« C’est toujours l’oppresseur, non l’opprimé,
qui détermine la forme de la lutte.
Si l’oppresseur utilise la violence,
l’opprimé n’a pas d’autre choix que
de répondre par la violence »
Nelson MANDELA
La manœuvre avait pour seul but de rassurer. En voyant un président de la République debout et combatif, j’imagine ses sympathisants confiants et admiratifs. Je le suis autant, rassurez-vous. Je me demande toujours où cet homme va puiser les forces qui lui permettent de tenir le thorax si haut. L’objet du discours est toujours le même, séduisant pour les sympathisants, humiliant pour les adversaires. Mais le corps qui le porte manifeste des signes évidents d’une faiblesse généralisée, obligé de s’accrocher aux accoudoirs d’un pupitre qui semble spécialement fabriqué pour le porter. Les yeux sont maintenant noyés sous un couvercle pâteux et malgré ses efforts, ses mâchoires alourdies n’obéissent plus aux ordres de sa pensée. Petit à petit s’éteignent les derniers regards, se noient les dernières syllabes. Quand les propos sortent bien distincts, on ne sait plus quels sentiments ils expriment. Il est capable de faire porter au ministre de la Justice les accusations les plus graves, les assumer dans son propre discours, promettre la fermeté, se raviser le lendemain et faire dire au porte-parole du gouvernement que toute cette litanie n’était que vaseuse. La parole étatique ne signifie plus rien. La conduite de l’Etat est soumise aux affabulations du président de la République et aux manipulations de son entourage, qui s’empare de chaque parcelle de pouvoir abandonnée.
C’est ce qui inquiète désormais chez Abdoulaye Wade. On ne peut plus juger un propos avant d’entendre son contraire. Dans un même discours, il a vu en Sidy Lamine Niasse un « démocrate et un homme intelligence », avant de le démolir proprement, en le disant « maudit et humilié par Dieu, pour avoir refusé d’obéir aux ordres des chefs religieux ». On ne sait pas, dans ce cérémonial fantôme, s’il faut écouter le président qui dit de ses opposants « aujourd’hui je n’ai pas besoin d’eux, qu’ils me laissent travailler » ou celui qui se reprend dans le même discours, en invitant ces mêmes opposants au dialogue et à un débat télévisé « dès vendredi ». Faudrait-il écouter celui qui a magnifié la maturité du peuple sénégalais ou celui qui accuse ses adversaires de fomenter un coup d’Etat « à dix mois des élections », quand nous sommes en réalité à onze mois de la présidentielle ? Il y a enfin cette envolée qui a frigorifié tous les visages, même celui de son fils : « On vient de m’annoncer le succès du Sénégal face au Cameroun. Ce qui prouve que nous sommes le Sénégal qui gagne. » C’est le même qui, un quart d’heure plus tard, en jetant un regard sur son discours, sans penser à la bourde qu’il venait de commettre, va annoncer le match qui venait d’être « gagné » par le Sénégal « pour le 26 mars ».
L’homme qui aimait manifester sa toute-puissance est devenu le jouet de ses propres fantasmes, dominé par ses nerfs, accablé par ses ressentiments. Il fait semblant d’avoir la maîtrise sur tout, mais il n’est plus maître de rien. Changer d’avis au gré du vent, changer le gouvernement après s’être engagé à ne pas le toucher n’est pas le signe d’une liberté, c’est le propre d’une aliénation.
Tout ceci prêterait au sarcasme et à la plaisanterie, s’il ne s’agissait pas du destin d’un pays et du sort de quatorze millions d’âmes. Nous ne pourrons jamais savoir, parmi toutes ces actions désordonnées, lesquelles relèvent de la folie : les deux-cents millions d’euros offerts dans une valise à Alex Segura, les 40 milliards consacrés à l’organisation du Fesman ou les 20 milliards engloutis dans cet amas de bronze appelé Monument de la renaissance, pendant que les hôpitaux manquent d’équipement, l’armée manque de matériel, la Senelec manque de fuel. Il y a des choses imaginables en temps de prospérité économique, inacceptables en temps de crise.
La situation est plus grave, parce que nous avons en face de nous un homme habitué à décider seul, adulé par ses troupes fanatisées qui le prennent pour un Dieu. Dans une République normale, cette situation aurait peu affecté le fonctionnement de l’Etat. Les pouvoirs du président de la République sont contrebalancés par ceux de l’Assemblée nationale et de la Justice, ses décisions éclairées par les avis de ses conseillers. Mais ces dernières années, nous avons fini par nous résigner et accepter le diktat d’un homme qui croit qu’il peut tout se permettre. Nous avons laissé corrompre les chefs religieux, museler la presse, interdire les publications qui dérangent, combattre les syndicalistes, réprimer les opposants. Il ne restait plus qu’un homme au-dessus de sa couvée, et les populations désespérées viennent s’échouer sur les grilles de son palais.
Nous n’avons pas mesuré à quel point la nature du régime avait elle-même changé sous Abdoulaye Wade. Ce qui distingue une monarchie d’une république n’est pas seulement l’émanation du pouvoir. C’est le fait qu’il n’y est fait aucun cas de la généalogie. Tous les grands projets, tous les départements ministériels importants sont entre les mains d’un des ministres les plus médiocres que la République ait connu et qui est là du seul fait qu’il est le fils d’Abdoulaye Wade. Une telle issue était impensable. Nous avons fonctionné comme s’il a toujours existé dans ce pays une dynastie régnante, une monarchie de droit divin. Toute l’administration, les finances du pays ont été mis à la disposition d’une seule famille et de ses courtisans. C’est bientôt fini.
Tout pouvoir, comme tout homme, a une fin. C’est par étapes qu’un chef d’Etat, comme tout homme, arrive à une fin. Ce n’est pas en faisant peur qu’Abdoulaye Wade échappera au destin de l’homme de pouvoir qu’il est. Le 22 mars 2009 a été une grande étape. Le 19 mars 2011 a été nouvelle étape vers cette fin inéluctable. Il pourra toujours trouver un Conseil constitutionnel rallié à ses vues. Mais il ne jouit d’aucune légitimité pour gouverner. Il s’accroche à son pouvoir ou ce qu’il en reste. Mais sa parole n’est pas écoutée. Il y a quelques années encore, il s’en prenait à tous ceux qu’il accusait de « dualité au sommet ». Il est maintenant obligé d’écouter Souleymane Ndéné Ndiaye affirmer avec force qu’il a « tous les pouvoirs » et que tous les ministres sans exception sont sous son autorité. Personne n’aurait osé un tel affront sans subir les injures de Farba Senghor et la disgrâce présidentielle. Mais Wade est obligé de céder aux exigences de son Premier ministre et mettre en garde tous ceux qui seraient tentés de faire ce que Khoureichi Thiam et Thierno Lô ont osé faire. L’équilibre est trop précaire pour être dérangé.
Le président de la République n’est maintenant que l’ombre de lui-même, englué dans sa rhétorique moyenâgeuse, pris à son propre piège. S’il impose son fils, son parti se braquera et tout le pays suivra. S’il ne le fait pas, il ne pourra pas le sauver d’une mise en accusation. Il avait exagéré les qualités de ce garçon pour en faire le socle de sa légende. Mais il n’a impressionné personne, au contraire. Par son entêtement, le peuple n’est plus appelé à élire un homme en 2012, mais à se prononcer sur la monarchie elle-même. C’est devenu le cri de ralliement de tous les républicains : combattre la monarchie et restaurer la République.
SJD
25 Commentaires
Saer
En Mars, 2011 (02:04 AM)Teuss11
En Mars, 2011 (03:26 AM)Lion
En Mars, 2011 (03:45 AM)Oumar
En Mars, 2011 (04:31 AM)Krypton
En Mars, 2011 (07:10 AM)Bruce
En Mars, 2011 (07:16 AM)Undefined
En Mars, 2011 (08:03 AM)Undefined
En Mars, 2011 (08:06 AM)S
En Mars, 2011 (08:38 AM)Gilo
En Mars, 2011 (11:20 AM)Effet Placebo
En Mars, 2011 (12:11 PM)Bx
En Mars, 2011 (15:02 PM)Julom
En Mars, 2011 (15:10 PM)Siga
En Mars, 2011 (16:11 PM)Mya
En Mars, 2011 (21:20 PM)Undefined
En Mars, 2011 (01:49 AM)Huit
En Mars, 2011 (06:02 AM)Senegal
En Mars, 2011 (14:54 PM)Siga
En Mars, 2011 (20:31 PM)Cheikh16
En Mars, 2011 (16:38 PM)Pas de routes
Pas d'électricité
pas d'industries
pas d'assainissements
pas d'infrastructures ah si un palais de justice pour juger et emprisonner les insurgés
Siga
En Mars, 2011 (16:48 PM)Tu veux me draguer ?
Black
En Mars, 2011 (17:37 PM)Aziz
En Mars, 2011 (21:52 PM)°Prise en charge par le NEPAD du projet de chemin de fer à grand écartement Dakar-Bamako, trois offres de financement des études déjà disponibles (31 Décembre 2002)
°Centre réinsertion à Darou Mousty de jeunes en péril
°Création de Cyber-Centres d’affaires pour les jeunes et seulement pour les jeunes
Est-ce que ce Président est sain ????
Zi
En Mars, 2011 (22:48 PM)Siga
En Mars, 2011 (20:29 PM)Participer à la Discussion