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Afrique

Ghassan Salamé : « Je ne m’intéresse pas au passé des gens mais à l’avenir de la Libye »

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Ghassan Salamé s’adressant au Conseil de sécurité par visioconférence, le 28 août dernier.

Trois mois après sa nomination, le chef de la mission de l’ONU a présenté une feuille de route pour la Libye prévoyant notamment une conférence nationale de réconciliation et des élections. Entretien.

Politologue et professeur des universités, ancien ministre à Beyrouth et ex-conseiller du secrétaire général de l’ONU, le Libanais Ghassan Salamé a dans sa boîte à outils les atouts théoriques comme pratiques pour relever le défi qui lui a été confié : ramener la paix en Libye.

Nommé le 20 juin chef de la mission de l’ONU dans ce pays en conflit depuis bientôt sept ans, il a depuis sillonné son territoire d’ouest en est et a parcouru la région et le monde pour trouver la formule qui réconciliera les Libyens.

Son plan d’action, présenté le 20 septembre en marge de l’Assemblée générale de l’ONU, a été approuvé trois semaines plus tard par le Conseil de sécurité. De Tunis, entre deux négociations avec les représentants des Parlements rivaux de Tobrouk et de Tripoli, il nous expose sa vision de la situation et sa solution.

Jeune Afrique : Votre diagnostic sur l’état du pays ?

Ghassan Salamé : La Libye est dans une impasse politique d’où elle doit très vite s’extraire, car le temps ne travaille pas pour la paix civile, au contraire. Les symptômes d’une détérioration sont là. Le pays court à la faillite financière – comme le rappelle le rapport d’octobre de la Banque mondiale –, et le niveau de vie de la population ne cesse de se dégrader depuis trois ans.

Les Libyens en ont assez des phases intérimaires, des processus ouverts dans le temps

La situation sécuritaire est instable. Le pays est traversé par toutes sortes de personnes, notamment des migrants irréguliers, qui s’y installent ou tentent de gagner l’Europe par la mer. La classe politique, très divisée, ne trouve pas les moyens de s’entendre. Un cercle vicieux. Il faut donc qu’un processus politique vigoureux soit relancé, et je passe l’essentiel de mon temps à pousser toutes les parties à être plus actives dans ce sens.

Quatre représentants de l’ONU ont échoué avant vous à trouver cette voie, quelle est votre stratégie pour y parvenir ?

J’ai présenté le 20 septembre devant les chefs de gouvernement et d’État réunis lors d’une session spéciale de l’ONU, à New York, un plan d’action sur un an, aussi ambitieux que rigoureux. Il s’agit tout d’abord de former un gouvernement qui ne se consacre qu’à régler les problèmes de la population : éducation, santé, liquidités financières, infrastructures, etc.

« Les milliers de Libyens » qu’a rencontrés Salamé « en ont assez des phases intérimaires ».

Puis une conférence nationale de réconciliation devra se réunir à la fin de 2017 ou au début de 2018 pour établir les fondations durables d’un État apaisé, dont l’élaboration d’une Constitution et non celle d’un accord politique intérimaire comme c’est le cas, et la promulgation de lois électorales pour les futurs scrutins.

Enfin, la tenue d’élections d’ici à juillet 2018 dont toutes les parties qui comptent auront accepté, à l’avance, les résultats. Ces dernières années, des consultations ont été organisées sans respecter ces règles de base, et nous avons aujourd’hui un pays avec trois gouvernements, deux Parlements, des conseils municipaux divisés, nommés plutôt qu’élus…

D’aucuns disent que, vu la situation sécuritaire et la maturité politique libyenne, les échéances de votre plan sont irréalistes. D’après vous, pourquoi sont-elles réalisables ?

Les Libyens eux-mêmes le réclament, comme la situation l’impose. J’ai sillonné le pays et rencontré non pas des dizaines, ni des centaines, mais des milliers de Libyens avant d’établir cette feuille de route. Je ne suis pas prisonnier de la classe politique locale. Et les Libyens m’ont clairement dit qu’ils en ont assez des phases intérimaires, des processus ouverts dans le temps qui incitent les différents acteurs à attendre que le vent tourne en leur faveur.

 Il faut aller chercher les 83 % de Libyens qui n’ont pas participé aux élections de 2014

Une solution nécessite un agenda. Quand j’ai dit que tout cela devrait être accompli en un an, certains m’ont dit : « Mais pourquoi pas six mois ? » L’échéance d’un an est plus réaliste. Et, si les représentants des deux Assemblées rivales se sont réunis au siège tunisois de la mission de l’ONU pour s’entendre sur l’amendement de l’accord de Skhirat, c’est que le message est passé et qu’ils ont conscience qu’il y a le feu à la maison.

Vous parlez de toutes les parties, dont celles exclues de Skhirat. Quelles sont-elles ?

Celles qui s’en sont elles-mêmes exclues, qui ont été marginalisées ou qui ont été considérées comme défaites. Aux dernières élections de 2014, le taux de participation n’était que de 17 %.

Pour parvenir à une solution politique, il faut donc aller chercher les 83 % qui n’y ont pas participé, à savoir les indifférents, les sceptiques, les partisans des régimes passés, monarchiste ou kadhafiste, et ceux qui ne croient pas au processus politique et encore moins électoral.

Ce sont ces gens-là auxquels je m’adresse pour les inciter à rejoindre les processus politique et électoral que nous sommes en train de lancer.

On évoque souvent les « kadhafistes » comme une seule mouvance, qu’en est-il ?

Ils sont divisés autant que les autres. Il y a quatre ou cinq mouvances en leur sein, mais je ne fais pas la différence : quiconque veut rejoindre le processus politique est le bienvenu. Je ne m’intéresse pas au passé des gens mais à l’avenir de la Libye. Ce pays est grand comme trois fois la France pour une population dix fois moindre. Il y a de la place pour tous.

Avez-vous des contacts avec Seif el-Islam, dont on parle beaucoup, mais sans savoir où il est ?

Non, je n’ai pas de contact avec lui. Je ne travaille pas avec les individus mais pour l’ensemble de la population. C’est pourquoi je suis en contact tous les jours avec des groupes auxquels je ne demande pas leur affiliation, tout en sachant de qui ils sont partisans, à l’instar de ceux de Seif el-Islam.

Une figure comme Khalifa Ghweil, à Tripoli, chef de milices et ex-­Premier ministre d’un gouvernement devenu caduc, ne représente-t-elle pas un obstacle à votre plan ?

Ghweil m’a écrit, et je lui ai répondu publiquement qu’il pouvait, s’il le souhaitait, rejoindre le processus politique. Je n’ai d’a priori contre personne.

Votre plan retient des éléments exigés par le camp de l’Est, dominé par Khalifa Haftar. Est-ce que des concessions de sa part sont également prévues ?

J’ai rencontré déjà trois fois le général Haftar et je l’informe de l’évolution du processus de paix. Jusqu’ici, il me dit qu’il n’a rien contre la feuille de route, mais qu’il garde sa liberté d’agir si je ne réussis pas dans ma tâche.

Avec le Premier ministre Fayez el-Sarraj ,le 5 août 2017, à Tripoli.

Je lui rappelle l’engagement qu’il a pris publiquement à La Celle-Saint-Cloud de soutenir, par un effort sérieux, le processus politique. Il me répond que cette solution est au cœur de son plan d’action, mais qu’il lui faut du temps pour créer les conditions nécessaires à la tenue d’élections.

Je tiens le même discours à Haftar, à l’Est, qu’au Premier ministre Fayez el-Sarraj, à Tripoli, qui sont les deux personnes qui parlent le plus souvent d’élections.

Sur le plan sécuritaire, comment parvenir à la constitution d’une armée véritablement nationale, ce que vous recommandez, alors que les milices prolifèrent ?

On n’y est pas encore… C’est bien sûr un élément dont le pays a besoin. Aussi faisons-nous de multiples efforts pour rapprocher les officiers de l’armée les uns des autres en parallèle du processus législatif. Cela ne se fera pas en un jour, mais il y a des éléments, des prises de contact qui nourrissent des espoirs de progrès sur ce terrain.

Les capitales voisines semblent moins impliquées qu’elles ne l’étaient il y a un an.

Elles ont tout d’abord peur de ce qu’il se passe, et certains, en Europe, ne comprennent pas suffisamment à quel point. La Tunisie, l’Algérie et l’Égypte déboursent des fortunes pour protéger leurs frontières de toutes sortes de trafics et redoutent que le terrorisme ne s’enracine profondément en Libye.

La multiplication des initiatives de médiations risque de déboussoler les Libyens

Depuis le début de 2017, il y a un mouvement très positif : ces trois pays se parlent, comparent leurs notes et s’entendent sur l’urgence, pour eux aussi, de mettre fin à cette situation anormale en Libye. Cette coordination entre Alger, Tunis et Le Caire va dans le bon sens, et je ne cesse de féliciter leurs dirigeants et de les encourager à aller de l’avant. Nous espérons que ce triangle se coordonne de plus en plus efficacement.

L’Union africaine (UA) propose aussi des médiations. Est-ce utile ?

L’UA a constitué un haut comité de chefs d’État pour favoriser une solution. Nous l’accueillons avec beaucoup d’attention et de sérieux. Bien sûr, les Africains ont aussi leur rôle à jouer. Mais la déclaration présidentielle du Conseil de sécurité du 10 octobre a insisté sur la primauté de l’initiative de l’ONU et appelé tous les États membres à appuyer cette médiation.

Mon rôle est d’isoler le dossier libyen des désaccords qui peuvent exister entre les différents pays

Il ne faut pas troubler les esprits libyens en leur proposant une myriade de médiations. Il faut qu’il y en ait une qui ait le soutien de tous, pour que les Libyens aient une feuille de route claire et unique. La multiplication des initiatives risque de déboussoler les Libyens et d’inciter les parties à choisir ce qui les intéresse dans telle ou telle médiation.

Ces affaires sont déjà bien assez compliquées pour ne pas les embrouiller davantage. Nous appelons tous les États membres à se joindre à l’initiative de l’ONU.

La rencontre entre Haftar et Sarraj, en France, fin juillet, avait mis au jour des désaccords entre Rome et Paris…

Ils étaient liés à d’autres facteurs qu’à la crise libyenne elle-même. Il y avait de l’eau dans le gaz sur d’autres dossiers, et j’espère que cela est derrière nous. Mon rôle est justement d’isoler le dossier libyen des désaccords qui peuvent exister entre les différents pays, et qui posent des tas de problèmes.

La crise du Golfe affecte aussi négativement la situation, comme les querelles entre pays subsahariens et les compétitions en Afrique du Nord qui prennent le théâtre libyen comme terrain d’expression.

Je leur demande à tous de laisser la Libye tranquille, d’essayer de me donner une marge pour faire avancer une solution politique, car tous y gagneront. Les autres options sont des aspirines qui, si elles peuvent régler temporairement des problèmes ponctuels, laisseront le pays malade.

 



1 Commentaires

  1. Auteur

    Anonyme

    En Novembre, 2017 (18:38 PM)
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