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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

Veut-il partir ?

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Veut-il partir ?



« La générosité de l’esprit humain peut surmonter
toute adversité. Grâce à la compassion et à la
bienveillance, nous pouvons créer l’espoir »
 
Nelson MANDELA


Un homme ne change pas à ses 88 ans. Jusqu’à la fin de ses jours, Abdoulaye Wade restera le Janus qu’il a toujours été : à la fois séduisant et repoussant, gentil et acariâtre. Un homme à double face enclin à la plus grande magnanimité et en même temps à la pire cruauté, capable de rire jusqu’aux sanglots et incapable à l’instant d’après de maîtriser ses états de colère ; conscient de la lourde responsabilité qui pèse sur ses épaules de chef d’Etat tout en faisant preuve de la plus grande légèreté, menant en bateau les visiteurs du soir qui viennent sonder son esprit. Un jour radieux, marchant sans peine et un autre au bord de la tombe, incapable de gravir seul les marches qui mènent à ses appartements. Au gré donc de sa forme du moment, des pulsions qu’il est seul à ressentir, il est capable de dire un jour qu’il a renoncé, qu’il a accompli sa mission et qu’à son âge, il va se reposer, ce que lui recommandent ses médecins. Revenez le lendemain et vous trouverez un autre homme, insensible aux grognements de la rue, déterminé à se maintenir au pouvoir à bientôt 90 ans, quitte à trahir sa propre parole et à violer la Constitution de son pays. Ceux qui lui ont rendu visite ces dernières semaines le disent conscient de son âge, soucieux de son état de santé et décidé à ne plus briguer un nouveau mandat. C’est cet Abdoulaye Wade que je rêve encore de retrouver. L’homme que j’ai redécouvert hier, après de sérieuses alertes sur son état de santé, me paraît bien porter son âge. Je veux dire que les caméras s’éloignent de lui, ses pas se font plus lents, il se fait peu disert en paroles. Ses sens s’affaiblissent et rendu à ce stade, on est nécessairement un malade et un handicapé de la vie. Mais c’est un miracle que de le voir encore debout, de si grande prestance, posant enfin sa voix, affrontant cette vieillesse capricieuse comme s’il ne pensait plus à la mort, alors qu’elle est présente à chacun de ses pas.
Je disais donc que je rêve de retrouver l’homme qui promettait de se retirer dans un coin clément de la planète après son second mandat, pour rédiger ses mémoires et partager ses expériences avec les générations présentes et futures. Il n’y a rien qui ait été fait que nous puissions refaire autrement. J’ai dénoncé ses pratiques les plus abjectes quand il a fallu le faire et Dieu sait qu’Abdoulaye Wade ne nous a pas épargnés. Je visionnais hier un film sur le naufrage du bateau Le Joola. Les images insupportables m’ont encore fait penser à la responsabilité qui est la sienne dans cette tragédie. Aujourd’hui encore, il est sous l’emprise de ses démons, capable de se faire menaçant, promettant l’hécatombe à ses « ennemis ». Il a eu une vive altercation avec Mbaye Jacques Diop au lendemain des manifestations du 23 juin quand, en réunion de Comité directeur, il a menacé de recruter des mercenaires et d’armer ses « calots bleus » pour s’attaquer aux leaders de l’opposition. « Azbounallah, ce que vous dites est grave monsieur le président », avait réagi l’ancien maire de Rufisque. « Vous Mbaye Jacques, un grand bandit que j’ai récupéré, vous osez me faire la morale », avait sèchement rétorqué ce personnage mystérieux. Il garde en lui ce côté sombre, qui le lie aux assassins du juge Babacar Sèye et qui en fait encore un homme dangereux et une menace pour la stabilité de ce pays.
Mais je reste accroché à l’espoir de le voir bien finir. A côté du procès que l’histoire ne manquera pas de lui faire, -ceux qui l’acclament aujourd’hui seront les premiers à l’accabler- nous ne devons jamais oublier le combat de 24 ans qu’il a mené pour asseoir la démocratie dans ce pays. Je veux lui dire ceci, pour qu’il l’entende de son vivant : je suis sans doute de ceux qui ont le plus souffert de sa cruauté aveugle, quand sa haine s’est déversée sur son « fils » Idrissa Seck. Je me dois tout autant de témoigner l’admiration que suscite en moi le courage avec lequel il a affronté l’ancien régime socialiste, pour nous mener à la première alternance démocratique, l’expérience politique la plus exaltante d’une vie. Sans son combat militant, son courage et sa détermination, jamais nous n’aurions vécu ce grand moment de notre histoire.
Pour nous tous qui le fréquentions sans être de son parti, il n’a jamais été question de nous mettre au service d’un homme, mais de notre pays. La déviance que nous avons notée tient essentiellement aux rapports ambigus qu’il a entretenus avec la pègre de son parti et au rôle de sa famille, qui s’accentue à mesure qu’il vieillit. Mais il serait malhonnête de ne pas mettre à son actif quelque bien. Senghor s’était contenté du patrimoine infrastructurel laissé par la France coloniale. Nous n’avons aucun souvenir des vingt ans d’Abdou Diouf à la tête du Sénégal si ce n’est ce stade de sept milliards offert par la Chine. Nous pourrons regarder un aéroport, une autoroute, des échangeurs et dire de Wade : « Il nous a au moins laissé quelque chose. » C’est pourquoi j’ai trouvé sévère et inapproprié l’ultimatum que lui a donné le M23. Il doit partir, ce qu’il fera certainement s’il veut nous éviter une énième confrontation et le rejet de sa candidature par le Conseil constitutionnel. Mais nous devons nous assurer qu’il le fasse dans la dignité et à la fin de son mandat, parce que je reste convaincu qu’il a bien battu ses adversaires à la présidentielle de 2007.
Abdoulaye Wade n’a rien à faire avec un troisième mandat qui lui fera perdre toute sa légitimité et laissera de lui l’image d’un homme sénile, emmailloté, incapable de discernement, soumis à la moquerie de ses ennemis. Rien ne doit le pousser à sacrifier sa place dans l’histoire et son aura internationale dans le seul but de protéger son entourage, qui sera le premier à le vilipender quand il sera mort. Comme il ne pourra rien faire, de sa tombe, pour éviter un procès aux membres de sa famille. Il ne fera que retarder l’échéance de la façon la moins glorieuse, puisque jamais nous ne laisserons ce pays aux mains de son fils Karim. L’opération de propagande qu’il a tentée hier est particulièrement coûteuse, gênante et inutile. Le revenu par tête d’habitant, déterminé en dollars américains, n’a pas doublé en dix ans. C’est la valeur du dollar qui a baissé de moitié pendant cette même période, alors que les prix des denrées ont tripé. Les pluies de milliards que son ministre des Finances évoque, qui sont une réalité, sont tombées sur les toits de quelques dignitaires de son régime, tous trempés dans des « affaires ». Mais elles ont laissé sans logis et sans pain une masse de pauvres qui s’impatientent de le voir partir.
SJD



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