« L’âme supérieure n’est pas celle du pardon,
c’est celle qui n’a pas besoin de pardon »
Il faut reconnaître à maître Wade ses qualités de capitaine. Contre et envers tout, il nous mène en bateau depuis plusieurs mois maintenant. C’est lui qui met les mâts, lève les voiles, change de cap au gré des vents. Il n’y avait aucune preuve contre Idrissa Seck, il y en a maintenant assez pour le remettre en prison. Il semble d’ailleurs que la personne qui lui pose le plus de problèmes, dans cette affaire, est bien cette notaire, amie de son avocat maître Ousmane Sèye (eh oui), qui ne veut pas la fermer. Il voulait noyer le débat post électoral dans des pseudo accusations, et il a réussi. Moustapha Niasse s’est même permis, pardi, des « excuses » au peuple ! La théâtralisation a bien réussi, et le nouvel élu s’est présenté en justicier de Ndoumbelaan, prêt à envoyer Mc Hummer à la casse.
Le président n’ignorait rien. Il savait les actes prescrits, pour ce qui concerne les licences de pêche russes. Quinze années se sont écoulées, et nous pouvons lui en vouloir d’avoir bloqué la machine judiciaire, et de permettre à des bandits au col blanc de passer l’éteignoir. Encore que, dans cette histoire de licences de pêche, il y en a une qui est plus scandaleuse, et dont on ne parle pas, alors qu’elle date d’il y a seulement cinq ans. Le président de la République a pris sur lui-même la décision d’exonérer une société, Sénégal Pêche, de 5 milliards d’impôt, et fait expulser illégalement des chinois en conflit avec un des actionnaires. Leur avocat s’appelait Madické Niang, et un jeune et brillant fiscaliste en a perdu son poste de conseiller, alors qu’il s’agissait d’une affaire montée de toute pièce pour financer le Pds. Wade bluffe. Il ne touchera ni à Habib Thiam, ni à Ousmane Tanor Dieng, encore moins à Moustapha Niasse. Ils savent trop de choses sur lui. Il a, à mon avis, un contentieux plus grave à régler avec Habib Thiam. L’ancien Premier ministre l’accuse dans son livre paru aux éditions du Rocher, « Par devoir et par amitié », d’avoir fait assassiner Me Babacar Sèye. Il n’a jamais répondu à ces accusations, en se réfugiant derrière la décision rendue par la Justice, alors que des éléments tangibles l’incriminent.
Le seul qui risque d’en pâtir à jamais, c’est Idrissa Seck. C’est dommage qu’il soit le seul sur qui la meute aboie, mais il ne doit en vouloir qu’à lui-même. Wade le dit à tous ses proches : il a filmé et enregistré ses aveux dans son bureau. Il le dit en rigolant, il a utilisé la méthode Idrissa contre Seck. Cette façon de faire est peu orthodoxe, mais c’était à la guerre comme à la guerre.
Il y a eu une longue littérature sur cette affaire. Parfois, ils ont abusé de notre naïveté, en nous racontant les choses les plus invraisemblables. La chose est très simple. Ces gens, sur qui nous fondions un grand espoir, ont profité de la manne financière qui est tombée sur le pays au lendemain de l’alternance, pour planquer des sommes importantes à l’étranger. Wade a lui-même appelé Idrissa Seck, pour lui dire « j’espère que tu mets de l’argent de côté. Tu dois te préparer pour 2012, et c’est maintenant qu’il faut le faire, il faut le mettre à côté ». Quand leur séparation est intervenue, Wade s’est légitimement intéressé à cette manne financière, qu’il prend pour son dû, et qui pouvait être utilisée contre lui. Contre cet argent, Idrissa Seck a voulu et le Pds, et l’Assemblée nationale. Il semble qu’il ait surestimé ses forces, et sous-estimé celles d’Abdoulaye Wade. La ballade qu’il a entamée à l’approche des législatives risque de rester une balle de plomb dans sa tête. Il s’est mis à dos une partie de l’opinion, une partie de l’opposition, et bientôt tout le pays. Alors que cet argent n’est que le fond de tiroir d’une fraude gigantesque impliquant le président de la République et sa famille. Il n’est certainement pas le plus mauvais de la troupe.
Wade s’en fout au fond qu’on le prenne pour un menteur, ou un bandit. Ses principes sont solubles, et c’est là toute sa force. S’il s’entendait à nouveau avec Idrissa Seck sur le partage de cet argent, il ne se gênerait pas à revenir devant la télévision nationale pour clamer haut qu’il n’a rien fait. Il est très flexible avec la vérité et la morale, et c’est tant mieux pour lui. Tout son cirque ne visait qu’à évacuer le débat sur le contentieux électoral, et bloquer toute initiative en direction des prochaines législatives. Il doit quand même nous dire qui lui a donné l’autorisation d’aller discuter avec un détenu, pour conclure un accord avec lui. Dans n’importe quel pays, on l’aurait mis en examen pour mensonge et entrave à la Justice.
Croyez-moi chers lecteurs, c’est une pile de feuilles blanches qu’il a brandies lors de sa conférence publique, comme « preuve » contre Idrissa Seck. S’il avait ce protocole, il n’attendrait pas un an pour le sortir. Il croit aux vertus du mensonge, quand il s’agit de se tirer d’affaire. Nous sommes quand même un pays singulier. Le président de la République détient dans un document des aveux aussi graves, le présente publiquement, ne les met pas à la disposition de la Justice. Aujourd’hui, il nous fait croire qu’il les avait, même quand il déclarait à la télévision nationale, qu’il n’y avait aucune preuve contre Idrissa Seck. Et nous continuons à penser tout ceci normal, comme s’il nous avait tous mis sous hypnose.
Abdoulaye Wade est un homme doué. Il a réussi, par un art que lui seul maîtrise, à faire passer tous ses opposants pour de vulgaires piliers de cabaret, et son fils Karim pour un kalife. Il y a deux mensonges qu’il faut rétablir à ce sujet. Karim Wade n’est pas sorti de la Sorbonne, il est sorti de Jussieu. Il n’était pas directeur à Londres, il était courtier, ce que faisaient tous les diplômés en finances qui n’arrivaient pas à trouver du travail dans les banques françaises. S’il avait cette « ingénierie » que son père lui trouve aujourd’hui, il n’aurait jamais émigré en Angleterre, puisqu’il n’est quand même pas anglophone… Le débat que le géniteur politique veut instaurer entre un fils putatif « voleur » et un fils biologique « bon » n’a d’ailleurs aucun sens. S’il respecte l’intelligence des sénégalais, il doit comprendre que nous ne l’avons pas élu pour qu’il nous désignât un successeur. Mais là aussi, il fait glisser insidieusement la question sur qui doit succéder, et non sur la succession elle-même, alors que c’est inadmissible.
En 1981, quand Senghor a désigné Abdou Diouf comme successeur, Abdoulaye Wade a piqué une vive colère. Pas contre l’idée de se désigner un successeur, dans un système démocratique. Non. Il a expliqué que des gens comme Maguatte Lô lui ont confirmé que c’est lui que Senghor voulait désigner à la place de Diouf.
Le vrai dossier, nous l’aurons bientôt. C’est l’entrée en scène de Karim « génération du concret ». Pendant deux ans, il a pris des cours, et assimilé le Wolof.
Il a fait une apparition à Usine Niarry Tally, à quatre jours de la fin de la campagne électorale. Pour la première fois, il a pris la parole dans un meeting politique, sans que cela nous paraisse suspect. C’était son entrée en matière. Wade a raison, il est le seul qui lui ressemble. Il est aussi rusé, aussi déterminé que son père. Et il a de l’ambition pour le Sénégal. Mais qui sait, peut-être que lui aussi devrait se méfier. Chez Wade, l’épée a toujours accompagné le compliment. C’est l’idée d’un prétendant qu’il n’arrive pas à supporter.
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