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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

Chronique du lundi : Karim, Boy Djinné

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Photo : Seneweb.com

Le vol, puis l’envol. Dans leur insoutenable banalité, ces deux termes résument parfaitement les péripéties de l’affaire Karim Wade. En effet, après avoir été accusé d’avoir volé des milliers de nos milliards, une sortie nocturne lui a été aménagée.

Pour un envol si haut, si loin qu’il est désormais hors d’atteinte de nos miasmes morbides de citoyens ordinaires. Hier forçat parmi les forçats, aujourd’hui en état de grâce par la grâce de son «bienfaiteur» de Président, qui s’est subitement rappelé qu’ils étaient «frères». Comme lui, il s’élève bien au-dessus de la masse informe que constitue le peuple.

Pour, en toute solennité, «rendre grâce à Dieu» de cette grâce présidentielle, «remercier» les khalifes généraux, de Touba et de Tivaouane, Serigne Abdoul Aziz Sy, Monseigneur Benjamin Ndiaye, ses frères de parti…

Prisonnier libéré, il reprend l’initiative et s’impose sur la scène politico-médiatique comme sujet et objet de communication, leader politique désormais incontournable. Toute la presse, toute la classe politique, sont ainsi irrésistiblement entraînées dans son sillage : les uns en font leurs choux gras, les autres un sujet de controverse purement politicienne. Si bien que depuis quelques jours, la clameur Karim est si assourdissante que de nos milliards volés et qu’aucune traque n’a permis de retrouver, plus personne ne parle.

Le peuple pour sa part, toujours empêtré dans ses contradictions existentielles ordinaires, observe le jeûne et garde le silence. Suivant en cela le conseil du poète mexicain Octavio Paz : «Savoir parler a toujours été savoir se taire, savoir qu’il ne faut pas toujours parler.» Car dans certaines situations, le mépris silencieux est beaucoup plus éloquent que les pamphlets les plus incendiaires.

De ce point de vue, en libérant Karim Wade, Macky Sall libère sa conscience et se libère lui-même de l’impasse politico-judiciaire où les abus de son propre pouvoir l’avaient emprisonné. Si bien que désormais, à l’intérieur de cette Zone franche que constituent les cercles du pouvoir d’Etat et du terrain politique, tout bien mal acquis finit toujours en parfaite sécurité : inaccessible à toute justice, aux récriminations indignées de populations abusées et désabusées par les agissements de ces gens-là.

Au demeurant, cette grâce présidentielle, de même que l’exil au Qatar qui lui est consécutif, ne sont en réalité que d’autres formes d’emprisonnement que Macky Sall et Karim Wade s’infligent de manière inconsciente et involontaire. Pour que progressivement, dans leur inconscient de politiciens comme dans la mémoire collective, la conscience de la durée se fasse bonne conscience.

Dans tous les cas, grâce, amnistie, libération conditionnelle…, aucune parade ne peut absoudre ni l’un ni l’autre, encore moins les soustraire à l’implacable vérité des faits : des milliers de nos milliards ont disparu en plein jour. Les lumières de la justice qui cherchaient à y voir clair sont aujourd’hui assombries par la grâce présidentielle.

Dont la force impérieuse constitue, en l’occurrence, une gigantesque entrave à la marche de notre pays vers une démocratie véritable, une justice libre, forte et équitable, des dirigeants vertueux, un État de droit où on dit le droit. Ainsi, même libres, les responsables d’une telle forfaiture sont en prison dans l’intimité de leur conscience, convoqués pour l’éternité devant le tribunal de l’Histoire.

En définitive, depuis 2000, la prison de Rebeuss se transforme en une sorte de Cour de Cassation des décisions de justice. Un lieu de Protocoles où, après avoir abusé de positions de pouvoir pour commettre des crimes en milliards, nos dirigeants se réaménagent une nouvelle virginité politique. C’est pour cette raison que le Président Sall s’est senti obligé de justifier sa «générosité» par des considérations «humanitaires».

Plaisante excuse, qui nous rappelle cette vérité proverbiale : «Qui s’excuse s’accuse.» Quant au ministre de la Justice, il a cru devoir nous servir un cours magistral sur la grâce. En prenant soin de préciser que «les prisonniers sont libres, mais la traque de l’argent continue.» Depuis trois ans qu’elle a été lancée, cette traque peut prendre son temps, et continuer…jusqu’à l’extinction du soleil. En attendant, Karim Wade se la coule douce à Doha. Comme Boy Djinné à Banjul.



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