- J’avais tous les pouvoirs. Comment quelqu’un qui a eu tous les pouvoirs peut faire un coup d’Etat ? Silence dans la salle ombragée. Il était onze heures.
- Vous êtes sur le terrain de la morale et Senghor, votre adversaire, sur le terrain de l’efficacité politique, ose Ousmane Camara, procureur général auprès de la Haute Cour de Justice.
- S’il y a un conflit entre la morale et la politique, je préfère être du côté de la morale, réplique le Président du Conseil déchu, Mamadou Dia, stoïque.
Brouhaha. Rumeurs. Tension. Hésitations …
Ce 9 mai 1963, c’est le procès du siècle au Sénégal. Des responsables du pouvoir sont accusés de vouloir faire un coup à l’Etat, à Senghor. Ils sont trois plus Mamadou Dia à se présenter devant la barre d’un Tribunal dont la composition est hostile aux accusés. Cinq jours plus tard, la sanction tombe. L’ex président du conseil est condamné à une déportation perpétuelle. À vie. Ses coaccusés ont pris vingt ans. Douze ans plus tard, Dia sort des geôles laissant amertume et regards dans les préaux mortifères de Kedougou. La grâce politique est derrière lui. Il tente en 1983 aux élections générales ( présidentielle et législative ) mais les traces du procès de la honte ont déjà flétri ; dans l’esprit et dans l’âme. Il eut 1%. Débute une vraie traversée du désert. Son parti, le Msu plonge. Les militants se dispersent : la dégringolade avant la débandade
Quarante ans plus tard, la mise à mort d’un héritier qui se le réclame sonne. Une première condamnation, une deuxième pour une affaire de sexe qui s’est ouverte sur une troisième : la prison. C’est la traque. Une traque qui est lancée il y a trois ans dont les causes restent mystérieuses. Tantôt, l’explication, c’est la faim avec le confinement lié au Covid ; d’autres fois, l’on dit avec autant de légèreté que de je-m'en-foutisme : « c’est Sonko ». Tout est la faute de Sonko : les dérives, les bavures, les pillages, les vols, les manifs, les bruits, les morts, les humeurs, le manque d’argent , la récession ; bref, tout est à cause de lui. Si lui, il provoque, posons-nous la question pourquoi il provoque. Si lui, il attaque la gestion de l’Etat, posons-nous la question a-t-il le droit de le faire. Si lui, il est suivi, réfléchissons sur les vrais motifs. Non. On n’en parle pas.
Ousmane Sonko est venu, a trouvé une classe politique paresseuse qui se plait dans la démagogie et dans la duperie pour se trimer dans une ascension facile.
Ici, il rejoint Mamadou Dia, un martyr. Il adoube Cheikh Anta Diop, un sacrifié. Il suit Thomas Sankara, une idole. Des références reniées, rejetées par l’élite africaine. Lui, voilà son ascension.
Ousmane Sonko a un appareil politique dynamique ; des milliers de sénégalais l’aiment par l’apport de la fraîcheur qu’il a amenée dans la politique. Il a vite compris que la politique, c’est le verbe et la verve. Le verbe pour le discours et la repartie ; la verve pour la combativité et l’engagement. Il a aussi compris qu’un homme politique doit cultiver le travail chez ses militants et chez ses concitoyens. Une culture dont la moisson montre de bonnes graines. Ces graines sont hélas affectées, affectées par la radicalité, par l’outrance. L’élan était beau. L’allure était dans la mesure. Correcte et directe ; respectueuse et ambitieuse.
Malheureusement, le forfait survient. Le parti est dissous. Inacceptable dans une démocratie. Le Pastef a également révolutionné la constitution structurelle d’un parti politique ( les live, les posts, la communication instantanée, la massification numérique ). Il est un pionnier en ce genre piloté par Ousmane Sonko non égalé, ici. Son envoi en prison est une balafre. Une grande balafre pointée dans le cœur de la démocratie sénégalaise. Il a suscité de l’espoir, apporté de l’envie, vivifié l’espace politique. C’est un mérite. Le gâchis encore : les incartades.
Mamadou Dia, son idole en politique, a fait des erreurs qui lui ont coûté ses yeux et sa carrière politique. Ousmane Sonko a presque emprunté les mêmes pas mais les époques sont différentes. Le timing est pourtant toujours bon. Il ne doit pas subir ce que Dia ou les intimes de Dia ont subi. C’est un brave. Il est venu, a très vite ringardisé les politiciens. Un coup de torgnole d’ailleurs que ces politiciens ne digèrent pas. Ils lui montrent de l’amour mais personne ne l’aime. Ils le détestent, tous. Il leur a chipé la place principale de la politique. Ils veulent le voir au pilori. Maintenant qu’il est au pilori, les crocodiles viennent pour pleurnicher. Peut-être, il aura le temps de reconnaître les larmes de chacun ; peut-être, aura-t-il le temps aussi de penser, de bien penser, à bientôt cinquante ans, pour se remettre en question afin de laisser en effet une postérité légendaire de lui et de son parti, le Pastef. Nous l’espérons.
Références : Mamadou Dia - Afrique, Le prix de la liberté, 2001.
Mamadou Dia - Mémoires d'un militant du Tiers-Monde, 1985
PMT
17 Commentaires
Un Ex Pastéfien Ou Pestiféré
En Août, 2023 (12:55 PM)Reply_author
En Août, 2023 (14:15 PM)Sonko Sankou Na
En Août, 2023 (13:07 PM)Nianthio
En Août, 2023 (13:13 PM)" Que Macky sache que je ne suis ni Karim Wade ni Khalifa Sall. Il ne peut pas me mettre en prison". Mais où est Sonko, est il en prison ou chez lui?
Cheikh Bara, Mara Niass, les faiseurs de miracles. Où sont passés leurs écrits mystiq? Bêtises !
Reply_author
En Août, 2023 (13:33 PM)Merci Pour Cette Missive
En Août, 2023 (13:29 PM)chacun aura ce qu'il mérite. Dieu ne dors pas...
Adji Sarr Roi Des Arènes
En Août, 2023 (13:50 PM)Jah
En Août, 2023 (21:33 PM)Merci Mr PMT.
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