L’obligation de résistance

« Les démagogues font d’autant
mieux leurs affaires qu’ils ont jeté
leur pays dans la discorde. »
ESOPE

Avec quelques compatriotes sincères, nous avions décidé d’adresser une lettre à chacun des cinq membres du Conseil constitutionnel. Pour leur faire mesurer le poids de leurs responsabilités et la portée historique de l’arrêt qu’ils s’apprêtent à rendre. Leur dire que pour la première fois de notre histoire, l’avenir de la Nation dépend des cinq hommes qui composent cette institution; qu’il en sera du sort de ce vieil homme de 88 ans qui s’accroche à son pouvoir comme du leur, puisqu’ils  seront aimés pour leur courage ou haïs pour leur lâcheté. 

Nous souhaitions donc leur dire qu’arrivés à ce point, ils doivent laisser leur nom à la postérité, à tous les pays qui ont les yeux rivés sur le Sénégal, plutôt que d’obéir aux dernières volontés d’Abdoulaye Wade. Ils ne pourront pas jouir longtemps des faveurs que leur octroie ce chef d’Etat au pouvoir agonisant, s’ils engendrent par leur décision, le chaos qui les emportera. En laissant Abdoulaye Wade se présenter, ils violent la Constitution et nous ne renoncerons pas les dénoncer partout dans le monde, pour que nul n’ignore qu’ils ont été soudoyés pour le faire.

Mais tout ce qui précède, Cheikh Tidiane Diakhaté le sait. Il sait quel est l’avis d’un homme qu’il considère comme son autorité spirituelle en la matière, Seydou Madani Sy. Il s’en est ouvert à un homme qui a été son ministre de la Justice, Serigne Diop, sans doute le plus brillant de nos constitutionnalistes, qui reste ferme sur le fait qu’Abdoulaye Wade ne peut pas briguer un troisième mandat. Mais Chimère Malick Diouf et Siricondy Diallo le savent tout aussi bien, puisqu’aucun spécialiste du droit constitutionnel n’a donné sa caution à cette forfaiture, à l’exception de Moustapha Sourang. Je fais une mention spéciale à Isaac Jabob Ndiaye et Mohamed Sonko, qui font preuve d’un patriotisme admirable, en refusant de se laisser entraîner dans ce grand complot. 

Tout ceci, pour dire qu’aucune  lettre ne peut avoir une portée plus dissuasive que les manifestations qui ont cours depuis le 23 juin dernier, les appels au retrait de nos partenaires occidentaux, l’unanimité qui s’est faite contre sa candidature, les nombreuses défections de responsables du Pds qui se désolidarisent de leur chef. Tous les spécialistes du droit membres de la direction du Pds se sont prononcés ouvertement contre la candidature d’Abdoulaye Wade, qui est maintenant soumis aux brocards de ses propres alliés. Nombreux parmi les cadres de son parti ont rejoint l’opposition. Des ministres, des députés et sénateurs se préparent à le faire avec courage. Ceux qui ne peuvent pas s’y risquer assurent qu’ils ne feront rien pour la réélection du chef de l’Etat, qui signifierait accorder un mandat à Karim Wade. Il en est arrivé, par pure paranoïa, à accuser son Premier ministre d’être de mèche avec Macky Sall et c’est pour lui donner des gages que Souleymane Ndéné N’diaye s’épanche si abondamment, au risque de se faire démentir par le chef de l’Etat lui-même. 

Il ne sert à rien de le dire à Cheikh Tidiane Diakhaté, Chimère Malick Diouf et Siricondy Diallo, avons-nous dit. C’est au peuple sénégalais qu’il faut s’adresser, à tous les dignes patriotes qui veulent le bien de ce pays. Ce qui fera chasser Abdoulaye Wade du pouvoir, ce sera notre détermination à le faire partir. Et nous devons savoir que nous avons le soutien de toute la communauté internationale et de la majorité des peuples africains qui nous soutiennent. C’est sur notre passivité que compte Cheikh Tidiane Diakhaté pour agir, assuré qu’il est qu’après quelques manifestations d’humeur réprimées à coups de matraques, les manifestants rentreront chez eux et la paix reviendra. C’est la garantie qu’a obtenue Abdoulaye Wade, qui le rend si rassuré et qui rend son fils Karim Wade si arrogant, malgré ses nombreux échecs et sa défaite retentissante de mars 2009. Abdoulaye Wade sait très bien qu’après le départ de tous les responsables de son parti, la rupture avec ses alliés les plus significatifs, le refus de sa confrérie de donner une consigne de vote en sa faveur, il n’a aucune chance de gagner cette élection présidentielle. A un mois de l’élection, toutes les structures électorales départementales ont été gelées, du jamais vu. C’est dire que cet homme ne compte que sur l’assentiment de Cheikh Tidiane Diakhaté et le dévouement de son ministre de l’Intérieur pour passer en force. Nous n’avons aucune raison de l’accepter et nous devons le refuser avec la plus grande fermeté. Quand Abdoulaye Wade naissait dans son Kébémer lointain il y a environ 88 ans, rien ne faisait de lui le monarque qu’il veut être. Rien n’indiquait que la nature était grosse d’un Néron pour le Sénégal. C’est par la bienveillance de ce peuple qu’il est devenu ce qu’il est et les Sénégalais n’ont pas le droit de se laisser mépriser. C’est pourquoi j’adhère fortement aux initiatives du M23, puisque la seule posture qu’il nous impose est celle du refus. C’est lui qui nous oblige à la confrontation, ce n’est pas nous qui la voulons. Il faut qu’ensemble, nous sacrifiions nos destins individuels à celui de notre peuple et que nous comprenions que s’il revient au Conseil constitutionnel de dire ce qui doit être, c’est à nous de dire ce qui va être. C’est une tragique illusion que de vouloir sauver la paix sociale, quand c’est au prix du renoncement à deux choses fondamentales, la liberté et la justice.

SJD