
Il est de certains démocrates autoproclamés qui, usant en vrais démocrates des moyens légaux et légitimes de la démocratie, une fois au pouvoir, abusent systématiquement de celle-ci. Et par leur comportement, transforment ce bien public en propriété privée et partisane. La République devient alors un instrument de puissance aux mains et à la merci d’élus si absorbés par les privilèges de leur élection qu’ils sont oublieux de tout. La démocratie, c’est comme l’amitié ou la justice véritables.
Rien n’est plus commun que le mot, rien n’est plus rare que la chose en soi. Ainsi seulement peut se comprendre la volonté purement politique du président de la République de mettre en place un Haut conseil des collectivités territoriales. Mais surtout les tiraillements que l’élection des membres de cette institution suscite dans toute la classe politique, notamment au sein de la mouvance présidentielle.
En vérité, loin des piliers institutionnels de la République, des préoccupations vitales des citoyens ou d’une quelconque volonté de renforcement de la démocratie, ce Haut conseil est trop haut par rapport à l’essentiel. Si haut que finalement, il ne s’agit que d’un instrument de pouvoir qui n’intéresse et ne mobilise que les gens du pouvoir, gens de pouvoir qui ne s’agitent que pour conforter celui dont ils disposent ou aménager des parcelles de pouvoir à ceux d’entre eux qui n’en ont pas encore.
Qui plus est, ce Haut conseil procède et participe de la volonté unilatérale et de la décision irrévocable d’un chef omnipotent qui par ce biais, parfaitement biaisé, va manipuler la légitimité des élus locaux pour leur confectionner une Chambre où leur pouvoir se limitera aux privilèges que la plupart d’entre eux ne devront qu’au président de la République, de l’Apr et de Bennoo… A qui désormais, ils croiront devoir, éperdument, éternelle reconnaissance et soutien inconditionnel à la prochaine Présidentielle.
Si bien qu’au mieux, cette élection ne sera qu’un arrangement privé et partisan entre politiciens qui ne s’investissent en politique que comme des chevaliers d’industrie. De ce point de vue, les propos de Massar Ndoye, membre du Bureau politique du Ps et premier adjoint au secrétaire général de la coordination communale de Louga, ont quelque chose de tragique pour toute la classe politique : «Il faut reconnaître, confesse-t-il, que notre coalition a des difficultés, mais le Parti socialiste y est traité avec les honneurs.
Nous sommes bien représentés à l’Assemblée nationale, avec deux ministres dans le gouvernement, donc nous ne pouvons que poursuivre l’aventure avec nos frères de Bennoo Bokk Yaakaar.» Aventure fort ambiguë, qui ne nous engage pas dans la quête de l’authenticité et de la foi, comme le héros de Cheikh Hamidou Kane. Pourtant paradoxalement, le réalisme cynique de ce discours lui confère en même temps une dimension presque morale : celle du devoir de vérité.
Même si, en l’occurrence, il s’agit d’une parole à la fois inconsciente et opportuniste, exclusivement destinée à expliquer et justifier le déchaînement de tous nos élus autour de ces postes haut perchés. Finalement, devant le comportement actuel de nos «élites» politiques, qui hélas, n’a rien d’inédit ni de proprement scandaleux, le constat est constant, le verdict sans appel : le Sénégal dispose d’une véritable démocratie, mais de démocrates véritables, point du tout.
Lorsqu’ils sont dans l’opposition, démocrates hypothétiques et par défaut, nos politiciens se mettent exclusivement au service de la République et à la disposition des citoyens, en attendant, le cas échéant, de transformer celle-ci en forteresse imprenable de leurs privilèges d’élus, et ceux-là en simples électeurs. Si bien qu’en définitive, pour comprendre «ces gens-là» et tirer une morale de leur comportement, on peut avoir recours à la lice de la fable. Sur le point de mettre bas et ne sachant où s’abriter, elle se montra si mielleuse devant sa compagne que celle-ci finit par lui prêter sa hutte.
«Au bout de quelque temps, sa compagne revient. La lice lui demande encore une quinzaine. Ses petits ne marchaient, disaient-elle, qu’à peine. Ce second terme échu, l’autre lui redemande sa maison, sa chambre, son lit. La lice cette fois, montre les dents et dit : je suis prête à sortir avec toute ma bande, si vous pouvez nous mettre dehors. Ses enfants étaient déjà forts.» Forts de l’hospitalité de leur hôte et de l’ingratitude de leur mère. Aucune lice ne sera jamais que lice, quoi qu’elle promette : foi de lice…
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