Au-delà de ses conséquences désastreuses dans l’école publique, le recrutement spécial est une occasion de caser une clientèle politique et un argument de campagne pour 2024.
Le limogeage de Mouhamadou Moustapha Diagne, désormais ex-directeur de la formation et de la communication du ministère de l’Education, intervient dans un contexte de cacophonie sur un supposé recrutement spécial. Ainsi, en dehors des considérations politiques de cette décision, il importe de s’arrêter sur le côté éducatif, à savoir le déficit de 8 000 enseignants dans le système éducatif, reconnu par l’Etat du Sénégal.
Avant son limogeage, Mouhamed Diagne, qui avait annoncé un recrutement spécial, a sorti un communiqué quelques jours après pour se dédire, balayant du coup toute idée d’enrôlement d’enseignants à titre exceptionnel. « …Aucun recrutement spécial n’est prévu à ce jour… », affirme M. Diagne dans un communiqué du 10 octobre 2023.
Pourtant, cette idée de recrutement spécial émane de l’Etat. Lors du conseil interministériel sur la rentrée scolaire 2022-2023, il a été retenu 18 mesures pour un retour en classe dans les meilleures conditions. La directive numéro deux est ainsi intitulée : « Procéder à un recrutement spécial de personnel enseignant et diligenter la mise à disposition de tous les personnels ».
Cette information est encore disponible sur le site du gouvernement du Sénégal.
« Elle explique très mal. Elle ne sait comment préparer ses cours »
Pourquoi donc cette cacophonie au sommet de l’Etat ? Il faut dire que certains syndicats d’enseignants ont dénoncé ce mode de recrutement qui vise à caser une clientèle politique, comme ça a été le cas en 2021. Avec des conséquences désastreuses sur les enseignements apprentissages, donc le niveau des élèves. Le journal EnQuête, qui a publié un article là-dessus, a recueilli un témoignage assez édifiant.
« Je partage la même cellule d’animation pédagogique avec une enseignante faisant partie de ce recrutement spécial de 2021. Elle explique très mal ses cours. Elle ne sait ni comment procéder ni comment préparer ses cours ; elle mélange tout. La cellule l'a interpellée sur sa manière d'enseigner. Elle a été honnête avec nous. Elle nous a fait savoir qu'elle n'a jamais enseigné, qu'elle n'a jamais été formée et qu'elle ne connaît rien à l'enseignement ».
Ce témoignage confirme les inquiétudes soulevées par la Cosydep à l’époque, à savoir qu’un recrutement spécial pose un problème de transparence dans la sélection avec des profils parfois pas du tout adaptés et généralement une formation au rabais. En effet, à la place de 9 mois en situation normale, la formation est accélérée (5 mois à peine) dans le cas d’un recrutement spécial. La Cosydep estime ainsi qu’un recrutement spécial est le résultat d’une absence de planification.
D’ailleurs, on se rappelle la polémique entre l’Ong, dirigée par Cheikh Mbow, et le ministère de l’Éducation. En 2022, la Cosydep avait révélé un besoin de 45 000 enseignants dans le système. Le ministère avait démenti parlant d’un déficit moins important. « La Direction des ressources humaines au titre de l’année scolaire 2022-2023 a demandé pour autorisation de recrutement 5726 enseignants dont 2992 maîtres 2525 professeurs et 209 inspecteurs », répliquait le ministère.
Du côté de la Cosydep, on indiquait qu’il fallait faire la différence entre un déficit et un besoin. Ainsi, l’estimation du besoin à 45 000 se fonde sur 3 paramètres à savoir l’effectivité du droit universel à l’éducation. Autrement dit, enrôler le million d’Enfants hors écoles, âgés entre 6 à 16 ans, « y compris les déscolarisés prématurés ». Le deuxième paramètre est l’application du ratio de qualité 1 enseignant pour 45 élèves. Et enfin la suppression de classes complexes notamment les Classes à Double Flux (CDF).
45 jours de formation à la place de deux ans
Le tout est estimé à un besoin de 45 000 enseignants. « L’option est donc de ne pas être dans la quotidienneté de la gestion consistant à simplement remplacer les enseignants partants et à maintenir le système à l’état. Notre estimation se veut d’être plutôt dans une planification prospective », rétorquait l’organisation.
D’ailleurs, ce chiffre de l’Ong était corroboré par celui de 40 000 enseignants révélé par le syndicat des inspecteurs ainsi que le projet de loi 2018 qui reconnaissait que «le Sénégal a besoin de 42 520 salles de classe supplémentaires au primaire s’il veut assurer la scolarisation universelle à l’horizon 2023 » (Page 13).
Ainsi, ces acteurs rappellent que le recrutement spécial doit être, non pas la norme, mais l’exception. D’autant plus que la formation ne suit pas toujours après ce mode d’enrôlement. A titre illustratif, parmi les 5 000 enseignants recrutés en 2021, il existe encore 892 professeurs sans formation, selon El Hadji Malick Youm, SG du Cusems. En temps normal, souligne-t-il, ces enseignants sont formés pour une durée de deux ans pour certains, un an pour d’autres. « Mais à ce jour, ils n’ont reçu que 45 jours de formation initiale », regrette M. Youm qui dénonce du colmatage à la place d’un recrutement sérieux, rigoureux et bien planifié.
Deux recrutements spéciaux en trois ans
En outre, le gouvernement avait l’habitude de recruter une moyenne de 2 500 enseignants par an, selon la Cosydep. Or, depuis le recrutement spécial en 2021, il n’y a presque pas de recrutement. En 2021/2022, il n’y a eu que 350 admis au concours des élèves maîtres sur plus de 32 000 candidats. En 2022/2023, c’est presque zéro recrue, puisqu’il y a eu un concours jusqu’ici sans résultat, donc sans sortant. Le gap est du coup devenu important. Un nouveau recrutement spécial à l’intervalle de deux ans a de quoi rappeler le quota sécuritaire déjà combattu. D’où l’importance de dépolitiser l’enseignement, à commencer par les postes de direction où il faut des techniciens et non des militants ou responsables de parti.
En attendant, dans ce contexte électoral, si un recrutement spécial ne fait ni l’affaire des syndicalistes encore moins celle de l’école publique, il reste une belle opportunité pour les politiciens au pouvoir de ranger une clientèle politique, d’après El hadji Malick Youm. Il faut donc s’attendre à ce recrutement dans les semaines à venir et à son utilisation comme argument de campagne pour la présidentielle de février 2024. Au détriment du Sénégal et des générations futures !
4 Commentaires
Nianthio
En Octobre, 2023 (13:33 PM)C simple, que ceux qui n en veulent se retiennent ou retirent leurs de l'école. Vous n'avez que vos gueules pour la NEGATIVITE
Beuz
En Octobre, 2023 (11:47 AM)Ndank
En Octobre, 2023 (15:30 PM)Karim$
En Octobre, 2023 (13:19 PM)Participer à la Discussion