Il est question de sacs de billets largués dans le désert, de discussions secrètes avec Al-Qaeda et de coups fourrés entre services français. L’enquête des journalistes Michel Despratx et Geoffrey Livolsi pour «Envoyé spécial», Otages d’Etat, revient sur les négociations qui ont conduit à la libération des sept employés français d’Areva enlevés en septembre 2010 à Arlit, au Niger. La rivalité entre deux réseaux de négociateurs – l’un, au Mali, conduit par Jean-Marc Gadoullet ; l’autre, au Niger, par Pierre-Antoine Lorenzi – était déjà connue depuis des révélations du Monde, mais le documentaire a le mérite d’en démonter les ressorts et de donner à voir la concurrence entre ces filières qui remontent jusqu’au sommet de l’Etat.
Les deux anciens de la DGSE sont longuement interviewés : Gadoullet, l’homme de terrain aux faux airs de Belmondo, estime qu’il aurait pu faire libérer les quatre derniers otages dix-huit mois plus tôt si on ne lui avait pas mis des bâtons dans les roues. Lorenzi, plus froid, filmé en promenade dans son domaine corse avec son chien, dénonce des chausse-trapes de dernière minute – le patron de la DGSE, Bernard Bajolet, aurait refusé une rallonge de 3 millions d’euros de «frais d’opération» – pour des motifs politiques. A la fois vivant et didactique, le récit de ces négociations tortueuses est la partie la plus réussie du documentaire.
Pour le reste, Otages d’Etat pose beaucoup de questions sans forcément apporter toutes les réponses. La rançon – on parle de 30 millions d'euros – était-elle incomplète ? Des membres d’Al-Qaeda au Maghreb islamique ont-ils été lésés, comme l'évoque (en tant qu'hypothèse) une note déclassifiée du renseignement militaire français ? Un lien peut-il être établi avec l’enlèvement et l’assassinat des journalistes de RFI Ghislaine Dupont et Claude Verlon, à Kidal le 2 novembre 2013, soit quatre jours après la libération de Pierre Legrand, Daniel Larribe, Thierry Dol et Marc Féret ? Le documentaire le suggère sans oser l'affirmer, faute de preuves ou de témoins directs.
Dans cette affaire, l’Etat français semble en tout cas avoir une nouvelle fois franchi la frontière subtile entre la discrétion, nécessaire à ce type de négociation confidentielle, et l’opacité, qui peut aller jusqu’à la dissimulation organisée. Face caméra, les premiers concernés, ces hommes qui ont passé plus de trois ans prisonniers dans le Sahara, le rappellent pourtant : leur reconstruction passera aussi par la manifestation de la vérité.
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