« La lâcheté tend à projeter sur les
autres la responsabilité qu’on refuse »
Julio CORTAZAR
Il y a des morts qu’on ne peut se garder d’évoquer. Celle d’Issa Mbaye Samb en est une. Jovial et amical, il était d’humeur contagieuse. Je l’ai connu quand il venait d’intégrer le cabinet de Modou Diagne Fada comme Conseiller technique, au début de cette mésaventure que nous appelons « alternance ». Il était déjà ce qu’il était devenu, l’ami de tout le monde. Je l’ai vu peiner dans la fonction, se soumettant difficilement aux rigueurs protocolaires. Ce qu’il n’a jamais réussi du reste, durant sa courte carrière gouvernementale. Pas qu’il n’était pas à la hauteur, loin de là. Il venait de terminer avec brio sept années d’études à la très sélective faculté de médecine de l’université de Dakar. Mais faire le malin ne lui ressemblait pas. Sans être une fripouille, il était d’une simplicité qui le rendait sympathique. Son instabilité dans le gouvernement est plus liée au président de la République qu’à lui-même. Il y a deux postes ministériels que Wade réserve toujours à ceux qu’il veut chasser de son gouvernement, le Sport et la Santé. Issa Mbaye Samb a occupé les deux, et ses partisans se sont parfois fait entendre, pour imposer sa présence dans le gouvernement. Mais il méritait mieux que cette carrière tumultueuse qui a grandement dégradé son état de santé. A l’annonce de sa mort, il y a une question que je n’ai pu réprimer de mes pensées et je vais vous la livrer : pourquoi lui, ce gentleman parmi cette faune de politiciens voyous et de grabataires délinquants ?
Issa Mbaye Samb représentait l’innocence-même : sans fioritures, sans encombres, sans hommes de main. Je l’ai vu éprouver un peu de gêne quand Abdoulaye Wade l’a nommé ministre, alors que son ami Diagne Fada était en disgrâce. Son rappel à Dieu doit être, pour nous tous, un rappel à l’ordre. Nous avons été trop loin dans l’éloge de la haine, et nous avons peut-être approché les limites au-delà desquelles le chaos surviendra inéluctablement. C’est toujours un homme contre un autre, un régime contre un autre, un parti contre un autre, une confrérie contre une autre, une religion contre une autre. Il n’y a jamais eu dans les médias autant de gens pour rire du malheur des autres, comme si nous avions cessé d’être tous des sénégalais. Jamais dans l’histoire de ce pays, les riches n’ont autant fait étalage de leurs richesses, pour narguer les pauvres. Contrairement a ce qu’a tenté de défendre le ministre de la Communication avec sa mine congestionnée, la responsabilité de cet affaissement incombe à Abdoulaye Wade. Au lieu de promouvoir le mérite, il a promu la parenté. Il a fait croire à ce pays que tous les moyens sont bons, même le mensonge. On le dit en droit d’assumer son appartenance. Mais c’est parce qu’il représente un tout que le président de la République ne peut pas représenter une partie. Ce qui donne à sa déclaration sur les chrétiens toute sa gravité, c’est qu’il ne s’est pas limité à affirmer son appartenance au mouridisme, il s’est moqué de tous les autres. La frustration ressentie par les chrétiens est la même pour les membres de toutes les autres confréries et tous ceux qui se reconnaissent musulmans sans se reconnaître dans aucune confrérie. Si ses propos ont été mal interprétés comme il le prétend, il ne doit s’en prendre qu’à lui-même. Un homme d’Etat doit savoir tenir sa langue. Il blesse chaque sénégalais dans ce qu’il a de plus irréductible, sa foi. On peut se moquer de l’appartenance politique des gens, on ne se moque pas de leur religion. Il frustre, donc il radicalise. Cette radicalisation mènera un jour à la confrontation. Il faut le reconnaître et se repentir, plutôt que de se confondre avec des propos du genre « l’abbé Ndiaye a été abusé ». En plus d’insulter la foi d’un homme, Guirassy insulte son intelligence.
Cette théâtralisation morbide est un mauvais service rendu aux mourides, qui n’ont jamais été des sectaires. Les responsables mourides n’ont jamais, dans toute l’histoire de cette communauté, soutenu un chef politique membre de leur communauté. Cheikh Ahmadou Bamba a soutenu la candidature à la députation de Blaise Diagne en 1914, sans tenir compte de son appartenance à la franc-maçonnerie. Léopold Sédar Senghor a lui aussi bénéficié du soutien de Falilou Mbacké, alors qu’il était chrétien. Abdou Diouf a bénéficié du soutien de Cheikh Abdoul Ahad Mbacké à un moment déterminant de l’histoire de ce pays, alors qu’il est tidiane.
C’est aussi une injustice faite aux chrétiens. Nous devons à Senghor, membre de la communauté chrétienne, la grande mosquée de Dakar construite en 1964 et l’institut islamique de Dakar, dix ans après. Il s’est battu pour la réalisation de la grande mosquée de Touba, après s’y être engagé auprès de Cheikh Fadilou, en 1946. Le discours prononcé à son inauguration, le 7 juin 1963, lu par son secrétaire particulier en présence du président Senghor, est en lui seul une leçon à méditer : « Cette mosquée sera dédiée à Dieu et à son prophète, qui me l’ont commandée. Elle ne sera pas élevée à ma gloire, ni à celle du mouridisme, mais en hommage au tout puissant et à son apôtre préféré. Sa construction est la seule œuvre terrestre à laquelle je m’intéresse », avait dit le marabout. J’ai souligné ici-même bien qu’Abdoulaye Wade soit le seul homme politique à se réclamer ouvertement du mouridisme, aucun khalife de Serigne Touba n’a jamais appelé à voter en sa faveur. Peut-être savaient-ils ce qu’il cachait sous le manteau religieux : qu’en plus de solliciter leurs prières, il fréquentait assidument les loges maçonniques. Que le même argent qui a servi à construite le monument de la renaissance d’Abdoulaye Wade serve à la construction d’un complexe dédié à Dieu doit interpeler tous les musulmans.
Me reviennent encore les propos de Cheikh Fadilou Mbacké. Il avait tenu à ce que la mosquée de Touba, construite sur une période de trente ans, soit d’abord l’œuvre de ses condisciples. Il l’avait affirmé en ces termes, devant le président Senghor : « Chaque pierre, chaque centimètre cube de cette masse de béton représente une goutte de sueur offerte en hommage à Dieu par un fervent adepte. »
Ce patrimoine commun est menacé par un seul homme, déterminé à maintenir sa fratrie au pouvoir par tous les moyens, violant toutes les ententes qui font le ciment de notre unité nationale, avec la complicité de sa caste de nababs. On n’avait jamais imaginé que des hommes comme Guirassy, transfuge de l’Afp, sortiraient du bois pour l’amadouer. Ses propres partisans ne savent plus comment mettre fin à cette aventure, obligés qu’ils sont d’éteindre tout le temps un début d’incendie. Mais ils se complaisent à jouer les paillassons admiratifs. Ils l’ont bruyamment applaudi à Copenhague pour une idée « de génie » qu’il venait de présenter au monde entier, la mise en place d’une gigantesque plateforme de production d’énergie solaire dans le désert du Sahara. Il se trouve, pardi, que le projet Desertec existe depuis longtemps, il est piloté par un consortium allemand. Aucun leader politique africain n’a mandaté notre homme pour en parler. Cette propagande internationale est soutenue par des enveloppes passées sous la table et des invitations dans des hôtels luxueux. Au bout de cette longue nuit noire, leur orgie financière prendra fin, c’est évident, par une cuite générale. Nous laissons faire un capitaine fou, dans un navire battant pavillon de complaisance. Autant le répéter encore une fois après le Pit, il faut en finir avec Abdoulaye Wade avant qu’Abdoulaye Wade n’en finisse avec nous.
SJD
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