
Régularisation
En octobre 2013, un arrêté de la plus haute juridiction dominicaine a décidé que « les enfants nés dans le pays de parents étrangers en transit n’ont pas la nationalité dominicaine », une décision rétroactive à 1929 qui a, de facto, rendu?apatrides?plus?de 250 000 personnes, principalement nées de parents haïtiens.
Devant les contestations internationales, le gouvernement dominicain a lancé le plan national de régularisation des étrangers (PNRE), pour fournir les papiers d’identité afin de régulariser les immigrés haïtiens installés depuis des années sur son sol.
Mais Mileyda témoigne du fiasco du PNRE qui a pris fin le 17 juin. « Quand le programme d’enregistrement a commencé, on m’a donné une quantité de rendez-vous dans les administrations, sans que rien ne soit fait à mon dossier. »
Après des mois de procédure, la jeune femme, née à Barahona, n’a pas obtenu de pièces attestant de sa nationalité dominicaine et a été expulsée par l’armée.
Les religieux jésuites de la petite ville haïtienne de Fonds-Parisien l’ont recueillie à la frontière et hébergée dans une école : une quarantaine de personnes y squattent chaque nuit les trois salles de classe dans le dénuement le plus total, sans eau ni nourriture.
Bureaucratie
Son nourrisson posé sur une simple couverture à terre, Souverain Saint-Soi est désespéré. « Je suis arrivé en République dominicaine avec une de mes tantes, à l’âge de 7 ans. Elle a fini par partir habiter de son côté et je me suis mis à travailler comme petit commerçant », explique l’homme de 35 ans, assis sur le petit banc d’école qui lui sert désormais de lit.
Comme Mileyda, il s’est retrouvé en Haïti, car il n’a pas pu terminer la procédure d’enregistrement auprès des autorités dominicaines. « Au premier rendez-vous, on m’a remis une petite carte en papier. Mais à mon deuxième rendez-vous, le chef m’a dit que cette carte n’était plus bonne. Il l’a déchirée et me l’a jetée au visage », raconte-t-il.
« J’ai abandonné tout ça, car ils cherchaient seulement à me voler à chaque fois plus l’argent », conclut M. Saint-Soi. Avec sa femme et ses quatre enfants, il ne sait pas où aller en Haïti, son pays de naissance où il n’a plus aucune famille.
Brévil Méristil, citoyen haïtien, a lui été expulsé samedi de République dominicaine.« J’étais venu car il n’y avait pas d’emploi en Haïti. J’ai travaillé la terre pendant 15 ans » explique le vieil homme quelques minutes à peine après avoir franchi le poste-frontière de Jimani-Malpasse, gardé par des agents de l’immigration dominicaine et des soldats lourdement armés.
Dans la poussière soulevée par le flot continu des camions de marchandises, des véhicules approchent du poste-frontière remplis de meubles et d’effets personnels. Certaines familles d’immigrés haïtiens préfèrent ne pas attendre l’expulsion et quittent volontairement la République dominicaine.
Trois matelas et sommiers sur le toit, une machine à laver, une télévision, toute une batterie de casserole et même des aliments secs : la femme âgée transporte tout ce qu’elle possède. Elle raconte brièvement que les Dominicains veulent vider leur pays des gens à la peau noire, avant que son fils ne vienne l’interrompre. Lui explique que sa mère va passer trois mois de vacances en Haïti.
Brévil Méristil n’a pas eu la chance de revenir avec de quoi survivre. Il a tout perdu. Ses mulets et sa marchandise ont été confisqués lors de son arrestation. « Je n’ai pas de famille ici : c’est l’État haïtien ma famille maintenant », se désole-t-il.
Manque de structures
Les autorités haïtiennes assurent se mobiliser pour gérer l’afflux d’apatrides et de migrants que la République dominicaine voisine va continuer à expulser. Mais la réalité sur le terrain est tout autre.
Le centre d’accueil des rapatriés que le gouvernement de Port-au-Prince se targue d’avoir mis en place dans la ville frontalière n’existe pas. Seule la pancarte au nom du ministère de la Défense est plantée sur le terrain viabilisé ; un garde armé campe seul au pied des engins de chantier inutilisés.
Dominicains devenus apatrides, migrants haïtiens sans ressources, les personnes expulsées quotidiennement vers Haïti sont livrées à elles-mêmes.
Dans la cour de la petite école communautaire de Fonds-Parisien, Mileyda broie du noir : « Je n’ai rien, pas même de vêtements pour me changer. »
« Je suis enceinte de sept mois. Je ne sais pas où je vais aller pour accoucher et je n’aurai rien pour habiller mon bébé. »
0 Commentaires
Participer à la Discussion