« Un courtisan est semblable à ces plantes
faites pour ramper, qui s’attachent
à tout ce qu’elles trouvent »
MONTESQUIEU
Le professeur Iba Der Thiam est un véritable Janus des temps modernes, un biface qui fait preuve de la même vigueur langagière, qu’il s’agisse de l’histoire ou de la politique. Il ne se présente jamais comme un historien sans rappeler qu’il est aussi député. Le titre de « professeur agrégé » est celui auquel il tient le plus, puisqu’il l’a obtenu au bout d’une longue et abondante production littéraire, après sa thèse de 1000 pages qu’il a fait transporter en brouette, pour la présenter à son jury. On peut y voir une chose à première vue banale comme l’arrivée du Gouverneur général dans son palais, contée sur plusieurs centaines de pages ou des superlatifs alignés sur plusieurs paragraphes. Mais ce serait manquer à sa réputation que d’oublier ses 1500 questions orales présentées en une seule législature, prouesse qui aurait pu figurer dans le Guiness des records. A lui tout seul, Iba Der Thiam est une curiosité cinématographique. Il peut jouer l’intellectuel émérite avec ses grosses lunettes au cadre marbré, comme il peut se transformer en un tribun à l’ancienne avec son boubou blanc et sa grosse tirelire, donnant de la voix comme savaient le faire les bouffons des cours médiévales. L’homme est ainsi fait qu’il ne peut pas s’abstenir de parler ou d’écrire. Mais il arrive que cette verve inépuisable nuise à sa rigueur et pour tout dire, le fasse passer pour un sot.
Iba Der Thiam donc, a adressé aux journalistes et éditorialistes un communiqué de la Cap 21, réunie –il met en gras- « autour d’un ordre du jour, portant sur l’évaluation de la victoire historique du 23 Juin 2011 et sur les tâches et perspectives en découlant ». Il m’a fallu revoir le calendrier romain pour m’assurer que l’erreur ne venait pas de moi, mais bien de l’Honorable député qui se plaisait à corriger les « coquilles » contenues dans le projet de ticket présidentiel, quand la révolte grandissait hors de l’Assemblée nationale. L’histoire dira s’il s’agit d’une méprise bien voulue, d’un pied-de-nez qu’il a voulu faire à ses « frères » du Pds. Mais il rend justice à tous ceux qui pensent que la date du 23 juin doit rester gravée dans les annales de notre histoire. Je me suis mis à lire ce que ses 60 compères wadistes pour lesquels il a pris la plume entendent par « perspectives en découlant ». C’est-à-dire, précisément, ce qui suit cet aveu monumental qu’il venait de nous faire. Il y est indiqué qu’au terme d’un large débat « autour de la méga-mobilisation de 3 millions de participants, à laquelle, le PDS, locomotive de la Coalition, la CAP 21 et ses 60 partis, les autres partis membres de l’AST ont procédée, la Conférence des Leaders, après avoir rendu grâce à Dieu, tient à présenter ses remerciements, les plus sincères, au peuple sénégalais, pour sa participation massive, compacte, déterminée et engagée au meeting convoqué à la VDN ». Je me suis mis à chercher le complément d’objet direct placé avant l’auxiliaire avoir, dans cette longue phrasée ombrageuse. Je ne l’ai jamais trouvé.
Le reste de ce laborieux montage est de la même veine. On peut y lire que « l’ampleur de la mobilisation, sa massivité, son caractère compact ont dépassé tous les espoirs, comparés au regroupement aéré, opéré à la Place de l’Obélisque, par l’opposition, dans un climat de rivalités fébriles, de préséance sournoises, de huées réciproques, d’invectives assassines et d’exclusion humiliante, de jalousie forcenée et de procès d’intention cinglants, dignes d’une foire d’empoigne ». Sous la plume de l’historien, on entend la voix haletante du laudateur vantant les prouesses de sa noble armée revenue d’une expédition victorieuse. Il arrive même que l’historien verse dans le lyrisme sentimental, quand il évoque le sort de ceux qui n’ont pas pu se déplacer pour participer à cette grande victoire de l’esprit chevaleresque. « Dans de nombreuses Fédérations, des gens pleuraient de n’avoir pas été retenus », affirme-t-il sans se gêner. Les leaders de la Cap 21 se sont même incliné « respectueusement, devant toutes les victimes des évènements des 23 et 27 Juin ». A quelles victimes pensez-vous ? Iba Der Thiam et ses amis parlent de « ceux qui ont perdu leurs biens, à travers le saccage de leurs maisons. La Conférence des Leaders demande au Gouvernement, au Parlement et aux partis, d’envoyer des délégations dans les maisons de tous les responsables, victimes de destructions, pour réconforter leurs familles et pour leur témoigner leur solidarité. Elle demande, en outre, que le Gouvernement et le Parlement examinent des mécanismes de dédommagement, au profit de tous ceux, dont les biens ont été détruits, après une évaluation minutieuse. S’ils étaient restés, sans rien faire, rien ne leur serait arrivé. C’est dans le combat pour l’Alternance, qu’ils ont été ciblés et agressés ».
A partir de ce moment, l’historien s’efface et l’esprit courtisan prend le dessus. Il évoque « la réforme constitutionnelle de 2007 », alors qu’elle date de 2001. C’est pour justifier un troisième mandat d’Abdoulaye Wade, de ses pourfendeurs qui déclarent « mensongèrement » que la plupart des constitutionnalistes sont contre. A quoi il répond que « les juristes les plus expérimentés, les plus compétents et les plus crédibles, qu’il faut distinguer des juristes-tailleurs, affirment nettement le contraire, avec, à l’appui, des arguments imparables ». L’historien ne cite aucun constitutionnaliste qui ait déclaré la candidature d’Abdoulaye Wade recevable. Mais son but est de plaire, pas de convaincre.
J’ai trouvé on affirmation concernant le nombre de personnes présentes à leur rassemblement si grossière qu’il m’a semblé inutile de l’évoquer. A ce point, je me demande si le président Wade ne devrait pas lui adresser une lettre de protestation. Ces zéros interminables ne font que le ridiculiser davantage. Il faudrait 85 000 cars Ndiaga Ndiaye, alignés sur une distance totale de 685 km, pour réunir trois millions de personnes dans une capitale qui compte autant d’habitants. Hier son grand pourfendeur, Iba Der Thiam ne recule devant rien pour plaire à son nouveau maître. Le même homme traitait Abdoulaye Wade de « diable surgi de sa boîte », de « candidat à la pensée incohérente qui n’a ni suite dans les idées ni logique dans le raisonnement et qui présente selon son humeur, les circonstances et les intérêts du moment, des déclarations dont le paradoxe, les contradictions et l’inconséquence crèvent les yeux de toute évidence ».
Je ne finirai pas sans dénoncer l’interpellation du jeune leader du mouvement Y en a marre. L’homme qui voulait le mettre en prison, Ousmane Ngom, a traité Abdoulaye Wade de tous les noms, le qualifiant même de monarque et de mécréant. Il n’a jamais été inquiété. L’homme qui occupait le micro central lors de leur rassemblement était chargé de divulguer ses lettres injurieuses dans la presse. Il était porte-parole du Pls. Ils profitent de ce que beaucoup de gens ignorent tout de ce qu’ils furent.
SJD
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