Le père Gorgui

Par: Souleymane Jules DIop - Seneweb.com | 26 mai, 2011 à 05:05:49 | Lu 42123 Fois | 300 Commentaires

« Mais le vieillard n’entendit pas les plaisanteries
que sa réponse lui attirait, il était retombé
dans un état méditatif que ceux qui l’observaient
superficiellement prenaient pour un engourdissement
sénile dû à son défaut d’intelligence ».
Honoré de BALZAC

On peut laisser à ce Premier ministre rustre et vulgaire les bas amusements et la joie que lui procurent ses révélations sidérantes. Mais la légèreté avec laquelle Souleymane Ndéné Ndiaye décrit les pratiques scandaleuses qui ont cours au sommet de l’Etat n’enlèvent rien à ce qu’elles offrent de dégoûtant à l’esprit. L’argent, décidément, polluera toute la présidence d’Abdoulaye Wade, qui fête cette semaine ses 88 ans, sous la clameur populaire et le bruit des casseroles. Le parfum de scandale a tout le temps dominé la wadosphère. Depuis l’indemnisation scandaleuse des héritiers du juge Babacar Sèye et de ses meurtriers jusqu’à ces nouveaux aveux faits par ses propres hommes, en passant par l’affaire Segura, il n’est question que des bonnes affaires du président et de ses mauvais coups. Après onze ans d’exercice, il peine encore à tenir dans les habits d’un président de la République respectable. Les Sénégalais ont fini par se lasser de son spectacle, en espérant que bientôt il s’en ira, emporté par les scandales, enterré avec ses nombreuses casseroles.
Mais il éclabousse un homme que personne n’attendait au cœur de cette affaire, Landing Savané. Il y a longtemps que le leader d’Ajpads n’était plus que l’ombre de lui-même. Mais si Souleymane Ndéné Ndiaye a pris le parti de le discréditer, c’est qu’il avait su incarner la probité morale et la constance dans la politique, au point de décider de ne jamais collaborer avec l’ancien régime socialiste. Pour on ne sait quelle raison, les Savané –puisqu’on ne peut séparer le mari Landing l’épouse Angélique- qui habitaient une modeste résidence à Gilbraltar, ont décidé de ne plus se contenter de ce qu’ils avaient. Il fallait naturellement une cause à cet embourgeoisement spontané, surprenant pour un couple qui disait se battre en faveur de la paysannerie. C’était donc Angélique la cause de cet enrichissement et elle assumait bien avec ses théories nouvelles la « brise de mer » que lui offre son imposante demeure de Mermoz, nouvellement acquise. Les petits-déjeuners chez les libéraux avaient remplacé dans les esprits, les rêveries d’un Grand soir. Ils avalaient les œufs brouillés en cassant énergiquement du sucre sur le dos de Niasse, Bathily et Dansokho, les « aigris » et les « méchants ». Plaire à leur bailleur de fonds était le seul bien auquel ils aspiraient. Il fallait le prouver pendant la présidentielle de février 2007. Ils étaient tiraillés entre la base, qui appelait à la rupture avec Wade et les intérêts d’une petite caste de gens attachés à leurs privilèges. Landing Savané n’a jamais eu le courage de choisir, assumant le bilan de l’alternance un jour, traitant les libéraux de voleurs un autre. C’est cette comparaison qu’Abdoulaye Wade a trouvée malhonnête. Le coup est d’autant plus rude que Landing Savané était le plus virulent envers l’opposant Wade, « l’immoral » qui se servait de la rue pour « négocier ses entrées dans le gouvernement du Parti socialiste ».

Finalement, Abdoulaye Wade a eu raison de lui et de ses principaux ennemis. On en sait davantage sur les desseins de ce président. Il a fait taire ses détracteurs d’hier en les corrompant. Il entreprend maintenant de les humilier pour se venger. Je les compte et ils sont nombreux qui me tombent sous la plume : Iba Der Thiam, Mbaye Jacques Diop, Djibo Kâ, Abdoulaye Babou, Landing Savané et Mamadou Diop avant lui. Nous devons à Abdoulaye Wade d’avoir révélé leur véritable nature.
L’objet de cette manœuvre gigantesque, c’est de donner l’impression que tous les politiciens se valent. Serigne Mbacké Ndiaye a vite fait d’étendre la liste des prétendus bénéficiaires des largesses du président à d’autres personnalités politiques et de la société civile, pour semer le doute au sein de l’opposition et la suspicion au sein de l’électorat. Mais rien ne peut faire oublier la mainmise de la famille présidentielle sur les finances du pays et son impact sur la vie des populations. Ce que ce scandale révèle par sa dimension, c’est une gestion scandaleuse des deniers publics, par un président de la République qui gère les comptes du Trésor comme un compte familial. Personne ne peut dire, à ce jour, à quoi ont bien pu servir les dizaines de milliards de francs mis à la disposition de Sindialy Wade dans le cadre du Fesman et à qui cette fête mondaine a pu profiter. Au moins cinq milliards de francs ont servi à aménager un terrain appartenant au président de la République. Quelques artistes étrangers ont été enrichis, pendant que des dizaines d’entrepreneurs menacent de fermer boutique, parce que les 50 milliards de budget n’ont pas suffi à la fête. Une compatriote établie à Paris, qui a fait convoyer le matériel de sonorisation dans des cargos russes, menace de fermer boutique. L’Etat lui doit 250 millions de francs qui n’ont pas été payés et ne le seront peut-être jamais. L’Anoci a été un pire scandale. 250 milliards de francs dépensés, 300 milliards de valeur foncière distribués à des privés pour, au final, tenir le sommet au même endroit qu’en 1991. Sept années que le président de la République s’efforce de nous imposer son fils, au nom de sa conception monarchique du pouvoir. Ce sont sept années d’échecs retentissants, comme si la divinité s’opposait à sa funeste entreprise. Malgré les énormes moyens financiers consentis pour assurer sa réussite, les importantes ressources humaines mises à sa disposition, Karim Wade n’arrive à rien. Abdoulaye Wade lui-même en est la preuve, tout esprit n’est pas composé d’une étoffe pour faire un homme d’Etat.
Ce qui est étonnant chez le fils du président, c’est la constante hauteur de sa présomption, son état d’euphorie permanent. Quand il s’engageait dans les chantiers de l’Anoci, il assurait devant tous les Sénégalais qui l’ont vu ce soir-là s’exprimer pour la première fois, qu’il construirait la plus belle Corniche d’Afrique de l’Ouest. Une semaine avant les élections locales du 22 mars 2009, il récidivait, en assurant qu’à part Abdoulaye Wade, il était l’homme politique le plus représentatif au Sénégal et qu’il n’avait jamais connu d’échec dans sa vie. Il avait, avec le même enthousiasme, promis « zéro nid de poule » en banlieue. Il avait aussi promis aux députés de reconstituer « la colonne vertébrale du Sénégal », avec les projets d’infrastructure de l’Anat, nouvelle agence créée pour remplacer l’Anoci. Quand il a ajouté l’Energie à son énorme portefeuille, députés et sénateurs se sont laissé séduire par les discours qu’il lit comme un écolier du primaire.
Tout cet échafaudage s’est effondré. Les populations réclament la démission de Karim Wade comme elles réclamaient celle de Samuel Sarr. Son plan Takkal est un fiasco total et le père ne peut plus convaincre du génie du fils. Au lieu de séduire, l’argent dégoûte. Le président arrogant et frais de bêtise qui utilisait les deniers du contribuable pour couvrir ses crimes ne se ressemble plus. Pour parler comme Balzac, aux uns, il fait horreur, aux autres, il fait pitié.

SJD

Tags: Lignes ennemies sjd souleymane jules Diop

Auteur: Souleymane Jules DIop - Seneweb.com

28 Commentaires

Laye
En Mai, 2011 (06:37 AM)
bravo et bonne continuation

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En Mai, 2011 (12:50 PM)

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