Wade, Abou et Orbi

Le mercato politique ne nous a finalement pas révélé de grandes surprises. Pas celles qu’on attendait, en tout cas. Aminata Tall n’est pas Aminata Mbengue Ndiaye. Mais elle a eu raison de Wade. Ses concurrents directs ont positionné trois femmes, et il ne serait pas compréhensible que lui qui prône la parité, jette loin derrière les rangs, la responsable des femmes de son parti. Résultat de ce face-à-face du samedi soir, elle est bien positionnée, et son concurrent direct rayé de la liste des « députables », comme elle le souhaitait. Il faut quand même être Aminata Tall, pour faire céder le président, contre l’avis de sa famille. Modou Diagne Fada, sur qui on comptait pour sauver la face, dans cette série de victoires très féminines, promet de reverser ses futurs députés à Wade. Il ne faut d’ailleurs pas s’y tromper. Les leaders qui lui prêtent leurs partis sont des Wadistes de sang. Ils ajoutent à leur liste d’anciens Niassistes que Wade a fait venir, sans savoir où les mettre. S’ils n’avaient pas eu l’aval de leur nouveau chef, ils n’auraient jamais accepté de figurer sur la liste des bannis.
La surprise est peut-être venue de Modou Kara Mbacké. Mais c’en est pas vraiment une. Tous les marabouts qui ont promis des alliances avec l’opposition l’ont fait pour monter les enchères, et forcer Wade au marchandage. C’est ce que Modou Kara vient de faire. Avant lui, c’est ce que Cheikh Béthio Tioune et Mamoune Niasse ont fait. L’histoire dira ce que ces transferts ont coûté au généreux donateur Abdoulaye Wade. Car en politique aussi, il y a les contrats officiels et les générosités non imposables qui se négocient en dessous de la banquette. Me Wade s’est battu à bras raccourcis, en cédant aux exigences de Kara. Quand on a une tirelire aussi grosse que la sienne, quelques centaines de millions de francs Cfa sont de petits bonbons du père Noël. Wade ne donne plus d’ailleurs que du cash en Euros. Ca prend moins d’espace.

Nos meurs ont tellement changé en quarante ans de politique ! Avant, ce sont les grands marabouts qui participaient à la campagne des hommes politiques. Imaginez un peu Serigne Falilou donnant deux millions de l’époque au candidat Léopold Sédar Senghor… Cheikh Gaïndé Fatma finançant le premier congrès  du Parti démocratique sénégalais avec 35 millions de francs, parce que les organisateurs, manipulés par Jean Collin, ont pris la clé des champs… Faisons un peu d’histoire, ça nous rend moins indignes de notre malheureux sort d’aujourd’hui. Nous n’avons pas toujours eu que des marabouts Adu Kalpe. Le pays ressemble à un grand champ de ruine où chaque petit marabout, qui se prend évidemment pour le dernier prédicateur de Dieu, vient négocier son allégeance. Ce que Babacar Sine prophétisait il y a quelques années comme « l’éclatement du vote religieux » ne nous a pas fait que du bien. De petits messies, délégataires d’on ne sait quel pouvoir mystique, négocient indûment des milliards de francs volés au contribuable. 2007 sera donc comme 2000. Cheikh Béthio va avoir des apparitions spirituelles, qui vont lui prédire la victoire « temporelle » de Wade. Lors de la dernière présidentielle, Modou Kara a eu une violente dispute avec Talla Sylla. Il était sûr de voir la victoire du président Diouf dans un rêve. Serigne Mansour Sy avait, lui, quand l’actuel ministre de l’Intérieur est allé le voir à Tivaouane, annoncé publiquement la victoire d’Abdou Diouf au premier tour. Il n’y a pas que les politiciens qui savent faire des promesses.
Wade sait donc, mieux que quiconque, ce que ces contes de fée veulent dire. Depuis le 15 décembre dernier, il a mis son plan B en route. Le 3 janvier prochain, le Conseil d’Etat va se prononcer sur le recours déposé contre le décret 2006-1350 du 8 décembre 2006. Il s’agit de la clé de répartition des députés sur les listes département. Ce décret viole manifestement la loi électorale, qui stipule que la répartition des députés sur la liste majoritaire se fait selon la taille des départements. Que le département fictif de Saint-Louis ait plus de députés que Thiès, qui a deux fois plus d’inscrits, est un non sens. Même chose que Kébémer, qui aura deux députés, là où Bakel n’en aura qu’un seul. Wade a grossièrement violé la loi, pour avoir l’effet escompté, son rejet par les juridictions supérieures.
Le Sénégal présentera l’image d’une démocratie qui fonctionne à merveille, et Abdoulaye Wade aura le report des élections qu’il réclame depuis un an, et pour lequel il a tapé à la porte de tous les grands marabouts du pays. Les États-Unis et la France lui ont jusqu’ici manifesté leur opposition à cette idée. Mais que peuvent-ils contre un arrêt du Conseil d’État, suite à un recours de l’opposition ? Rien.
Évidemment, l’opposition ne savait pas, en introduisant ce recours, qu’elle donnait au père Wade son cadeau de Noël. Sans même se prononcer sur le fond, si le Conseil d’Etat juge la demande de sursis recevable, les élections seront reportées d’au moins 70 jours à partir de la publication du prochain décret. Ca nous amène déjà au mois de juin, et ils décideront le fusil à la tempe. Déjà, le 11 décembre dernier, la CENA, structure qui a la prérogative du contrôle des élections, faisait part au président de la République, dans une lettre « confidentielle », de l’impossibilité d’organiser les élections à date échue. C’est devenu une question de bon sens. Il n’y a que quelques illuminés qui croient encore que nous pouvons organiser des élections, alors qu’à moins de deux mois, les électeurs n’ont même pas reçu leurs cartes. Maître Wade a d’ailleurs un prétexte plus simple. Il demande à Ousmane Ngom de rejeter la liste de Moustapha Niasse (il y a de bonnes raisons), et il revient déclarer « non, nous ne pouvons pas organiser des élections sans une partie de l’opposition. Moustapha Niasse et Amath Dansokho sont de grandes figures politiques. Discutons, et voyons comment nous pouvons régler ce problème ensemble ». Il passerait déjà pour un grand démocrate, même s’il ne l’est que de saison.

Croyez-moi, Wade ne veut pas d’élections. Ou alors, il les escamoterait et se déclarerait vainqueur, sans honte. Il a quand même reporté les dernières législatives, sous le prétexte qu’il fallait économiser sept des quatorze milliards que devaient coûter les législatives et la présidentielle. Non seulement la confection des cartes d’électeur a coûté 20 milliards, mais au moment où il parlait d’économie de 7 milliards, il demandait à un de ses « conseillers », criminel notoire interdit de banque en France, de lui déposer à Nicosie de l’argent destiné aux populations. Son ami, qui passe des jours paisibles en bordure de mer, à Mermoz, trouve même injuste qu’il n’ait reçu que 500 millions de francs de commission, alors qu’il devait recevoir un milliard de francs. Wade lui a dit que « si les choses devaient s’aggraver, je pourrais être amené à t’envoyer en prison, juste pour faire baisser la pression ». Et depuis, il se défend partout, en disant qu’en vérité il a déposé l’argent à Nicosie, mais que c’est sur ordre du président de la République. On le croit, ce nabab, il n’aurait pas fait tout ça si Wade ne lui en avait pas donné l’ordre.
Le Pape du Sopi présentera Abou et Orbi, ses voeux pour la nouvelle année : il ne veut pas d’élections. Ce serait le condamner à une campagne électorale époustouflante et à une défaite retentissante. Et après, à d’éventuelles poursuites judiciaires. Depuis au moins deux ans, il savait cette perspective imminente, et il a tout fait pour saboter les élections. A seulement un mois du début de la campagne électorale, les électeurs n’ont pas encore reçu leurs cartes, et même l’audit du fichier, sur lequel il avait donné son accord, est devenu une chimère.
Je me suis d’ailleurs longtemps demandé pourquoi les chefs de parti, qui se battent tous pour s’imposer comme candidats de l’opposition, ne se battent pas assez pour qu’il y ait élection. Certains en oublient tout, jusqu’à la déclaration du nom de leur coalition, que le plus petit apprenti de la politique n’aurait pas oublié. J’ai appris qu’ils ont finalement déposé leur liste au nom de l’Afp. Mais le problème reste entier, s’ils ont payé leur caution sous le nom « Alternative 2007 », et déposé leur liste sous le nom « Afp ». A moins d’enfreindre la loi pour les accommode « raisonnablement », ils viennent de faire à Wade une passe en or.

P.S : J’ai choisi un métier difficile, qui consiste à dire tout le mal que je pense de nos gouvernants. J’espère que nos cris d’indignation ne seront pas à nouveau noyés par les vagues de désespoir qui ont emporté des milliers de nos frères dans les eaux de l’Atlantique. C’est à leur mémoire que je dédie ma plume.
Bonne et heureuse année.