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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

CHRONIQUE : Les naufragés

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CHRONIQUE : Les naufragés

« L’imagination a été inventée
pour alimenter l’espoir »
Roger FOURNIER

Nous aurions pu imaginer toutes les fins, sauf celle-ci. Une République à la dérive, noyée par les cris de ceux qui, il y a seulement 8 ans, avaient accueilli le promoteur du Sopi en libérateur. Le Sopi est né dans la paysannerie, précisément dans le Saloum arachidier. Mais il a connu ses lettres de noblesse dans les populeuses banlieues de Dakar, chez les jeunes désœuvrés. C’est ce monde un peu trop sensible à la démagogie étatique qui se sent trahi à nouveau. Mais le professeur ne regrette rien. Il traîne toujours sa sonde dans les résidences luxueuses d’Europe, fait des apparitions forcées sur les perrons présidentiels, avant de retourner en immersion. Depuis un mois, aucun propos qui vienne de notre président de la République. C’est Farba Senghor et Adjibou Soumaré qui parlent à son nom. Personne ne l’entend, comme si nous étions indignes de sa compassion.
Je disais à un grand ami qu’Abdoulaye Wade a mis son cerveau en mode veille. Mais je suis persuadé maintenant qu’il l’a éteint, pour ne plus avoir à être interpellé par sa propre conscience. Depuis huit ans, il s’est installé dans un simulateur pour piloter un pays virtuel qui émerge, exporte du pétrole, fabrique des TGV, construit des centrales nucléaires. Il a fait passer son fils du Nintendo aux grands chantiers de l’Etat sans la moindre préparation. Un jeune immature est malheureusement aussi dangereux qu’un vieillard sénile. C’est Abdoulaye Wade qui théorise l’impunité, Karim Wade qui la pratique. Il faut avoir énormément de culot pour aller négocier l’usage de l’uranium, alors que nos ménages manquent d’électricité et d’eau courante. Je me rappelle encore de l’irresponsabilité avec laquelle Abdoulaye Wade disait, il y a quelques années, qu’il avait tellement de cash dans les caisses qu’il ne savait pas comment l’utiliser. Son fils l’a pris au mot. Il s’est laissé vider les caisses avec ses amis pour construire les routes de l’argent.
Ce sont ces folies, répétées à longueur d’années, qui ont conduit l’entreprise Sénégal à la faillite. Personne n’avait le droit de prévenir le père et le fils du désastre qui nous attendait. Abdoulaye Wade gère ce pays comme un chef de gang, avec les méthodes d’Al Capone. Ceux qui ne se soumettent pas à sa logique criminelle sont traînés au coin de la rue et descendus avec une balle de plomb.
Nous lui en voudrons pour toujours. Mais nous devons aussi en vouloir à tous les complices qui ont accompagné et même soutenu ce pillage systématique des ressources du Sénégal. Quelques jours avant la tenue du sommet de l’Oci, Karim Wade et ses hommes ont autorisé le paiement d’une avance de 3 milliards aux gestionnaires du bateau de croisière loué pour les besoins du sommet. Ils sont partis de l’idée que les chambres seraient occupées, et que les paiements effectués permettraient de payer les 5 milliards restants. Un prix qui dépasse l’entendement, quand on sait les prix pratiqués sur le marché européen. Il n’y a eu que 250 occupants sur les 1200 attendus. Conséquence de cette folie, le Trésor national a payé le reste de la note. L’Etat a aussi assumé la réfection de nombreuses maisons aux Almadies, qui n’ont jamais été occupées. On pourrait citer les six milliards payés à l’avance à la société De la Rue avec l’argent du Trésor. Le chèque de 100 milliards de Sudatel a fini dans des comptes bancaires au Qatar et en Suisse. Le contribuable a aussi souffert de l’expansionnisme du chef de l’Etat. En huit ans, Abdoulaye Wade a transformé et agrandi sa maison du Point-E, rasé et reconstruit la maison familiale de Niarri Tally, rasé et reconstruit la maison de Versailles. Il a fait l’année dernière deux acquisitions : Une à Paris, une autre en Suisse dans laquelle il ne loge que quelques jours dans l’année. Cette résidence aux abords du Lac Leman, appartenait à l’ancien dictateur Mobutu Sese Secko, figurez-vous !

Mardi dernier, Adjibou Soumaré s’est jeté comme un désespéré sur une aide de 100 mille dollars de la Chine. Cette somme ne représente rien, mais l’Etat va chercher les petits sous partout pour les petites gens. Mais ce qui fait notre malheur, ce n’est pas la faillite de l’économie nationale et la privatisation du Trésor public. C’est la faillite de l’Etat et de ses représentants. La présence du président de la République dans des moments aussi difficiles pour les populations n’est pas un privilège, c’est une exigence. Dans n’importe quel autre pays, le chef de l’Etat aurait écourté ses vacances pour visiter les zones inondées et apporter une aide financière d’urgence aux sinistrés. Les premières inondations ont touché le pays le 11 août dernier. Un mois après, Abdoulaye Wade poursuit ses vacances sans être dérangé. C’est cette impunité et ce je-m’en-foutisme à un niveau aussi élevé qui est inacceptable. Ceux qui jouissent des privilèges de la République ont déserté le pays pour laisser les populations à elles-mêmes. Karim Wade s’était déclaré de la banlieue alors qu’il n’avait jamais mis les pieds hors du centre-ville et de ses quartiers résidentiels. La moindre des choses que les jeunes de la banlieue devraient exiger de lui, c’est qu’il aille se rendre compte de lui-même de leurs conditions de vie. Il est le premier responsable de ce naufrage économique et social. L’Etat a renoncé à tout, même à la péréquation qui assurait aux populations défavorisées l’accès aux denrées de base comme le riz. Mais c’est pour soutenir le train de vie de son chef.
Depuis qu’Abdoulaye Wade s’est réélu confortablement, il n’assure plus que les fonctions de police. Il punit ceux qui peuvent l’être pour assurer la pérennité de son régime. C’est ce qui fait de Farba Senghor et d’El Malick Seck les victimes d’une même logique de « kariminalisation », pour reprendre un néologisme cher à Talla Sylla. La promesse de livrer Farba Senghor à la Justice, puisqu’il ne s’agit que d’une promesse tant que gougnafier restera libre, permet d’assurer sans conséquence aucune l’emprisonnement d’El Malick Seck. Nous ne pouvons qu’être heureux du malheur qui arrive à Farba Senghor. Mais l’acharnement sur sa personne donne l’impression qu’il est le seul coupable, alors qu’Abdoulaye Wade est le seul comptable. On ne sait pas de quoi ce banditisme est le nom, mais il en est le chef suprême. Il a laissé impunis des crimes plus graves que la mise à sac des locaux de l’As et de 24 heures. C’est pourquoi il est permis de douter de son engagement de traduire Farba Senghor devant la Justice. Il y a deux choses dont son autocratie viscérale ne peut s’accommoder, c’est l’indépendance des juges et la liberté de la presse. On peut en vouloir à Nicolas Sarkozy pour de nombreuses raisons, mais il a été intraitable  mercredi lors de sa rencontre avec Abdoulaye Wade. Il lui a fait savoir que les attaques contre la presse sont contraires à l’Etat de droit, et que l’idée de positionner son fils est contraire aux principes démocratiques les plus élémentaires. Karim Wade veut s’emparer des municipalités et de l’Assemblée nationale en 2009, pour s’ériger en successeur de son père. Sarkozy a clairement rejeté ce scénario, précisant que le Sénégal ne mérite pas ce grand recul. Nous devons cette position de fermeté à Rama Yade. Mais le président français ne fait que  reprendre un sentiment déjà exprimé par le Secrétaire général de l’Onu pour expliquer l’échec du Sénégal dans la course au commissariat des Droits de l’homme des Nations Unies. Le poste est revenu à un autre pays africain. Sur la scène internationale, nous sommes descendus au même niveau de cotation que le régime de Mugabé. Je trouve ce traitement injuste pour le président du Zimbabwé. Mugabé n’a pas enrichi ses enfants. Il n’a jamais tué un juge. Il n’a jamais exprimé son intention de se faire succéder par son fils.



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