« Les résignations qui nous sont les plus
douloureuses doivent souvent passer par une petite
négociation, pour donner le change à notre impuissance »
F. BIZOT
On se demandait combien de temps il prendrait à l’opposition, pour revenir à la raison. C’est maintenant chose connue : aux prochaines élections locales. Alors que le Code électoral est resté le même, alors que Wade refuse toute idée de dialogue, alors que les Assises nationales sont restées une idée évasive sans aucune forme précise, l’opposition boudeuse décide de battre sa coulpe. Curieusement, pour prendre la décision de boycotter les législatives, les leaders ont décidé seuls. Maintenant qu’ils doivent aller à des élections de moindre envergure, les « chefs » décident de consulter « leurs bases ». On connaît déjà la réponse, Ps et Afp au moins iront aux élections locales. Ce n’est évidemment pas un reproche qu’on va faire au Front Siggil Sénégal, de baisser la tête. Mais quelle idée de prendre une décision aussi grave que le boycott des législatives pour finalement rien du tout. Quand, il y a six mois, j’ai considéré que la décision de ne pas participer aux législatives était une erreur monumentale, j’ai été taxé d’antipatriote. L’opposition ne pouvait pas voir, en ce moment-là, qu’il valait mieux avoir une représentation nationale, même minimale, plutôt que de ne pas en avoir du tout. La réponse à la mascarade électorale, si elle existait bien, n’était pas dans la loi électorale. On l’aurait su depuis longtemps. Elle était dans la façon de veiller à sa mise en application. Ce processus commence par les inscriptions sur les listes, les révisions, et une présence assidue le jour du vote, pour veiller à l’application stricte de la loi, et prévenir la fraude. Si la loi a été violée, ce n’est pas la faute à la loi, c’est la faute à ceux qui sont chargés de l’appliquer, et ceux qui sont chargés de veiller à sa bonne application. Cette responsabilité n’incombe pas seulement à l’administration, mais aussi à l’opposition, figurez-vous. Malheureusement, quelqu’un comme Ousmane Tanor Dieng a préféré faire voler des avions, plutôt que d’assurer une présence minimale dans les bureaux de vote. L’origine des dysfonctionnements notés lors des dernières élections n’est pas matérielle, elle est humaine. Nous avions produit en 1992, un code que toute la classe politique avait approuvé, sans y ôter « une virgule ». Mais à la pratique, en 1993, le Ps, puis le Pds se sont livrés à une fraude gigantesque sur les ordonnances, et au contentieux électoral le plus long de l’histoire. Le Pds, qui a découvert la pratique lors de la présidentielle, a créé des officines spécialisées à Grand-Dakar. On ne combat pas le mal par le mal, mais cette pratique avait obligé le pouvoir de l’époque à des réajustements nécessaires sans lesquels l’alternance n’aurait jamais eu lieu. Mais au lieu de s’en prendre aux hommes, l’opposition s’en prend faussement à la structure.
Il y a aussi l’illusion maintenue, jusqu’au bout, qu’elle irait aux élections avec une candidature unique. C’était une illusion entretenue sciemment, alors que tout le monde savait qu’Idrissa Seck, Abdoulaye Bathily, Ousmane Tanor et Moustapha Niasse seraient candidats, à coup sûr. Dans l’histoire de ce pays, il n’y a jamais eu une candidature unique. Mais cette évidence aussi, elle a échappé à notre opposition. En 1998, cette question avait été réglée dès la fin des législatives, et permis aux deux structures, l’Afca et le Brc, de concentrer la réflexion sur les moyens communs de lutte contre la fraude.
Sur cette question, l’opposition n’a jamais posé la nomination d’Ousmane Ngom comme préjudicielle, alors qu’il allait de soi que ses fonctions passées de Directeur de campagne du candidat Wade le disqualifiaient pour l’organisation des dernières élections. Si Wade avait fait de la nomination d’une personnalité neutre au ministère de l’Intérieur en 1998 une obligation, je ne vois pas pourquoi la même logique ne serait pas valable après l’alternance.
Mais même sur la question de la participation ou non aux locales, l’opposition a continué à mentir à l’opinion. On sait depuis juillet, par une des responsables de l’Afp à Dakar, que ce parti irait aux locales. Mais tous les journalistes qui ont pris cette nouvelle donne pour une évidence se sont fait rabrouer, parce que ce n’était pas « une décision de l’Afp ». Il n’y a pourtant aucune honte à réparer une erreur qui a conduit à l’impasse. Le boycott n’a ni infléchi les positions de Wade, ni réglé la question électorale, qui était pour l’opposition un impératif à toute participation à des élections futures. Ils ont tous découvert les avantages du véhicule de fonction, du carburant, du salon d’honneur, du passeport diplomatique pour monsieur, madame et les enfants. Les élections ne se gagnent malheureusement pas dans les salons d’honneur des aéroports. L’opposition ne manifeste plus, ne marche plus, ne s’oppose plus. Il y a trois ans, une initiative pour la démission du président de la République Idewa, avait fortement ébranlé le président de la République. Un grand rassemblement avait alors été prévu pour le 11 décembre 2004. A l’approche de la date, certains leaders se réunissent pour, chose curieuse, demander l’annulation de la manifestation. Il fallait alors trouver des explications à servir à l’opinion. Quelques uns trouvent alors l’idée « géniale » de demander à Amath Dansokho, qui avait un rendez-vous pour ses soins à Paris, de rester au-delà du 11 décembre. Vous avez bien lu, Amath Dansokho a été prié de rester plus longtemps que prévu à Paris, pour offrir un prétexte à l’opposition. « Nous allons expliquer que puisque Dansokho est l’initiateur de l’Idewa et qu’il est absent, nous ne pouvons pas tenir cette manifestation sans lui ». Amath va leur exprimer toute sa « gêne ». Talla Sylla va quitter la réunion. Mais au final, c’est l’explication qui sera servie à l’opinion : « Amath n’est pas là, nous allons attendre son retour ». Ainsi est morte l’Idewa.
Les assistes nationales vont connaître le même destin, avec la trahison de leurs initiateurs. C’est encore une méprise historique. Les initiatives nationales, qu’elles soient des conférences ou des assises, n’ont jamais été le fait de structures partisanes. Elles ont toujours été organisées par la société civile, qui y invite la classe politique. C’est la première fois de l’histoire qu’une opposition propose une conférence nationale, et supplie tout le monde, même les mécaniciens et les éboueurs, d’y participer. Pour rallier les mécaniciens, c’était à Madior Diouf de leur parler des problèmes de « mécanique », et les convaincre qu’ils vont connaître une solution dans le cadre des « assises nationales ». Le rôle d’une opposition, c’est de s’opposer. C’est ce que Moustapha Niasse, Ousmane Tanor Dieng et dernièrement Idrissa Seck n’ont jamais su faire. La situation du pays est de ce point de vue paradoxale. C’est le Parti démocratique sénégalais qui est le pouvoir et l’opposition. C’est au sein du pouvoir que se pratique le jeu de la contestation, et c’est curieusement le numéro deux du Pds, Macky Sall, qui assume le rôle de contrôle de l’exécutif, en convoquant le fils du président de la République au Parlement. Il n’y a jamais eu une alternative crédible, et ce serait injuste d’aller demander un mandat local aux populations, après avoir boudé le pays pour l’essentiel du temps. On évoque souvent les talents d’Abdoulaye Wade, mais c’est son opposition qui est nulle, il faut en convenir. En 7 ans, ce ne sont pas les thèmes de mobilisation qui ont manqué. Jamais elle n’a su embrasser les causes des populations, sinon laisser la presse mener ce combat par procuration. Même quand des bonnes volontés s’engagent à l’étranger dans des actions de contestation, l’opposition n’arrive pas à mobiliser.
Il y a une opposition qui est bien morte, et elle n’aura jamais l’occasion d’une seconde vie. Au final, un pouvoir incapable de gouverner, et une opposition incapable de s’opposer. C’est pourquoi, à moins d’un réveil miraculeux, la succession se jouera exclusivement au sein du Pds. Pape Diop est maintenant assuré d’offrir la Mairie de Dakar, puis le pays à son « frère » Karim. Ce ne serait que justice. Au lendemain de l’alternance, sur le perron de la présidence, Karim Wade a été le premier à l’appeler « monsieur le maire ». Il croyait que c’était une blague !
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