout le monde tel un colosse. C’est aussi la preuve que personne ne peut témoigner honnêtement et librement devant un tribunal, dans une affaire telle que celle pour laquelle je suis jugé. Mais ceci renvoie un message clair que même les juges regardent à travers leurs épaules dans des procès politiques comme celui-ci. Ce qui montre qu'en Gambie personne n’est maintenant libre d'agir selon les préceptes de sa conscience.
C’est ma mission de renverser cette situation inacceptable par des moyens reconnus à la fois par les lois et la constitution de ce pays. C’est ma mission d'actualiser pour les Gambiens l'Énoncé du préambule dans la constitution, notre loi fondamentale, qui affirme "notre attachement à la liberté, la justice, la probité et la responsabilité."
Madame le juge, la logique exige de ressortir certaines ironies. L’une des ironies dans ce procès contre moi et mes coaccusés est que les avocats nigérians peuvent contester l'application des principes de droit constitutionnel exposés par d'éminents juges des tribunaux nigérians dans l’affaire entre l’Etat du Nigeria contre le partiAll Nigerian People’s Party. Ces principes sont contestés par les avocats de chez vous, parce que les magistrats nigérians croient que les citoyens Nigérians méritent une meilleure protection des dispositions constitutionnelles qui sont, en la matière, identiques avec la Constitution de la Gambie de 1997. Mais nous qui sommes nés et vivons dans le pays de naissance de la Charte africaine des droits et des peuples parfois appelé la Charte de Banjul, nous qui sommes nés et vivons dans le pays hôte de la Commission africaine des droits de l'homme, le Centre africain d'études de la Démocratie et des droits de l'homme et d'autres organisations internationales des droits de l'homme, nous qui sommes nés et vivons dans la maison naturelle de Cour africaine des droits de l'homme, vous nous niez et vous nous refusez la même protection par votre tribunal présidé par un juge nigérian aidé par un autre nigérian qui prétend être un procureur. C’est pour toutes ces raisons que je refuse de demander au tribunal une quelconque clémence.
Madame le juge, je ne suis pas gêné par cette condamnation. Mes enfants, mes frères, mes cousins, cousines, mes sœurs ne sont pas gênés par ma condamnation. Ma famille politique et mes amis ne sont pas gênés par ma condamnation.
Aujourd'hui, je suis fier d’être debout dans la lignée de leaders africains comme Obafeni Awolowo, Anthony Enahoro, Mallam Amunikodi, Ken Saro Wiwa, le Président Olusegun Obasanjo, le Dr Kwame Krumah, Nelson Mandela, Abdoulaye Wade (ancien Président du Sénégal) et le Président Alfa Condeh de Guinée .
Madame le juge, je suis prêt à recevoir la sentence que je crois a également prédéterminée, avant même ma mise en accusation.
Mais avant de recevoir la sentence, il est évident pour tout le monde que je suis la cible principale de cette persécution. Je demande donc que les autres personnes accusées soient condamnées à une peine équivalente au temps déjà purgé.
0 Commentaires
Participer à la Discussion