« Le cœur grossier de la prospérité
ne peut comprendre les sentiments
délicats de l’infortune »
CHATEAUBRIAND
Abdoulaye Wade nous avait habitués aux promesses jamais tenues, aux engagements sans lendemain. Mais l’année 2009 s’annonçait différente. Du président de la République, nous pensions qu’il avait enfin renoncé à se prendre pour un immortel. Son discours réaliste était celui d’un repenti, conscient de tout le mal qu’il avait fait, déterminé à ne plus se laisser tenter. Quand quelqu’un vous parle de lui-même avec autant de franchise, vous vous dites que tout ce qu’il dit par la suite est empreint de la même sincérité. Ensuite arrivent les promesses : la baisse des prix des denrées, l’engagement ferme de payer la totalité de la dette intérieure. Abdoulaye Wade, rappelez-vous, avait poussé la comédie jusqu’à déclarer, dans un latin frelaté, que l’erreur est humaine. Nous avons dit quel courage ! Il avait ajouté que persister dans l’erreur était du ressort du diable. Nous avons fondu d’attendrissement, contents d’avoir enfin retrouvé l’homme que nous avions porté au pouvoir le 19 mars 2000. Nous devons nous résoudre à accepter que nous avons élu le diable à la place de l’homme.
Ce qui est désarmant chez monsieur « doublevé », rare chez les hommes, c’est cette capacité à se renouveler sans cesse, même dans le mensonge. Il nous prend au piège parce qu’il est doué dans la mise en scène de sa propre personne. Quelque habitude que nous prenions à regarder l’artiste jouer au funambule sur sa corde raide, sa forfanterie nous étonne toujours. La tête jetée vers son ciel, nous le regardons jouer ses anciens numéros comme s’il venait de les inventer. Son pas est devenu lent, ses traits noyés dans la graisse, mais le roublard en lui n’a pris aucune ride. Il est toujours aussi efficace quand il doit promettre ce qu’il n’a pas pour avoir ce qu’il veut.
Le stratagème inventé pour soutirer de l’argent aux sénégalais suit sa propre logique qui n’a jamais été démentie. Il en est ainsi depuis qu’assis sur le trône présidentiel, il a lancé à celui qui deviendra plus tard son Garde des Sceaux : « nos soucis d’argent sont terminés ».
Les Sénégalais paient trois fois plus d’impôts et de taxes qu’il y a huit ans, quand il s’installait au pouvoir. Il faut ajouter à cet apport financier sans précédent, l’annulation de la dette, proche de zéro. L’Etat a donc trois fois plus de moyens qu’il y a huit ans. Mais nous n’avons jamais autant souffert de notre vie. Le besoin effréné de liquidités est tel que le président de la République a réduit sa noble fonction à celle d’un vulgaire collecteur d’impôt. La nouvelle redevance qu’il réclame aux usagers du téléphone est une façon de prendre d’une main ce qu’il a été obligé de céder de l’autre.
L’opposition frontale notée quand il a voulu faire payer aux usagers deux fois la même facture d’électricité l’a obligé à cette pirouette honteuse. Il sait qu’il rencontrera chez les usagers du téléphone portable plus de mollesse que chez les imams de Guédiawaye. Il le fera quoi qu’il en coûte à la paix sociale. Plusieurs fois, nous avons été proches de l’explosion sociale. Les 11 milliards qu’il veut prendre aux usagers du téléphone, il peut les trouver en réduisant du tiers ses déplacements à l’étranger. Ce drogué du voyage nous coûte entre 30 et 40 milliards de francs Cfa par année. Il nous fait oublier jusqu’à des réalités très simples. Quand l’argent entre dans une poche, c’est qu’il sort d’une autre poche. La logique aurait voulu qu’avant de saigner les plus pauvres, il s’occupe de ses gras courtisans. Quand il déclare que la vie est dure, la « Wade formula » omet de dire pour qui elle est dure. Elle est dure pour tous les laissés pour compte qui refusent de se soumettre. D’une main il terrorise, de l’autre il corrompt. Les laudateurs bouffons et les moralistes de la raison d’Etat n’ont jamais été aussi prospères. Si une tribu de macaques s’installait au palais de la République, ils la serviraient utilement. Bacar Dia et Babacar Diagne sont de cette race.
Mais ce qui rend notre sort plus cruel, c’est le mensonge qui l’accompagne. Dans les mois à venir, le pays entier sera laissé à lui-même et aux lois sauvages du marché. L’excuse du régime, c’est qu’une bonne partie du budget a servi à subventionner les denrées de première nécessité. Ce qui est faux. Tout cet argent a servi à financer une trentaine d’agences inutiles, mais surtout à financer les chantiers de l’Anoci. Si Karim Wade avait accepté d’être entendu sur la gestion de son agence, nous aurions au moins eu la maigre consolation de savoir où sont passés les milliards du contribuable sénégalais. Mais sitôt un bilan de fin d’exercice demandé, son père l’a remis en « mission ». Il est injuste et immoral qu’une agence incapable de livrer la moindre chambre d’hôtel jusqu’à la tenue du sommet de l’Oci se substitue au ministère des Transports pour construire des routes. C’est pourtant de cette pompe majestueuse et des ambitions qu’elle a enfantées que se réclame la « Génération du concret ».
L’argent qui devait servir à payer les entrepreneurs bernés a encore une fois servi à nourrir Abdoulaye Wade et sa cour. Le régime déclare qu’il a financé « l’humanitaire ». C’est là tout son cynisme. Wade aurait fait un grand auteur de fiction, mais c’est un piètre économiste. En refusant de payer les entreprises sénégalaises, il oblige des milliers de pères de famille au chômage et à la mendicité. Pendant que la plupart des sénégalais sont forcés au chômage, il n’y a de travail que pour son fils. L’élargissement de l’avenue Cheikh Anta Diop ? A lui. La route de l’aéroport ? A lui. La route nationale qui part de Cambérène à Rufisque ? A lui. L’aéroport de Diass ? Encore à lui. Quand on y ajoute que des Etats mettent à sa disposition des Jets privés ; qu’il représente son père auprès de nombreux chefs d’Etat dans le monde, on comprend pourquoi on parle tant de lui. Abdoulaye Wade a oublié de préciser ce détail au journaliste qui l’interrogeait : son fils est candidat aux élections municipales à Dakar.
Mais il n’avoue qu’à moitié, le président. Et je ne pense pas que nous l’aidons à devenir plus sincère. Au lieu de s’en prendre à lui, les consommateurs et leurs représentants s’en prennent à leurs téléphones portables comme s’ils étaient les coupables. Ce n’est pas le téléphone le coupable, c’est Abdoulaye Wade le coupable.
SJD
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