« C’est un des privilèges de la tyrannie
de faire et de dire ce qu’elle veut »
SOPHOCLE
Quoi dire, qui n’ait été dit ? Qu’en dix ans, nous sommes passés par tous les états émotionnels. De l’euphorie qui a accompagné les premiers moments de l’alternance, nous en sommes venus à la sidération devant cette frivolité naissante, la révolte que suscite l’injustice dominante, l’indignation face aux nombreux crimes restés impunis et maintenant l’effarement. Ce que la mort de Malick Ba ajoute à ces sentiments qui se côtoient et parfois s’affrontent, c’est bien la tristesse. Un des sentiments que le philosophe Nietzsche portait en détestation au même titre que la peur, parce qu’il est contagieux. Mais il révèle en nous ce que nous ne devons jamais cesser d’être, des hommes, face à la barbarie qui tend à se banaliser, dans une République qui s’est déjà « bananisée ». Il est la preuve que la compassion n’est pas une denrée rare chez nous, comme l’huile et le sucre.
Je pense encore au sentiment d’impunité qui doit animer le gendarme qui a braqué son arme et tiré sur un homme choisi au hasard parmi la multitude, la froideur avec laquelle il a osé plaider la légitime défense face à des jeunes qui n’avaient que leurs voix pour hurler, leurs jambes pour courir. Je suis habité par la tristesse parce que quel que soit le sort réservé à Abdoulaye Wade et aux exécutants de ses desseins macabres, nous ne pourrons plus rendre Malick Bâ aux siens, nous ne pourrons plus redonner à son enfant le père qu’il a perdu. Nous ne pourrons pas ramener Moustapha Sarr, abattu par les gardes de Soubédioune, à son épouse. Nous ne pourrons pas ressusciter Abdoulaye Wade Yinghou, battu à mort par des policiers à Yeumbeul. Nous n’aurons de Sina Sidibé, abattu par des gendarmes à Kédougou, Alioune Badara Mbengue torturé à mort à Rebeuss, Dominique Lopy tué par strangulation au commissariat de Kolda, Alioune Badara Diop tué par électrocution par les policiers de Ndorong, que les vagues souvenirs qu’ils nous laissent et la tristesse qui nous envahit. C’est une des marques de ce régime de ne laisser aucune trace de son crime si ce n’est le crime lui-même. Nous avons des vidéos de sénégalais qui se font tuer en Côte-d’Ivoire avec les indignations de notre ministre des Affaires étrangères, des images d’assassinats de manifestants venus de Syrie. Mais nous n’avons de toutes ces affaires que des photos de famille des victimes et quelques récits de témoins affolés.
Depuis dix ans, Abdoulaye Wade réprime systématiquement les manifestations, interdit les publications, perpètre des crimes de sang, fait tabasser des hommes politiques, gouverne seul avec sa famille, son Sénat et son Assemblée nationale. Il érige des statues à sa gloire, s’empare des terres des populations, distribue l’argent du contribuable à sa guise. Il n’empêche qu’aujourd’hui encore, des hommes de bonne foi continuent de croire naïvement qu’il est un démocrate à l’opposé de Gbagbo « le barbare », alors que les deux professeurs ont été à la même école, enseignent la science de la mort avec leurs cadavres sanguinolents.
Si le monde entier voyait les images du jeune Sina Sidibé affalé baignant dans son sang, s’il voyait celui de Malick Bâ, il serait pris de stupeur. Il aurait vite détesté cet être monstrueux qui s’obstine à remplacer partout les hommes que les populations ont élus par ses obligés et qui tue ceux qui osent protester. Une telle avalanche de meurtres aurait partout suscité une vague de réprobations. Mais cet avocat vicieux possède une arme que tous les hommes d’honneur se gardent d’utiliser, le mensonge. Quand Amnesty International lui a présenté son pré-rapport sur la torture au Sénégal avant sa publication, il n’a voulu porter aucune appréciation. Quand, trois mois après, le document a été rendu public, tout ce que ce président s’était borné à dire relevait d’un questionnement stupide et consternant : « Combien de sénégalais meurent dans les prisons de France ? ». La vérité est qu’aucun sénégalais n’est mort dans une prison de France. Et si cela s’avérait, ce qui se passe dans notre pays n’en serait pas plus acceptable. En le disant, il absout tous les crimes, sans aucune compassion pour les victimes.
Une question m’est venue à l’esprit, en voyant le corps de ce jeune père de famille étalé au sol. Je me suis demandé si nous n’étions pas devenus un peuple de lâches. Nous comptons nos morts sans nous donner les moyens de les arrêter. Mais tout n’est pas à confondre. Je n’ai garde d’oublier que ce peuple se fait tuer, mais il ne se laisse pas déshonorer, depuis dix ans qu’il refuse de céder aux exigences d’Abdoulaye Wade et aux caprices de son fils. Maintenant que nous savons que tout le monde peut y passer sauf ses propres enfants, que son glaive frappe aveuglément, nous devons tous nous prémunir de ce monstre et le combattre. Il faut maintenant que nous rendions Abdoulaye Wade responsable de ses crimes. Il faut que les juridictions internationales soient saisies de cette impunité avec laquelle un homme viole les suffrages, tue les innocents et protège les criminels. La responsabilité du chef de l’Etat est directement engagée, il ne saurait en être autrement. Il avait fait le serment de faire régner l’ordre et d’assurer la sécurité des citoyens. Son régime a démissionné de toutes ces missions pour n’utiliser la puissance publique qu’aux fins de se maintenir au pouvoir. Mais plus directement, la Légion de gendarmerie d’intervention, qui est intervenue en renfort à Sangalkam, est sous le commandement direct du président de la République pour emploi. Il y a eu assez de crimes pour demander que soit jugé celui qui les laisse impunis.
Ce n’est pas sur la Justice de ce pays qu’il faut compter. Une loi scélérate oblige le magistrat instructeur à demander un ordre de poursuite à son ministre de tutelle, avant de poursuivre un agent. C’est ce qui accorde aux policiers et gendarmes une impunité pénale. Les magistrats de ce pays, qui font des efforts louables, ne peuvent rien contre ces lois injustes. Eux-mêmes ne peuvent rien espérer de ce président qui a entamé sa présidence en amnistiant les assassins d’un juge.
Quand on repense à Abdoulaye Wade, à son parcours, au cigle de son parti le Pds, le « d » placé au milieu sonne d’une tonalité sourde, comme s’il était prédestiné. On s’y perd en faisant le décompte des victimes de son régime. Il vient de prouver au sommet du G8 qu’il n’a renoncé à aucune de ses prétentions. C’est à nous d’arrêter cette folie meurtrière et c’est à la présidence de la République qu’il faudrait installer une délégation spéciale.
SJD
18 Commentaires
D.
En Juin, 2011 (05:40 AM)Merci Résdistant SJD pour vos pertinences dans la Chronique et Deg Deg !
D.
En Juin, 2011 (05:45 AM)Merci Résistant SJD pour vos pertinences dans la Chronique et Deg Deg
Debout
En Juin, 2011 (20:45 PM)Oeil Du Patriarche
En Juin, 2011 (09:50 AM)Undefined
En Juin, 2011 (10:36 AM)est-ce que quelqu'un peut me confirmer la date de la conference de Jules Diop a Londres?
Undefined
En Juin, 2011 (12:13 PM)MOI C CE QUE J'AI FAIT JE PARTICIPE A LA REVOLUTION DANS MON PAYS ET J'EN SUIS TRES FIERS
Mulher
En Juin, 2011 (15:16 PM)MAINTENANT VOUS DEVEZ AGIR au fait j ai l habitude que vous gardez mes commentaires et que vous ne les
publier pas
Malcome X Wommenne
En Juin, 2011 (19:50 PM)Lama
En Juin, 2011 (13:11 PM)Biry Biry
En Juin, 2011 (21:40 PM)Je Demande
En Juin, 2011 (14:37 PM)Undefined
En Juin, 2011 (16:06 PM)Undefined
En Juin, 2011 (16:10 PM)Bourba Djolof
En Juin, 2011 (15:36 PM)Teuss Teuss
En Juin, 2011 (11:26 AM)Fly To Fly
En Juin, 2011 (19:57 PM)Tafa
En Juillet, 2011 (23:16 PM)Saliou
En Juillet, 2011 (13:48 PM)Participer à la Discussion