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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

[CHRONIQUE] Le cabot bleu

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[CHRONIQUE] Le cabot bleu

« Le ciel défend, il est vrai, certains contentements ;
mais on trouve avec lui des accommodements »
MOLIERE

 

On ne peut pas soupçonner Abdoulaye Wade d’être l’instigateur de la descente musclée contre les journaux l’As et 24 heures Chrono. Il se croit indigne de ces petits coups d’amateurs. Raison pour laquelle le président de la République en veut à son bras droit d’avoir été si gauche dans ses basses œuvres. Et jusqu’en Wadésie, l’expédition punitive contre les deux derniers nés des quotidiens sénégalais suscite de nombreuses interrogations. Pas tant par indignation, mais parce que le président de la République ne confiait ces missions punitives qu’au colonel Alfred, son chef de cabinet. Or, par expérience, Pape Samba Mboup savait que le moment n’était pas bien choisi. Il avait raison. La coupe était déjà pleine, et personne n’avait intérêt à envenimer des relations déjà tendues avec la presse. Le président de la République espérait qu’un bon hivernage calmerait les esprits, et que de la Suisse, il passerait par Paris pour se rendre à la conférence de New York. C’est raté. La rencontre avec Nicolas Sarkozy risque de ressembler au voyage de 2004, quand Wade s’est vu intimer l’ordre de libérer Madiambal Diagne. Ce pourrait être cette fois-ci un ordre de mettre son chargé de la propagande sous les verrous, figurez-vous.
Farba Senghor, qui s’était limité jusqu’ici à un travail de postier et de chargé de courses pour « madame », se retrouve abandonné de sa propre famille. Le cabot bleu s’est fait de nombreux ennemis dans la grande meute présidentielle. Le dernier en date est Pierre Goudiaby Atepa, menacé de mort par des groupuscules de Casamance à la solde de ce même Farba Senghor. Avant Atepa, il s’était attaqué vertement à Abdoulaye Baldé. Une autre erreur qui lui coûte cher, puisqu’en plus d’être un homme de confiance de Karim Wade, Abdoulaye Baldé est un ancien de la police où il compte encore d’anciens collègues. C’est lui qui a laissé passer le fameux « rapport de police » dans le parapheur du chef de l’Etat « pour lecture ». Il n’y a que « madame » qui continue à soutenir, contre tous, qu’il n’est pas question que Farba Senghor se retrouve en prison. « Démis de ses fonctions, oui. Emprisonné, Ablaye, jamais. Trop c’est trop », crie la première dame à tue-tête. Elle  sauvera son ami de la guillotine, c’est sûr. A cause d’elle, nous aurons encore une fois un crime sans commanditaire.
Farba n’est pas un commanditaire. C’est un commandité, et Viviane a raison de le penser. Le président de la République a entendu comme tout le monde les menaces de son propagandiste. Il savait, plus que quiconque, que l’élément hors du commun, soumis à ses propres obsessions de grandeur, passerait à l’acte. Il ne l’a jamais arrêté. Au contraire, il se faisait une obligation de rappeler à ceux qui ont pris leurs distances avec la pègre du Pds, que « Farba est le seul à me défendre ». C’est pourquoi, même si cet acte criminel ne porte pas la signature d’Abdoulaye Wade, il porte son empreinte morale. Et idéologique. Le président de la République, dans un livre considéré comme sa biographie, a lui-même déclaré qu’à l’exemple du Moyen-âge européen, l’honneur se lave chez nous par le sang. Il n’ignorait pas l’impact qu’aurait dans l’esprit de ses disciples cet appel au meurtre.

C’était devenu une honte nationale qu’un homme installe la terreur partout, du seul fait qu’il est « l’ami de madame ». J’ai reçu la foudre de tous les bien-pensants de la presse, qui estiment que je ne dois pas descendre aussi bas. Mais ce n’est pas moi, c’est Farba Senghor qui revendique ses affinités avec Viviane Wade comme s’il s’agissait d’un talisman. Il a terrorisé les ministres du gouvernement, qui ont fini par croire qu’ils lui doivent obéissance avant d’en devoir à Adjibou Soumaré. Juste en leur servant tous les jeudis de Conseil des ministres : « Fais attention, n’oublie pas que je suis l’ami de madame. » Personne n’était jamais allé aussi loin dans la fourberie.
Mais ce serait une erreur de le prendre pour un con. Farba Senghor sait, le premier, quel parti son employeur peut tirer de sa bêtise. Non seulement Abdoulaye Wade restaure son image écornée, mais il ne nous donne pas son troubadour gratuitement. En sacrifiant le plus impopulaire de ses ministres, le président de la République obtient pour peu la tête d’El Malick Seck. Je ne veux pas polémiquer sur la pertinence ou non de l’article incriminé. La diffusion de l’article, la fausseté ou non des nouvelles n’est pas là-visée. Si El Malick Seck avait apporté toutes ses preuves, il aurait quand même été inculpé pour offense au chef de l’Etat, injures publiques,  actes et manœuvres de nature à troubler l’ordre public, troubles politiques graves ou recel de documents administratifs. Le prononcé des chefs d’inculpation est à lui tout seul plus long que l’article qu’il a rédigé. C’est que la Direction de la police judiciaire a pris le soin de s’assurer qu’il ne pourra bénéficier d’aucune libération conditionnelle, et qu’il restera au moins 6 mois à Rebeuss, la sentence capitale des journalistes. Même Mamadou Dia, l’ennemi juré de Senghor, n’avait pas eu autant d’accusations à lui tout seul. Un simulacre de procès va se dérouler sous nos yeux, durant lequel le Ministère public va mettre en évidence l’irresponsabilité des journalistes. Le juge annoncera son délibéré pour le mois de novembre, le temps qu’El Malick Seck macère à la prison de Rebeuss pour bien regretter son offense. Il n’y a rien dans son article qui puisse gêner le fonctionnement des institutions du pays, rien qui puisse constituer une offense au chef de l’Etat. Mais c’est à peine si on ne lui fait pas porter la responsabilité des attentats du 11 septembre 2001. Ce n’est pas un jugement qui l’attend vendredi, c’est un règlement de comptes.
Or, en dehors de quelques péchés de jeunesse qui lui sont imputables, j’ai une profonde admiration pour ce garçon. Dans n’importe quel autre pays, il aurait été cité en exemple. Il a porté très loin le journalisme en ligne sénégalais, et emploie, quoique l’on pense de lui, une vingtaine de responsables de familles. On m’opposera son parcours académique. Mais c’est parce qu’il s’est fait tout seul, hors des schémas classiques, qu’il mérite notre respect. Son erreur de jugement concernant cette affaire est évidente. Ce qui ne veut pas dire que ce qu’il a écrit soit faux, loin s’en faut. Dans un contexte de tension, il devait se rendre irréprochable. Mais il a négligé la rancune nourrie depuis longtemps par le fils du président de la République à son égard. Nous avons eu une discussion il y a deux ans. El Malick m’avait fait part d’une conversation qu’il a eue avec Karim Wade, qui lui assurait qu’il pouvait compter sur lui « comme un frère ». Karim confessait, au cours de cette conversation, qu’il n’avait rien contre moi Souleymane Jules Diop, qu’il se rendait compte de son erreur, et que je pouvais rentrer au Sénégal si je le voulais. El Malick était sans doute heureux pour moi, content de m’annoncer cette bonne nouvelle. Je lui ai dit : « El, méfie-toi, il te ment. Il veut t’avoir avec lui. Le jour où il saura qu’il ne peut pas acheter ton indépendance, il t’écrasera. » C’est ce qui est arrivé. Ce déploiement justicier est non seulement disproportionné, mais il est injuste. Pendant deux ans, Abdoulaye Wade a financé des journaux qui ont diffamé, insulté, persécuté d’humbles citoyens dans une totale impunité. Toutes les tentatives des personnes lésées de se faire justice ont été vaines, du simple fait que les directeurs de publication de ces journaux émargeaient à la présidence de la République. Il a suffi qu’El Malick Seck reprenne les accusations d’Amath Dansokho pour que la police politique lui tombe dessus. Il a échappé à la guillotine une première fois, quand Ousmane Ngom a voulu lui faire porter la responsabilité des commentaires contenus dans un article posté sur son site. Cette fébrilité est injustifiée. Abdoulaye Wade n’est ni Dieu ni son représentant sur terre. Et j’attendais des journalistes qu’ils rappellent au moins ce principe. L’article pour lequel El Malick Seck est menacé d’emprisonnement a été publié sur tous les sites Internet. La terre n’a pas tremblé, et le Sénégal n’a pas changé de face. Ce n’est pas la publication de ces articles qui constitue un problème. C’est la nervosité épidermique de ce régime qui frise la paranoïa. Le président Chirac a déjà été montré nu dans des journaux français. Georges Bush est tous les jours traité de menteur dans les journaux américains. Les prisons seraient surpeuplées si dans ces pays, les chefs d’Etat s’arrangeaient tout le temps avec « l’offense au chef de l’Etat ».
L’existence de cet article 80 est une survivance de la réification de la fonction présidentielle. Abdoulaye Wade s’était engagé à l’abroger sur le perron de l’Elysée. Si je disais qu’il a menti, alors j’offenserais le chef de l’Etat. Au nom de quoi ? Comme s’il était permis d’offenser tout le monde sauf le président de la République. Nous n’avons pas élu Dieu, nous avons élu un homme. Nous pouvons l’offenser comme il nous offense tous les jours, Dieu sait. Le pays entier est dans les eaux, pendant qu’il s’amuse comme un enfant en Suisse avec l’argent du pays. Il n’y a pas plus grande offense. S’il est musulman comme il le prétend, il doit pardonner. S’il se prend pour Dieu, alors qu’il prenne un peu de hauteur.
SJD



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