« Sans la liberté de blâmer,
il n’est point d’éloge flatteur »
BEAUMARCHAIS
On m’a accusé cette semaine de tous les mots, et surtout d’être un agent de Wade, par mes attaques ciblées contre l’opposition. Qu’ai-je dit ? Que quant au fond, cette opposition républicaine décrétée par les magnats de l’ancien régime a été une licence à l’impunité pour le pouvoir en place. Sa faillite ne fait pour moi l’objet d’aucun doute. Abdoulaye Wade a surpeuplé l’Assemblée nationale, occupé le Sénat, et mène à bout de bras toutes les réformes institutionnelles dont le but ultime est de maintenir au pouvoir sa caste de prédateurs. Toute l’économie nationale est ruinée et transformée en une grosse tontine familiale, tout le tissu social déchiré en lambeaux. Cette façon de s’opposer qui consiste à dire « laissez-le gouverner, les élections viendront » a mené à ce désastre, puisque le chef de l’Etat est le seul à décider où et quand les élections viendront. Quand l’opposition a décidé il y a moins d’un an de quitter l’Assemblée nationale, il allait de soi que le seul espace de revendication qui lui restait devait être la rue. Mais les seuls qui se soient fait entendre depuis, ce sont les marchands ambulants. Leur succès ne vient pas du seul fait de leur nombre. Il vient du fait que quand on n’est pas content, on ne se donne pas un délai pour l’exprimer. C’est ce que cette opposition républicaine peine encore à comprendre. Une manifestation ne se prépare pas dans un mois, dans deux mois, avec un agenda et un stylo. Il ne s’agit pas de regarder une case vierge et de cocher dessus. Il y a deux semaines, Ali Haïdar est sorti ragaillardi d’une rencontre du Front Siggil Sénégal sur le report des élections locales. Il promettait « des tournées des leaders à la base et des manifestations devant les préfectures et les gouvernances le 18 mars, jour de dépôt des candidatures ». Ce fameux 18 mars, il n’y a eu aucun leader dans aucune base, et seuls quelques téméraires ont osé défier l’autorité préfectorale. La décision de marcher est ce qu’il y avait de mieux à faire. Mais on ne décide pas d’occuper la rue dans des délais aussi longs. Les problèmes des sénégalais seront certainement les mêmes dans un ou deux mois. Ils seront liés à la cherté de la vie et à la réduction de leur pouvoir d’achat. Mais ce qui va changer, c’est la priorité qu’ils accorderont à une question plutôt qu’à une autre.
Et c’est grave qu’à ce jour, aucune partie prenante aux assises nationales ne soit capable de dire quand est-ce que les assises vont se tenir, et qui va les financer. Pendant que l’opposition s’arcboute sur l’organisation des Assises nationales, Abdoulaye Wade est en train de ruiner les derniers fondements de notre dispositif juridique avec son nouveau projet de réforme constitutionnelle. C’est un peu comme si notre machine judiciaire tournait à l’essence, et qu’un jour, le mécanicien principal décide de nous ramener la vieille machine à vapeur. A partir de la semaine prochaine, nous n’aurons plus de Conseil constitutionnel, plus de Conseil d’Etat. Nous aurons une Cour suprême comme à l’ancienne, dont les membres seront sournoisement désignés par le président de la République. Ce projet de réforme a été engagé à l’exclusion de l’union des magistrats, du seul fait de la haine viscérale de Wade à l’égard de son président Aliou Niane, connu pour son indépendance de ton. Or, il est à peu près évident pour tous qu’après une mise au pas du législatif, le président de la République cherche à contrôler le pouvoir judiciaire, après avoir tout fait pour le discréditer. Pendant que Wade l’éventreur passe au bistouri notre Constitution, les opposants-infirmiers accusent « le peuple » de non assistance à personne en danger. C’est une dialectique surréaliste. Partout, dans l’histoire, les élites ont montré le chemin, et les peuples ont suivi. Pour la première fois dans notre histoire, l’élite de ce pays dit à son peuple « passez devant, vous allez prendre les coups, et nous on va suivre ». L’Anoci a dépensé en trois années 16 milliards de francs, juste pour son fonctionnement, sans que l’on puisse dire où est passé cet argent. Sans que l’on puisse savoir pour quelle communication Richard Attias, ami de Karim Wade, a été payé lors du sommet de l’Oci. La réponse à ces questions est plus urgente que les assises que l’opposition veut organiser avec autant de bruit.
Ce que je dis là ne remet pas en cause la valeur et les mérites d’hommes qui se sont battus pour le même peuple, pour le même but, plus d’une fois. Il ne me viendra jamais l’idée de remettre en cause le mérite et la sincérité d’hommes exceptionnels comme Amath Dansokho ou Abdoulaye Bathily. Nous sommes tous d’accord qu’il y a de bonnes raisons de s’opposer à ce régime nauséabond. Mais nous ne sommes pas d’accord sur la façon de s’opposer. Il y a au sein de ce Front Siggil Sénégal, ceux qui regardent devant eux et ceux qui regardent le bout de leurs souliers; ceux qui pressent le pas et ceux qui traînent les pieds. Nous aurons fait de grandes enjambées dans le bon sens lorsque nous comprendrons, contre l’avis de certains apparatchiks, qu’on ne peut pas faire de l’opposition républicaine avec un antirépublicain. Cette façon de faire de l’opposition à domicile n’est pas du réalisme, c’est de la résignation. Or, c’est ce qu’il ne faut pas avec quelqu’un qui ne prend son pied qu’en humant l’ai piqué des lacrymogènes et qui croit que pour obtenir ses droits les plus élémentaires, il faut les mériter. Le signe patent de la dégradation de nos meurs électorales, c’est qu’Abdoulaye Wade est parti du « on ne peut pas organiser des élections en Afrique et les perdre » au « on peut ne pas organiser des élections en Afrique pour éviter de les perdre ». Chez cet homme, l’alternance démocratique réalisée le 19 mars 2000 a été un accident de l’histoire qui a coûté la vie au PS. Pas plus. Pour le reste, Wade demeure convaincu que nous sommes génétiquement faits pour la dictature, ou quand il se montre plus généreux, pour le césarisme.
On ne peut pas livrer une guerre moderne et civilisée avec un homme de la préhistoire. J’ai été stupéfait d’entendre hier Abdourahim Agne dire que le seul remède à la flambée des prix, c’est l’autosuffisance en 2015. C’est ce qui fait de la résistance à ce régime un impératif de survie. Mais c’est ce que dit le sémillant Khalifa Sall à la suite de Talla Sylla, Abdoulaye Vilane et Barthélemy Dias. C’est pourquoi je me bats pour la modernisation de notre espace démocratique et le renouvellement de notre classe politique. On ne peut pas se battre pour la démocratie à la tête du Sénégal, quand on refuse qu’elle s’applique aux partis politiques. La plupart des élus à la tête des partis le sont pour la vie comme Abdoulaye Wade et comme Abdoulaye Wade, font de la politique depuis 50 ans. Un de ces baragouineurs survoltés m’a fait savoir que ce sont les chefs de parti qui financent leurs organisations de leur poche, et ont donc le droit de réclamer leur place. Je trouve injuste que quelques vétérans retiennent la soldatesque et l’empêchent de batailler, sous le prétexte qu’ils assurent l’intendance. Ils ont transformé des masses de militants en soldats de deuxième classe qui ne savent dire que « oui chef ». D’accord quand le chef de parti doit entrer au gouvernement, d’accord quand il doit sortir du gouvernement. D’accord quand le chef doit collaborer avec l’opposition, d’accord quand il doit suspendre la collaboration. Avant d’entendre un ordre de sa bouche, ils sont déjà au garde-à-vous. C’est ce refus de la démocratie interne et de la différence qui est à l’origine de toutes les scissions dans l’histoire politique de ce pays. L’opposition ne peut pas nous rabâcher pendant toutes ces dernières années que Wade se trompe, et croire à son tour qu’elle est incapable de se tromper. C’est refuser un fascisme d’Etat pour instaurer un fascisme d’opposition. Dénoncer les travers qui nous ont menés à cette grande impasse, ce n’est pas faire le jeu de Wade. Parce qu’il n’y a pas que Wade et l’opposition à Wade. Il y a ceux qui croient à la liberté, à la démocratie et qui se moquent de la discipline de parti. Ce sont ces vérités, couchées sur du papier, qui m’ont valu de la part du tribunal populaire, un certificat de bonne vie et mort. Mais céder au terrorisme de pensée, c’est renoncer à l’exigence de vérité pour laquelle nous nous battons. Ce n’est acceptable ni pour Wade et son régime, ni pour l’opposition.
SJD
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