
« Le despotisme est le gouvernement où
le chef de l’État exécute arbitrairement
les lois qu’il s’est données à lui-même, et où,
par conséquent, il substitue sa volonté
particulière à la volonté publique ».
Emmanuel KANT
C’est à une triste fin que nous assistons, impuissants que nous sommes, face au sort d’un homme qui se laisse aller à son destin tragique, déterminé à y entraîner son peuple, incapable de renoncer à ses passions, devenu le jouet de ses ambitions. Même affalé dans son fauteuil orthopédique, Abdoulaye Wade refuse de se plier, porté par les bravades de son dernier carré de fanatiques. Il refuse d’abdiquer face à ce que tout le monde prend maintenant pour une évidence : l’impossibilité de sa candidature, malgré la vaine comédie à laquelle sont essayés ses « constitutionnalistes » étrangers. M’est revenu à l’esprit cet instant d’août 2003 où, venu lui parler pour la première fois de l’omniprésence de son fils dans les affaires de l’Etat et des menées de certains membres de son entourage, j’ai vu l’homme avec qui j’aimais commercer, transformé, me répétant toutes les minutes « mais dis donc, je suis le président de la République », comme s’il n’y croyait pas encore. Il m’a rappelé le lendemain pour organiser avec ses proches collaborateurs qu’étaient Souleymane Ndéné Ndiaye, Farba Senghor et Pape Samba Mboup, une séance qui a failli tourner au pugilat. J’ai retenu le dernier défi qu’il m’a lancé assis sur son fauteuil Louis XIV, alors qu’il avait la tête retenue au-dessus d’une chemise au col montant, la pochette bien assortie avec son épaisse cravate rouge : « Même grabataire, je me battrai. »
Abdoulaye Wade n’a renoncé à aucune de ses paroles. La promotion de Karim Wade, s’il le « veut », la liquidation d’Idrissa Seck, qu’il a « créé ». Et tous ceux qui étaient présents ce jour-là dans son bureau qu’il a nommés ministres, y compris Pape Samba Mboup, qui dégageait de la bouche des effluves de raisin fermenté qu’il essuyait avec ses bras de chemise. L’un d’eux, qui criait « monsieur le président, il a fait écrire dans les médias que j’ai enceinté une handicapée à Guinguineo », est devenu notre Premier ministre. Contre vents et marées, quitte à se faire la risée du monde, Wade est resté fidèle à lui-même.
Hélas, il n’entraîne pas dans ses sombres menées sa seule personne, il engage le destin de tout un peuple. S’il reste en course, il nous impose une confrontation que nous avons cherché à éviter. J’ai été de ceux qui ont pensé, à l’approche de l’année 2012 qui doit aussi marquer la fin de son règne, qu’il était encore possible de trouver avec lui un compromis. La plupart des choix qui ont déterminé la vie des hommes de pouvoir n’ont rien à voir avec la rationalité qui doit les guider. A la base des grandes décisions qui ont changé la vie des hommes et des peuples, se cachent des motivations psychologiques d’ordre émotionnel. J’ai essayé de faire plier un homme à partir des deux ressorts qui m’ont semblé déterminer toute sa présidence, l’argent et les honneurs. J’ai essayé de lui dire qu’il était possible d’en gagner pour le restant de sa vie sans être malhonnête, qu’il était possible d’être reçu avec les honneurs sans être au pouvoir. Je l’ai affirmé sans avoir été sûr que de son piédestal, il pouvait descendre à la hauteur du petit homme que je suis, pour entendre les imprécations du peuple d’en bas que je lui rapporte modestement. Je lui ai fait cette offre conditionnée à son départ du pouvoir par amour pour mon pays et par peur de le voir sombrer dans la violence.
Le fallait-il pour qu’il m’entende ? Quand il a décidé de reporter la date de son investiture, je l’ai interprété comme une volonté de se donner un temps de réflexion, en se retirant aux Etats-Unis, là où deux ans auparavant, il avait annoncé sa candidature controversée. C’est une faiblesse de ma part qu’avec cet homme, il m’est difficile de ne jamais espérer. J’ai grandi avec son image gravée dans le subconscient et j’ai appris à le chérir comme un modèle de militantisme et de patriotisme. Je confesse qu’à l’envie de le voir payer pour tout le mal qu’il a fait à ce pays, s’associe chez moi la peur de le voir mal finir. Mais il faut bien finir par désespérer d’Abdoulaye Wade. Il a réussi à agacer les plus modérés, même parmi les membres du Conseil constitutionnel, qui ont trouvé malvenu la convocation d’étrangers pour leur donner des leçons. Il a peiné Serigne Diop, qui a trouvé outrageant que le président de la République ait pu affirmer qu’il n’y a jamais eu un comité mis en place pour rédiger cette Constitution.
C’est qu’il est prêt à tout, ce Wade. Les menaces qu’il fait proférer contre Youssou Ndour, le limogeage du président de la Centif et l’hypothèque qu’il fait peser sur l’organisation de cette présidentielle sont la preuve qu’il a décidé de se soumettre aux lois des voyous qui peuplent son régime et non aux ordres de son peuple.
J’ai eu cette confidence d’un homme aux secrets. Les promoteurs agricoles de Fanaye sont venus lui dire qu’ils ont déjà dépensé 15 milliards de francs et qu’il leur était impossible de renoncer à leur projet. Ils lui ont cité les noms de tous les ministres et conseillers qui ont été « arrosés ». Et voilà ce qu’a été sa réponse : « Je ne peux pas vous permettre de continuer, nous sommes dans une période électorale, ce n’est pas bon. Je vais annoncer que le projet est abandonné et au mois de mars, quand les élections seront terminées, vous pourrez reprendre vos affaires. » La soif du pouvoir a été une drogue beaucoup plus puissante que les joies d’une fin honorable que nous lui faisions entrevoir. Il s’en mordra les phalanges !
SJD
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