« Le mal de la grandeur,
c’est quand du pouvoir elle sépare la conscience »
SHAKESPEARE
Ceux qui espèrent la fin du thriller Wade-Seck vont bientôt fermer leur SOS et vaquer à leurs occupations « campagnales ». Malco Seck, le « linge sale » de la Wadésie, ne sauvera pas son « père » du naufrage. Dans ce scénario plein d’intrigues, c’était ou l’un ou l’autre. Ce sera maintenant et l’un et l’autre. Jusqu’au dernier moment, maître Abdoulaye Wade a tenu au pouvoir comme à la vie, en répétant inlassablement la même chose, « il faut venir, je vais te donner le parti et l’Assemblée nationale ».
En général, quand il a le visage aussi enjoué, il a des lames de rasoir dans le caquet. Eh bien ils sont forcés à un duel que nous allons arbitrer. Il n’y aura finalement que deux gagnants dans cette histoire, ceux qui ont flairé le coup, et qui ont empoché des dizaines de millions, en traînant Idrissa Seck au palais de la République. J’aurais bien aimé entendre « Junior » là-dessus. Mais il peut toujours dire « j’ai fait mon job, je les ai mis ensemble », ce monsieur qui traitait tous ceux qui n’ont pas voté Diouf en 2000 « d’imbéciles ». Idrissa Seck et Abdoulaye Wade étaient forcément perdants. Abdoulaye Wade moins, puisqu’il a sa carrière politique derrière lui. Encore une fois, il a réussi à diviser une très grande coalition, et freiné une très grande ambition. S’il retirait sa candidature, Idrissa Seck retirerait littéralement sa carrière politique.
Il y a dans ce corps de sprinter un coureur de fond. Mais cette course folle entre le palais et le Point-E conduisait irrémédiablement à sa perte. Wade a gagné dans le dilatoire. Il se permet même une dernière prolongation, question d’aviser ses snipers embusqués que les négociations sont rompues, et que le cessez-le-feu unilatéral ne tient plus. Ils vont donc retourner dans les caniveaux pour décocher leurs flèches. La paix des braves n’est plus. Pas de liberté pour Vieux Sandiery Diop et compagnie. A partir de dimanche, la paix de quelques jours va se transformer en une guerre de tous les jours. Idrissa Seck, le « camarade », redeviendra le « voleur » indigne de confiance. C’est le prix à payer pour cette rupture, mais elle sauve un homme d’une mort politique certaine.
Il y a deux événements « malheureux » cette dernière semaine, riches en enseignements pour les démocrates de ce pays. Le premier est cette audience que Wade a accordée au mauvais gestionnaire d’hier, devenu l’actionnaire « décisif ». Il montre à l’opinion la véritable face des piliers de ce cabaret géant, qui hèlent depuis deux mois sur le « serpent venimeux ». Ils ont changé d’avis sur lui sans honte, à la simple demande de leur chef. Je veux d’ailleurs dire à ceux qui ont déclaré qu’Idrissa Seck a tout perdu dans cette affaire, qu’il s’est quand même fermé définitivement les portes de la prison, et s’est assuré, le temps des « négociations », que le Conseil constitutionnel n’invaliderait sa candidature. On peut dire que ça allait de soi, mais il y a seulement deux semaines, les libéraux pariaient qu’ils ne le laisseraient pas se présenter à la présidentielle. Ils juraient, avec la même assurance, qu’il n’y avait plus de dossier pour lui faire son passeport « ordinaire ». Ils viennent de se livrer à un vil marchandage que le président de « Rewmi » aura beaucoup de mal à justifier auprès de l’opinion. Voyez quand même comment Abdoulaye Wade a pu transformer, en une matinée, son amour pour la bonne gouvernance en un amour pour le pouvoir !
Le deuxième événement est la marche interdite de l’opposition de samedi. La suffisance démocratique que ce chef d’Etat traîne dans tous les pays du monde comme son compte de commerce personnel a pris un sacré coup. On se croirait dans le Togo de Gnassimbe Eyadema ou le Congo de Mobutu Sessesseko. Ces images à elles seules, ont édifié les foyers du monde entier sur la nature de ce régime. Une vieille connaissance, correspondante à la maison blanche, m’a demandé avec beaucoup de stupeur « est-ce bien le Sénégal ? », après avoir vu les images des opposants tabassés sur la BBC. Oui c’est bien le Sénégal. On ne sait pas comment cet homme chanceux est passé à côté de l’histoire. Il vient de finir son mandat de la plus belle des manières, en matraquant ceux qui l’ont porté au pouvoir il y a sept ans. Et dans le rôle du bourreau, celui qui a claqué hier les portes de son parti, en le traitant de « monarque ». Ousmane Ngom trouve que les policiers ont agi « dans les règles ». La scène que les photographes ont immortalisée samedi dernier, montrant Moustapha Niasse, le col tiré comme un voleur de poules, roué de coups, est affligeante. Mais ces images de quelques secondes ont rendu un grand service De Londres à Washington, en passant par Paris, on est désormais convaincu de la décadence de ce régime, et de l’urgence qu’il y a à arrêter ses dérives.
Il faut le rappeler à Amath Dansokho, Jacques Chirac n’a rien à voir avec la situation que nous vivons. Il y a longtemps que le président français refuse de recevoir notre président de la République, et il a transmis ce dégoût au président américain. Je l’ai entendu déclarer, cette semaine, que l’aide de la France au Sénégal a baissé sous Diouf, et augmenté quand il est arrivé au pouvoir. Il y a juste trois ans, il affirmait l’exact contraire, et confiait à François Soudan l’avoir fait remarquer à Chirac. Mais à cette époque, les deux hommes étaient en guerre. C’est cette inconstance qui nous gouverne depuis 7 ans, et qui a fait de nous des athées de la politique.
Abdoulaye Wade a mis la locomotive Sénégal à la traîne des démocraties, et le pire est à venir. Les lecteurs sont restés incrédules quand j’ai évoqué, la semaine dernière, la facilité avec laquelle on pouvait reporter la présidentielle. Il a un neveu et un grand fanfaron prêts à venir à son secours, quand il en aura besoin. Cette disposition de l’article 34 de la Constitution est incroyablement insensée, mais tout le Wadisme, depuis sept ans maintenant, est une célébration de l’insensé.
Il est désarmant de voir à quel point nous pouvons douter de notre démocratie, sur une question aussi fondamentale que le droit de voter. A deux jours du début de la campagne électorale, dans les coulisses, notre président de la République essaie de convaincre ceux qui l’écoutent encore, que ce ne serait pas une bonne chose d’organiser la présidentielle. Et son porte-parole a quand même le culot de hurler, depuis Washington, que c’est l’opposition qui a peur d’aller aux élections. Il doit expliquer aux électeurs des Etats-Unis, d’où il inondait de salive les radios dakaroises, comment leurs cartes, mises sous scellé dans la valise diplomatique, ont disparu au-dessus de l’océan atlantique, entre Dakar et Washington.
Les électeurs d’Afrique du Sud, qui ont été convoqués mercredi pour retirer leurs cartes, ont trouvé les locaux de l’ambassade fermés. Dans d’autres pays, les commissions de distribution sont passées en silence, avant de disparaître dans la nature. Et ce régime veut encore nous convaincre de son intention d’organiser des élections transparentes.
Wade a régné sur ce pays, il ne l’a pas gouverné. C’est pourquoi ces 7 longues années lui paraissent si courtes. Il n’en a passé que deux au total dans notre pays, le reste à l’étranger, bien entouré de sa cour, en regardant notre misérable pays d’en haut. Il doit maintenant accepter de se soumettre à la volonté populaire ou se démettre. S’allier à son régime pour lui éviter une défaite certaine serait un crime.
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