
C’est pourquoi, la récente sortie de Kara sur la gouvernance du Mouridisme a ainsi fait l’objet d’une interprétation inopportunément hâtive et maladroite. Cet empressement, avec son cortège de délations et de diatribes, a fini par susciter un certain malaise heureusement passager au sein d’une petite partie de la communauté mouride.
Mais qui est d’abord Kara? Fils de l’illuminé Serigne Ousmane Mbacké Noreyni, lui-même fils de Mame Thierno Birahim Mbacké, Fondateur de Darou Mouhty et soldat pionnier du Mouridisme, il est un homme libre qui croit en l’émancipation des masses. Avec la marche du temps marquée par l’urgence d’une redéfinition d’un projet humain, il se détermine comme un missionnaire dont le devoir est de promouvoir une idéologie endogène qui y mène : le bambisme. Et il manifeste ce crédo par son Mouvement Mondial pour l’Unicité de Dieu devenu aujourd’hui le Mouvement Bamba Feep qu’il veut légitiment planétaire. Du titre de Général qu’il se donne, il passe à celui de Sultan, suscitant une controverse normale dans les palabres publiques.
Ensuite, lorsque Cheikh Ahmadou Bamba fut déporté au Gabon pour y être interné dans le but d’anéantir sa force et son influence sur les populations, il ne pensa à personne d’autre qu’à Mame Thierno Birahim (grand-père de Kara), pour la protection de sa communauté et la promotion de son enseignement. Du 21 Septembre 1895 au 11 novembre 1902, celui-ci accomplit scrupuleusement les recommandations de son frère exilé, en assumant toutes les responsabilités religieuses, politiques et familiales de celui-ci. Mieux, il joua, auprès de l’Autorité coloniale, les rôles idoines pour la défense du Mouridisme et la protection de sa communauté avec une détermination digne d’un soldat au front. Ainsi, pour Kara, être Mouride, c’est être aussi dans la pacifique soldatesque avec la vertu absolue de la non-violence. C’est sa certitude.
Enfin, lorsqu’en 1927 Cheikh Ahmadou Bamba rendit l’âme, l’Administration coloniale et l’écrasante majorité des disciples mourides crurent que Mame Thierno Birahim serait le Khalife. Cette conviction et cette attente s’expliquaient à l’époque par le simple fait qu’au-delà du combat homérique qu’il a mené pour le Mouridisme, jamais on ne voyait le Cheikh sans apercevoir à ses cotés Mame Thierno Birahim. Mais, par éthique et soumission, celui-ci désigna publiquement son neveu, Serigne Moustapha Mbacké, fils ainé de son frère, ami et maître Cheikh Ahmadou Bamba pour être le Khalife. C’est cette séquence de l’histoire qui a incontestablement servi de muse à Kara lors de sa sortie.
Certes il aurait pu communiquer davantage pour annihiler toute énigme. Mais pour qui l’a suivi, sa sortie sur le Khalifat du Mouridisme n’est point un glissement. C’est plutôt une volonté d’enflammer davantage cet immuable esprit d’ouverture qui caractérise la communauté mouride et forge la force de ses guides. Seulement, dans l’oralité religieuse, le discours peut parfois avoir une particularité ressemblant à une sorte d’aparté qui fait de chaque meneur de foule un détenteur de mystère et de mystique. Or, dans un amphithéâtre d’inconditionnels, tout dialogue devient un soliloque quand on n’est pas compris.
Mais il est indiscutable que la loyauté prescrite par le Ndiguel demeure plus que jamais un signe identitaire des guides et disciples mourides. Leurs chemins mènent aux Cheikhs qui, eux, mènent au Khalife Général qui, à son tour, mène à cheikh Ahmadou Bamba qui, in fine, conduit au Prophète (PSL). Serigne Modou Kara ne peut donc se donner la liberté de rompre d’avec ces principes. Ce serait suicidaire. Seulement, le Sénégal a connu une ample révolution de l’information qui donne à certains un pouvoir vicieux dans le débat cérébral et dans l’interprétation hâtive des sorties publiques.
Les acquis démocratiques, les conquêtes populaires et l’expansion des forces confrériques ont crée au Sénégal un nouvel ordre qui consacre le passage de l’hégémonie politique et maraboutique élitiste à la souveraineté des masses devenues libres dans ce qu’elles pensent et disent. Mais Kara ne veut et ne peut, au nom de cette évolution démocratique, dégrafer l’unité de la communauté mouride en imposant un nouvel ordre dans le Khalifat. C’est impossible.
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