La liberté d’expression parce quelle permet d’accroître l’information, aide la population à élargir sa culture et donc à avoir un avis informé, ce qui contribue à approfondir la démocratie.
En effet, les pays les plus démocratiques sont les pays où les citoyens sont les mieux informés, et les médias en tant que moyens de transmission de cette information, sont un facteur essentiel de l’élargissement de cette démocratie.
C’est certainement ce qu’a compris le gouvernement Sénégalais qui a mis en place un fonds d’aide aux organes de communication sociale, créé par la loi de finances qui en détermine les modalités de fonctionnement, pour venir en aide au secteur de la presse et encourager les efforts de développement des médias privés et des médias tout court, qui réduisent le déficit informationnel dans le pays et favorisent le pluralisme.
D’un montant de 100 millions FCFA en 2000, 150 millions en 2001, 300 millions en 2002, le fonds d’aide a atteint aujourd’hui la bagatelle de 700 millions FCFA, permettant de soutenir plus d’une quarantaine d’organes (contre une vingtaine en moyenne avant l’alternance) et incluant désormais la presse régionale, la presse en langues nationales ainsi que les radios communautaires.
Les critères d’attribution de cette aide sont clairement définis par la loi 96-04 du 22 février 1996 qui stipule que:
Pour bénéficier de l’aide de l’Etat, les organes de presse doivent remplir les conditions ci-après :
1°) Pour la presse écrite :
Tirer au moins 2000 exemplaires et employer un minimum de cinq journalistes ou techniciens à plein temps;
Consacrer au moins 75% de sa surface à l’information politique, économique, sociale, culturelle ou sportive;
Tirer au moins un tiers de ses ressources de la vente de ses publications, des abonnements et des souscriptions ou collectes.
Ces dispositions ne s’appliquent pas à la presse locale (régionale ou départementale).
2°) Pour les organes audio-visuels :
Être diffusé sur au moins l’étendue d’une région administrative ;
Employer au moins cinq journalistes ou techniciens de la communication sociale à plein temps;
Respecter les dispositions de leur cahier des charges.
L’aide apportée à une entreprise de communication est modulée en fonction de la régularité du titre, du nombre des Professionnels qui y travaillent, du tirage, de la diffusion ainsi que des charges sociales.
Le Ministre chargé de la Communication publie, chaque année, la répartition des fonds aux organes de presse, les noms de leur directeur de publication ainsi que la composition de leur équipe rédactionnelle.
En 2004, il avait été dit que 10% du Fonds d’Aide devait être consacrés de façon effective à la formation des journalistes et techniciens de la communication sociale, comme préconisé par les Assises de Mbour.
Après plus d’une décennie de distribution de l’aide à la presse, quelle appréciation peut-on faire sur sa répartition, son utilisation et son utilité?
Le comité consultatif de l’aide à la presse de 2010, en sa réunion du 2 septembre déclarait que telle qu’elle est conçue (sous forme d’aide financière), ‘l’aide suscite toujours une polémique, des frustrations par-ci et des satisfactions par là’, c’est pourquoi, sa distribution ne fait jamais l’unanimité et conduit souvent à des réactions plus ou moins hostiles, selon qu’on se sent plus ou mal servi par la clé de répartition; le comité soulignait aussi, la nécessité pour la presse de disposer d’un appui conséquent de l’état.
Toujours au cours de cette réunion, il a été relevé qu'il est difficile de disposer de critères objectifs acceptés par tous dans la mesure où il est noté chez certaines structures de presse, un caractère instable, un flou et une opacité entourant leur gestion administrative, financière et leurs ressources humaines, ainsi qu'une absence de comptabilité claire et cohérente.
Notons aussi qu’en 2009, le Ministre de l’information de l’époque, Abdoul Aziz Sow déclarait lors d’une rencontre organisée par l’association des cadres de la RTS que, «Si l’on s’arrête aux critères fixés en 2003, il n’y a pas de journaliste qui aurait droit à un centime de l’aide à la presse" et Monsieur le Ministre de poursuivre «c’est la commission composée par les représentants des organes, des éditeurs, des journalistes et des syndicats qui se sont mis d’accord sur le mode opérationnel de répartition de l’aide.
Les remarques faites par le comité consultatif de l’aide à la presse et par le Ministre de l’information, appellent quelques commentaires:
-Comment peut-on vouloir sauvegarder sa liberté d’expression, ce qui suppose une certaine indépendance et continuer à vouloir solliciter des moyens conséquents de l’état sous formes de subventions?
-Comment comprendre que l’état puisse non seulement tolérer l’existence d’entreprises incapables de tenir et de produire des états financiers fiables et qui sont régulièrement pour ne pas dire en permanence, en porte à faux avec la législation du travail, mais accéder à leurs demandes, pour distribuer sur des bases illégales l’argent du contribuable Sénégalais.
Le mode de distribution de l’aide à la presse étant fixé par le législateur, on devrait se conformer strictement aux critères définis, au lieu de procéder à du « Mass laha » pour distribuer l’aide en parfaite violation de la loi et en détournant la volonté des Sénégalais exprimée par la voix des députés.
Pour bénéficier de l’aide à la presse, les entreprises concernées doivent se conformer à la loi et c’est pour le moins légitime.
Respecter la législation du travail et de la sécurité sociale, être en règle avec les impôts semblent être la moindre des choses d’autant plus que les journalistes eux-mêmes, ne sont pas convaincus que cette subvention est utilisée effectivement au profit exclusif des organes de presse concernés ainsi que des journalistes et techniciens qui y travaillent.
En fait, l’obligation de respecter la loi n’est que la stricte application de celle-ci et on ne devrait pas pouvoir revendiquer le contraire; c’est un problème de principe mais comme disait l’autre « malgré tout leurs laïus récurrents sur le respect de la loi et la bonne gouvernance, les patrons de presse ne sont pas différents de l’ensemble des Sénégalais, la loi c’est fait pour les autres ».
Comme si se partager pendant de nombreuses années l’argent du contribuable Sénégalais sans en avoir réellement droit n’était pas suffisant, des entreprises de presse ont demandé et obtenu par l’entremise du Cdeps présidé par Madiambal Diagne lors de leur rencontre du vendredi 12 août 2011 avec le Président de la République Maître Abdoulaye Wade que:
-Les poursuites fiscales en cours soient suspendues;
-Qu’un projet de loi d’amnistie fiscale soit déposé à l’assemblée nationale;
-Que la presse en ligne ait une ligne de crédit dans l’aide à la presse;
-Que l’état prenne des abonnements dans les journaux.
Ces différentes mesures, contrairement à leurs apparences bénéfiques, ne font qu’aggraver la dépendance du secteur de la presse vis-à-vis de l’état et compliquer leurs rapports:
En effet, à six mois des élections de 2012, ces demandes ressemblent plus ou moins à du chantage vis-à-vis du gouvernement; on dirait que les entreprises de presse se présentent devant le Chef de l’état en lui disant: si nous ne sommes pas les faiseurs et les défaiseurs de régimes, notre capacité de nuisance pour tous les hommes politiques est immense.
Si telle n’est pas l’intention qui anime le secteur, on ne peut pas ne pas penser ainsi.
La dette fiscale du secteur de la presse est estimée par certains à 12 milliards FCFA et date certainement de plusieurs années; on pouvait la calculer ou l’estimer bien avant maintenant et en demander l’annulation bien avant une année électorale.
12 milliards de FCFA ce n’est aussi pas rien, les Sénégalais ont besoin de savoir qui doit combien et depuis combien de temps; le silence de certains journaux enclin à faire dans le sensationnel économique est douteux.
Tous les ans on distribue des Awards de meilleurs Managers, de meilleurs journalistes ou de meilleurs animateurs dans le secteur de la communication sociale, mais des études ou enquêtes comparatives sérieuses pour savoir qui pèse quoi et comment dans le secteur, ne sont jamais conduites; des informations régulières de ce genre auraient pu servir d’alerte et épargner les Sénégalais à devoir avaler une ardoise de 12 milliards.
Nous avons certainement beaucoup de journalistes expérimentés au Sénégal qui nous informent sur beaucoup de choses, il se trouve seulement qu’ils ne veulent pas nous informer sur les réalités de leur propre secteur.
On reproche des fois à Maître Wade de ne pas trop savoir faire dans la gestion des priorités car il privilégie trop souvent dit-on des projets de prestige au détriment des urgences du moment, et on lui dit aussi favoriser souvent l’impunité; dans ce cas, n’est il pas urgent de faire payer les entreprises de presse qui en fait ont violé la loi en ne s’acquittant pas d’obligations qui outre atlantique font perdre à un Ministre son portefeuille, empêchent un émigré d’avoir la résidence ou la nationalité, peuvent envoyer le délinquant très rapidement en prison, et utiliser ces 12 milliards pour financer un plan d’urgence pour les couches défavorisées et vulnérables?
Les vendeurs de cacahuètes doivent payer une taxe journalière de 75FCFA dans certaines localités de la banlieue pour avoir le droit d’exercer leur commerce au bord de la rue; comment des entreprises de presse peuvent-elles exercer pendant plusieurs années sans payer leurs impôts?
Les journalistes seraient ils ‘des Intouchables’?
C’est une grande erreur que commettent les entreprises de communication sociale en continuant à penser quelles doivent bénéficier de moyens conséquents de l’état pour se développer et se moderniser; ce serait aussi une grave erreur dans les conditions actuelles, que l’état procède à une amnistie fiscale totale pour le secteur de la presse et persiste dans sa volonté de construire une maison de la presse à ses propres frais, maison à offrir gracieusement aux journalistes.
Incapables aujourd’hui de générer des recettes suffisantes pour couvrir leurs charges, avec quoi les entreprises de presse entretiendront-elles l’immeuble et renouvelleront-elles les équipements?
Beaucoup de journaux connus de nos jours dans le monde, sont offerts gratuitement et quotidiennement dans la rue et sont des journaux rentables; le plus grand site internet sénégalais et 2e en Afrique de l’Ouest s’est construit tout seul et sans un centime de l’état.
Nos entreprises de presse sont à l’image de beaucoup d’autres entreprises sénégalaises dans d’autres secteurs: leurs difficultés proviennent beaucoup plus de l’insuffisance de la capacité managériale de leurs dirigeants, que de l’insuffisance des ressources financières; le secteur de la presse et les organes audiovisuels au Sénégal, ne se distinguent que par la virulence de leurs propos, propos souvent à la limite de la décence, plutôt que par la qualité de leur gestion et leurs performances.
Des journalistes chez nous aiment s’enorgueillir de titres comme patrons de groupes de presse ou de Directeurs, alors que les organes qu’ils dirigent font l’objet de saisies régulières d’huissiers, lorsqu’ils ne tombent pas en faillite.
L’orgueil d’un dirigeant d’entreprise quel qu’il soit se mesure par les montants d’actifs croissants sous sa gestion, l’augmentation de ses recettes de ventes et les résultats de son entreprise.
Dans le secteur de la presse au Sénégal, on a peut-être beaucoup de journalistes, mais pas assez de gestionnaires de médias et le gouvernement justement doit s’évertuer à en former urgemment beaucoup.
Les journalistes Sénégalais ne sont pas nécessairement contre le Président Wade ou contre un quelconque régime ou homme politique: c’est l’incapacité managériale des dirigeants des organes dans lesquels ils travaillent, qui fait que leurs entreprises sont obligées très souvent de faire uniquement dans le laudatif, le scandale (réel ou imaginaire), ou dans le « Diamonoye Teye et le Daaréye Koch » pour survivre.
Des entreprises Sénégalaises ont fait du business sous Senghor, continué à faire du business sous Abdou Diouf, et font toujours du business sinon même davantage sous Wade, sans jouer à son tombeur, ou à son laudateur: qualité, qualité, compétence, compétence, esprit d’entrepreneur, ce sont là les clés du succès en business.
L’animosité qui existe entre le régime et les journalistes, ne se réglera pas avec le vote du code de la presse, mais par la mise en œuvre d’une politique favorisant l’éclosion rapide de techniciens de gestion des médias aptes à identifier toutes les plages de l’économie pouvant les aider à ‘faire du chiffre’ pour leurs ‘canards’, radios, télés, ou sites internet; il faut beaucoup plus qu’une belle plume ou ‘de beaux parleurs’ pour rentabiliser un journal ou un organe audio-visuel.
Auditer les entreprises de presse et d’audio-visuels pour une évaluation exacte de leur situation financière, proposer aux dirigeants des programmes de formation en techniques de gestion des médias, recueillir des engagements à respecter la législation du travail et de la sécurité sociale, signer des contrats de performance avec l’état, doivent être pour le secteur de la presse, des conditions minimales pour aspirer à bénéficier d’une quelconque aide des autorités publiques.
Pérenniser une aide à la presse dans les conditions actuelles de gestion du secteur, accorder une amnistie fiscale sans exigence de performance ni d’engagement à respecter la loi fiscale et la législation du travail, ce n’est ni plus ni moins qu’offrir une prime à la médiocrité.
Avec toutes les urgences dans le pays, le Sénégal ne peut se payer un tel luxe.
Samba Soumaré
Consultant et Directeur de Sasoura Communications & Consulting/
<225>[email protected]
8 Commentaires
Nbhjkh
En Août, 2011 (08:51 AM)Fall
En Août, 2011 (09:02 AM)Diop
En Août, 2011 (09:53 AM)Xeme
En Août, 2011 (09:56 AM)K
En Août, 2011 (10:22 AM)Momla
En Août, 2011 (10:55 AM)Wekh Dounk
En Août, 2011 (11:07 AM)Deug
En Août, 2011 (11:07 AM)Participer à la Discussion