Un Gambien, jugé en Allemagne pour son implication dans un escadron de la mort sous l'ex-dictateur Yahya Jammeh, a nié jeudi "avoir participé" aux faits qui lui sont reprochés, suscitant le scepticisme des victimes.
Le procès dans lequel comparaît cet homme de 47 ans est l'un des premiers sur les violations des droits de l'Homme commises en Gambie, petit pays d'Afrique de l'Ouest et ex-colonie britannique.
C'est la première fois depuis l'ouverture des audiences en avril au tribunal de Celle (Basse-Saxe) que l'accusé s'est exprimé sur les faits.
Cet ancien chauffeur présumé des escadrons de la mort comparaît pour crimes contre l'humanité, meurtres et tentatives de meurtre entre 2003 et 2006.
Il est notamment jugé pour sa participation à l'assassinat par balles du correspondant de l'AFP en Gambie Deyda Hydara, le 16 décembre 2004 et encourt la prison à perpétuité.
"Je n'ai pas participé à ces actes", a dit en allemand son avocat, qui a lu devant le tribunal une longue déclaration écrite signée par l'accusé, Bai Lowe.
- "Roi à vie" -
Arrivé coiffé d'une casquette noire qu'il a retirée pendant l'audience découvrant son crâne rasé, le suspect a écouté la traduction simultanée en anglais de son texte.
Dans sa déclaration, il a affirmé avoir répété par le passé ce que d'autres personnes lui avaient raconté sur les faits.
Pour expliquer pourquoi il s'était accusé d'actes qu'il n'aurait pas commis, notamment lors d'interviews, il a mis en avant sa volonté de montrer à ses concitoyens la cruauté du régime de Yahya Jammeh (1994-2016).
Il a déclaré avoir accepté une interview en 2013 d'une radio gambienne basée aux USA car le journaliste lui aurait affirmé que Yayha Jammeh avait l'intention de "se nommer roi à vie" au moment des élections de 2016, ce qui aurait rendu pérenne la dictature.
Dans cet entretien de plus d'une heure, toujours accessible en ligne et principale pièce à conviction, il détaille sa participation aux attaques dont il est accusé.
Jeudi, il a estimé que cette interview avait permis "aux gens en Gambie d'apprendre la vérité" sur les pratiques du dictateur, les poussant à ne pas voter pour lui en 2016.
Comme prévu, l'accusé n'a répondu à aucune question, son avocat n'excluant pas qu'il le fasse plus tard, par son intermédiaire.
Interrogés après l'audience, les victimes ou leurs avocats n'ont accordé aucun crédit à ces affirmations d'innocence.
- "Extrêmement peu crédible" -
Dans un courriel à l'AFP, Baba Hydara, fils de Deyda Hydara, s'est dit "déçu, insulté et trahi par la déclaration de Bai Lowe qui trahit le bon sens".
Son avocat, Patrick Kroker, a ajouté, également par courriel à l'AFP: "la déclaration de l'accusé semble construite et lacunaire. De plus, elle a déjà été contredite à plusieurs occasions par les preuves recueillies jusqu'à présent".
L'avocat d'Ida Jagne, présente dans la voiture de Deyda Hydara quand il a été assassiné, a aussi rejeté les affirmations de Bai Lowe. "C'est extrêmement peu crédible", a dit Peer Stolle, à des journalistes après l'audience.
La journaliste gambienne Fatou Camara, qui avait interviewé l'accusé en 2014, a déclaré que le récit qu'il lui avait fait à l'époque "en tant qu'ancien membre de l'armée gambienne présent lors de ces meurtres" était autrement plus convaincant.
"J’espère qu’il trouvera le courage de venir raconter aux gens ce qui s’est réellement passé", a-t-elle affirmé à l'AFP. Elle-même doit témoigner à Celle les 3 et 4 novembre.
Réfugié en Allemagne depuis 2012, Bai Lowe avait été interpellé à Hanovre en mars 2021.
Alors que Yayha Jammeh vit en exil en Guinée équatoriale, pays avec qui la Gambie n'a aucun accord d'extradition, la justice commence lentement à faire son travail sur ses 22 ans de dictature.
Le 14 juillet dernier, ont été condamnés à mort à Banjul cinq ex-responsables des renseignements gambiens pour le meurtre en avril 2016 d'un opposant sous Jammeh.
Ousman Sonko, ex-ministre de l'Intérieur, fait pour sa part l'objet d'une enquête en Suisse depuis 2017 pour crimes contre l'humanité. Le procès d'un autre collaborateur de M. Jammeh, Michael Sang Correa, inculpé en 2020 aux Etats-Unis, pourrait débuter en 2023.
2 Commentaires
Justice
En Octobre, 2022 (15:21 PM)