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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

La démocratie du ventre

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La démocratie du ventre

« Il n’y a d’opposition qu’inconditionnelle dès lors qu’il
s’agit de substituer un système de gouvernement à un autre.
Retoucher, aménager le pouvoir absolu, c’est déjà composer avec lui. »
François MITTERAND



Nous aurons un vote à poing dressé, mais nous aurons quand même un vote. Maître Abdoulaye Wade est resté fidèle à sa mystique politique, il ne se reniera pas. Son entêtement lui aura finalement coûté un mandat qui devait être celui du rachat, et il va causer l’effondrement de notre système démocratique. Malgré les informations peu rassurantes qui nous parvenaient, nous pensions que l’homme descendrait de son piédestal officiel, pour refiler les habits du médiateur conciliant. C’était peine perdue. Il est aussi napoléonien que ceux de son époque, et il finira son mandat avec la même arrogance obsessionnelle, jusqu’à couper les jarrets à son opposition.
Ne nous attardons pas sur la décision du Conseil d’Etat. Cette institution, d’inspiration monarchique, est basée sur un principe vieillot qui veut que l’Etat, juge et partie, n’ait jamais tort. Elle est à la merci d’un homme pétri d’ambition qui pense que les institutions sont au service de son ambition. Et voilà que le juge administratif estime que ce qui était valable il y a trois mois, l’idée élémentaire que le nombre de députés dans chaque département soit proportionnel à la population générale, ne l’est plus aujourd’hui. Parce que le législateur Wade a glissé dans sa nouvelle loi électorale quelques points et quelques virgules de convenance. Il a quand même trouvé des magistrats assez outillés pour défendre cette décision incompréhensible à tous, si ce n’est ceux à qui elle profite.
La raison en est bien simple : quand Wade a voulu vraiment reporter les élections, il a fait voter une loi à l’Assemblée nationale. Quand, à l’approche du 25 février, il a remarqué qu’il s’était enfermé dans son propre piège, et que les problèmes internes à son parti pouvaient compromettre son élection, il a brillamment trempé dans son panier à crabes le Ps et la Ld/Mpt. Ils ont attendu pendant deux semaines une décision que Wade souhaitait plus que tout le monde. Le Conseil d’Etat est une partie de l’Etat, et il en est le chef. C’est une vérité de plus qu’il s’applique dans toute sa rigueur.
Finalement, le recours introduit en janvier, qui nous a valu le découplage des élections, a été un grand service rendu au président de la République, et un grand tort fait à l’opposition. Même avec un processus électoral renégocié, Abdoulaye Wade partait avec la posture d’un chef d’Etat, avec une nouvelle légitimité. Une erreur d’apprenti car rapide, inexcusable pour de vieux routiers de la politique ! C’est une dégringolade de nos institutions, un crime républicain qui porte la signature du même homme, et nous le porterons très longtemps. Il n’y a rien qui puisse justifier cette césure entre l’esprit démocratique et la flagornerie de ceux qui sont chargés de l’incarner au sommet de l’Etat. Nous aurons une législature sans vrais législateurs, alors que le propre d’une Assemblée, c’est de rassembler justement.

Wade sent les vents favorables, et il mettra les voiles, tant qu’il ne prendra pas contre lui la « vague populaire », qu’il continue de respirer abondamment. Elle lui signifie curieusement son approbation, pendant que les délestages et les rapatriements de clandestins reprennent. C’est un miracle continu qui lui permet de gouverner par procuration, et c’est certainement une des erreurs de l’opposition d’avoir négligé qu’elle n’a pas avec elle « l’opinion ». La rue est foncièrement contre un boycott qui, même s’il est justifiable, nous en convenons, est inopportun. Parce qu’encore une fois, il met la plupart des partis dans une fragilité monumentale, et la plupart sont soumis à des crises qu’ils auraient bien pu éviter, s’ils avaient ajouté à leur fermeté, un minimum de bon sens. On ne peut pas forcer au chômage des pères de famille qui ont fait de la politique leur gagne-pain, et c’est ce que les leaders de l’opposition, qui n’ont certainement pas de problèmes de fin de mois, ont fait, dans la plupart des cas sans l’avis de leurs partis. C’est la réalité politique de ce pays, et on fait la politique avec le réel. Ils ont inutilement créé des situations de crise en suscitant un opportunisme de classe qu’il faut certainement condamner, mais qu’il faut comprendre avec le réalisme d’un opérateur politique.
On ne peut pas demander à Mamadou Diop Decroix, qui a fait de la politique son métier depuis la fermeture de l’Oncad, de rester cinq années sans mandat électif et sans poste ministériel. Il le prend pour un suicide. Il a été un des rares à avoir, par raison politique, défendu, dès le début de l’alternance, qu’il serait aventurier de s’opposer à Abdoulaye Wade à la présidentielle.
Pape Diouf a, quoi qu’on puisse penser de lui, été d’une loyauté remarquable, mais il ne peut pas payer les conséquences d’une décision qu’Idrissa Seck a prise seul, sans consulter son parti, avec la perspective de perdre le seul revenu qui lui reste, celui de maire, après les prochaines locales. Tous ces candidats à « l’immigration » le vivent d’autant plus injustement qu’ils sont laissés à eux-mêmes, alors que la plupart de leurs leaders sont à l’abri du besoin. Ce sont des situations tragiques qui ont été inutilement créées dans tous les partis, et pour tous, le ventre parlera indéniablement avant la tête. Tous les responsables de l’opposition significative, sans doute avec le cynisme du pouvoir et ses prébendes, sont dans une logique de transhumance, et la nouveauté, c’est qu’on ne les appelle pas. Ils sont tous en embarcation, les nouveaux Cayucos, affamés de l’opposition. Ils frappent tous à la porte de Pape Samba Mboup. La politique est un métier, et ils n’entendent pas rester longtemps au chômage.

Nous aurons hélas, dans les prochaines semaines, des ralliements surprenants, qui vont conforter chez un homme déjà sûr de tout, que tout le monde s’achète. Ils sont nombreux, dans tous les états-majors, à préparer armes et bagages, pour entreprendre le grand voyage, et les chefs de partis se retrouveront bientôt seuls. Il y a une ambition derrière cette cascade de ralliements, c’est le grand parti présidentiel, nouvelle version de l’Ups des années 70, qu’Abdoulaye Wade a toujours rêvé de mettre en place, et qui s’est toujours heurté au refus de ses anciens alliés. Il en a désormais le prétexte et les moyens. Il prendra tout ce qu’il trouvera sur son chemin, pour constituer ce grand parti de ses rêves, et lui faire porter les ambitions de son fils. Malgré la certitude d’une large majorité à l’Assemblée nationale, le trafic inhumain n’épargne pas ceux de ses alliés qu’il n’est pas sûr d’avoir à sa coupe.
Après les élections, et juste avant la mise en place du Sénat, un appel à la paix suivra, après le grand carnage. C’est l’appel final, destiné à tous les numéros deux qui attendaient en silence. Le « gnibbi » après le « toxu », la vengeance du père offensé. Wade veut forcer les chefs de l’opposition à la reddition, en vidant leurs états-majors.
C’est son ambition de toujours, régner sur ses semblables. Il a dit lundi à un de ses hôtes, venu le voir avant la prière, qu’à son âge, s’il a quelque chose sous le dentier, c’est contre Moustapha Niasse et Idrissa Seck. Le premier l’a toujours méprisé, le second a voulu l’humilier. Il va se venger d’eux après les législatives.



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