
Abdoulaye Wade crée lui-même les conditions de son propre désaveu, enchaîne les sottises et pour en chasser une, en dit une autre. Il en est de cette idée de gouvernement d’union nationale à laquelle il n’a jamais cru, puisqu’il a débuté son premier mandat en chassant ceux qui l’avaient élu autour d’un programme commun, pour gouverner seul avec son fils et son clan. Il a fait la même chose en 2007, puisque ses plus grands défenseurs de l’époque, l’avocat El Hadj Diouf et le docteur Bacar Dia, ont été chassés comme des malpropres de son gouvernement. Maintenant qu’il cherche des soutiens comme un désespéré, son grand coeur lui retombe dans les mains.
Mais il s’agit surtout d’un échec grandiloquent de toute la stratégie de communication du camp présidentiel. Le chef de l’Etat avait pensé qu’il pouvait tout se permettre au plan des institutions et centrer sa communication de campagne sur ses quelques réalisations en infrastructures. Il croyait ainsi pouvoir éviter le débat sur la succession monarchique et les interrogations que suscite sa candidature pour un troisième mandat, à près de 90 ans. Il est maintenant obligé de passer son temps à se justifier en assurant partout qu’il n’est pas malade, qu’il n’en aura que pour trois ans. Ce qui donne implicitement raison à ceux qui pensent qu’il en coûtera à la stabilité du pays de confier un mandat à un homme parvenu à cet âge, qui montre tous les jours des signes évidents de faiblesse. Bien entendu, il ne s’agit pas seulement de l’échec d’une stratégie. C’est l’échec d’une méthode basée essentiellement sur la corruption de supposés «grands électeurs», qui découvre ses limites. Abdoulaye Wade avait fini par transformer le palais de la République en un grand souk où les transhumants venaient vendre leur âme pour se transformer en esclaves du Sopi. Tous ces anciens responsables de l’opposition achetés -je pense à Djibo Kâ, Abdoulaye Babou, Abdourahim Agne, Abdoulaye Mahtar Diop, Alassane Daly Ndiaye- ces lutteurs qui paradaient sur le perron du palais présidentiel après avoir empoché l’argent du contribuable, ne lui sont d’aucune utilité.
Cet homme qui se prenait pour un Dieu avait tout misé sur son fils, heurtant les Sénégalais en le présentant tout le temps comme le meilleur, alors qu’il donne dans tous les domaines des résultats médiocres. Il lui a confié des milliers de milliards de francs et nous avons vu Karim Wade s’offrir en spectacle au Sénat, à l’Assemblée nationale, vantant ses propres mérites, distribuant des motopompes à Thiès, des moulins à Fatick, toujours filmé par les caméras de la télévision nationale. Ce que tout ceci a de tragi-comique, c’est qu’aujourd’hui, Abdoulaye Wade est obligé de cacher ce «génie» qu’il voulait nous imposer et de ne plus évoquer son nom, sous peine de fâcher une partie de son électorat. Pour lui offrir une plateforme politique capable de le propulser «au sommet», il s’était investi à amadouer toutes les franges de la société et de procéder au recyclage d’opposants sans aucune dignité. Ils se sont fait laminer partout et rasent les murs en attendant les résultats du second tour. J’entends encore ce Karim Wade déclarer à la veille des élections locales de 2009, au journaliste de la RFM qui lui demandaient s’il croyait à la victoire : «Je n’ai jamais échoué dans la vie... Aujourd’hui, en dehors d’Abdoulaye Wade, je suis l’homme le plus représentatif au Sénégal, plus représentatif que toute l’opposition réunie.»
Voilà présentées en chiffres, sa représentativité et celle de son père réunies : 34% de l’électorat. Faire le tour des familles religieuses pour leur dire «je sais que vous avez du monde derrière vous» doit être une épreuve humiliante pour ce président, qui se prenait pour le Cesar des temps modernes. A aucun moment, il n’a voulu pointer ses propres erreurs et reconnaître ses échecs. S’il n’a pas été élu au premier tour, continue-t-il de faire croire, c’est que ses électeurs sont restés chez eux, effrayés par la campagne de l’opposition; s’il n’a pas obtenu la paix totale en Casamance, c’est par la faute de puissances étrangères qu’il se garde de nommer. Nous avons enregistré ces deux dernières années dans les rangs de l’armée un nombre record de morts et au moment où il bat campagne, des soldats sénégalais sont faits prisonniers par des rebelles. Mais Abdoulaye Wade soutient qu’il y a une accalmie depuis 12 ans. A défaut de changer la réalité, il la nie. Mais ce qu’Abdoulaye Wade ne devrait jamais accepter, c’est cette campagne de calomnie qu’il encourage, cette violence qu’il ne veut pas dénoncer. Nous voudrions bien le voir sortir grandi de cette élection et vivre dans ce pays en paix comme ses prédécesseurs. Il serait mal avisé de nous imposer une épreuve de force inutile et il devrait prendre ses distances avec ses souteneurs qui veulent semer la terreur, assurer la sécurité des citoyens. Utiliser la calomnie pour salir son adversaire est indigne, dépenser des sommes considérables pour acheter des cartes d’électeur est indécent et ne fera qu’ajouter à la colère des populations. C’est une victoire écrasante qu’il recherchait, c’est une sortie humiliante qu’il lui faut maintenant éviter. Une cause perdue est une cause perdue.
SJD
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