Dans une tribune envoyée à Seneweb, le sociologue Aly Khoudia Diaw dit comprendre pourquoi il y a des meurtres en série au Sénégal. Nous vous soumettons son texte :
«Les habitants de ce quartier populeux de Dakar viennent tout juste d’apprendre la triste nouvelle. La veille au soir des jeunes qui discutaient entre eux en sont venus aux mains et l’un d’eux à été mortellement poignardé. A plusieurs centaine de kilomètres de là, dans une localité chaude et aride en ce mois d’octobre, un attroupement venait de se former devant une pharmacie. Un vendeur ainsi que son vigile gisaient dans une mare de sang. Une bande de délinquant totalement dépourvue d’émotion leur avait passé le couteau sous la gorge. Enfin le commissaire de police Diarra, le meilleur brigadier de la mondaine, le dessus du panier, le top des tops, le super flic, la référence de toute la flicaille sénégalaise avait aujourd’hui un hôte particulier. L’homme devant lui, qui s’est rendu de lui-même jusqu’au poste de police, venait de lui apprendre qu’il venait de tuer sa femme. Et que c’était un accident. Elle lui avait refusé un acte sexuel. Dans un village de la zone sylvopastorale, une petite querelle s’était produite la semaine dernière entrainant la mort d’un petit berger. L’homme qui l’avait abattu avait remarqué qu’à chaque fois qu’il voulait se rendre dans les bois, la porte qui donnait à l’arrière cour et qui était mitoyenne à l’autre concession était fermée. A chaque fois qu’il en parlait au petit berger, ce dernier lui répondait qu’il voulait empêcher le bétail d’accéder au grenier. Ce jour là, il avait juste appelé le berger et lorsque celui-ci fut en face de lui, il pointa une arme artisanale sur sa tête et appuya sur la détente. Le projectile s’éjecta du canon à la vitesse de 280 mètres par seconde sur une distance de moins de six mètres et causa des dégâts énormes sur le crane du petit berger qui mourra avant même d’avoir touché le sol. Là s’arrête la fiction. Qu’arrive-t-il au Sénégal et aux sénégalais ? Pourquoi la recrudescence des crimes et meurtres en série. Eléments d’explication.
Les différentes sortes de crimes
Dans la vie de tous les jours, il faut avoir faire la différence entre les hommes, les caractères, les situations et les intérêts. Il faut savoir distinguer les pervers sexuels, les maniaques, les déments, les narcissiques égocentrés, les psychotiques et les névrosés. Le moteur de la vie, ce sont les compétitions, les conflits, les enjeux qui se résolvent selon le modèle dominant dans la société. Prenez par exemple les conflits conjugaux, leur nature et leurs manifestations dépendent de la situation des ménages (riches ou pauvres, instruits ou analphabètes). Ils s’expliquent par les refus dans le ménage, la jalousie, la séparation, l’accusation réciproque dans l’échec du couple. Ici peut survenir ce que l’on appelle le crime familial ou passionnel (crime passionnel). Il faut éviter la jalousie et les rancunes dans un couple, les hommes surtout supportent difficilement la réussite de leur épouse. De la même manière, il faut éviter un homme (male) en rut. Le sexe est un aspect qui met en conflit beaucoup de couples. La femme refuse de se donner à son mari pour diverses raisons alors qu’elle passe son temps à le chauffer sans en donner l’air. Or, un homme qui a les couilles en feu est un homme dangereux, il peut revenir plusieurs fois à la charge au cours d’une nuit pour la bonne et simple raison qu’il ne croit pas aux prétextes de sa femme. La colère et la rancœur feront le reste. Il va forcer sa femme, il va la brutaliser, même la frapper si elle fait de la résistance. Et dans ce corps à corps, tout peut arriver. Même un meurtre.
On peut aussi parler du crime querelleur, qui parte de querelles et discussion de rien du tout, des choses banales, des sujets de discussions inutiles, mais qui ont le don de réveiller des adrénalines, des rancœurs cachées, des haines tenaces. C’est le crime de petits bandits, de fumeurs de chanvres indien, de bandes rivales, de petits clochards, d’une enfance délinquante et qui dégénère. Dans le jargon, on appelle ça un crime crapuleux ou le règlement de compte entre délinquants. Il y’a aussi ce que l’on appelle le crime associé à un autre crime comme le viol, le vol avec effraction, le vol à l’arraché. C’est l’exemple des pervers et maniaques sexuels qui assassinent leurs victimes par strangulation au moment de l’éjaculation ou selon un rituel bien établi. Il y’ a le crime gratuit du malade mental délirant ou atteint de démence et de schizophrénie. C’est le crime du fou, du malade mental délirant. Il est atteint de schizophrène. Le schizophrène c’est celui qui entend des voix et a des hallucinations auditives et mêmes visuelles. Il entend la voix de dieux ou de personnes qui lui demandent de faire des choses, de tuer leurs enfants, etc. Enfin, il y’a le crime des psychopathes. C’est la catégorie la plus dangereuse. Un psychotique est malade, mais ne sait pas qu’il est malade. Il considère les hommes et les situations qui sont en face de ses désirs et de son but comme de simples problèmes qu’il faut évacuer (par le crime), qu’il faut effacer et passer à autre chose. La différence avec le névrosé, c’est que ce dernier est réfléchi et même s’il lui arrive de tuer ou de fauter, il a conscience de son geste et peut demander pardon. Le névrosé connait les limites à ne pas franchir tandis que les sciences du comportement désignent le psychopathe comme quelqu’un avec une absence totale de passion ou d’émotion. Il ne regrette rien et est insensible à toute motivation émotionnelle. Il lui arrive d’avoir parfois des comportements qui étonnent un peu son voisinage, mais qui passent rapidement. Il refoule ses colères et sait se tenir à carreaux. Il a des pulsions et des vices cachés, mais si on prend la peine de bien l’observer, on peut deviner tout de suite qu’il y’a quelque chose chez cet homme qui ne tourne pas rond. Malheureusement dans nos sociétés, on n'est plus attentif à rien du tout. Beaucoup de sénégalais en souffrent, mais il nous est difficile de nous en apercevoir. Jusqu’au jour où il effacera un obstacle devant lui.
Mon intime conviction
Pour moi, il y’a des crimes et meurtres en série pour la bonne et simple raison qu’ils sont liés à la conjoncture difficile, à l’apparition des nouvelles technologies de l’information et de la communication, à la massification de la pauvreté, à la précarité de la vie et aux attentes de toutes sortes. La société sénégalaise n’échappe pas à l’évolution des sociétés qui toutes sont passées de la sauvagerie à la barbarie pour arriver au stade de la civilisation et de la modernité. Cette modernité entraine, à son tour, des transformations économiques et sociales qui, à leur tour, participent à l’émancipation et au changement de comportement. Ce changement de comportement est tributaire du marché de la consommation, et donc du travail, du salaire, du pouvoir d’achat et de la participation à la vie de la communauté. Cette communauté a des normes sociales clairement établies et dont l’inobservance conduit à la déviance et à la marginalité qui entrainent, à leur tour ,une ou des sanctions sociales, civiles ou pénales. D’abord comprendre que la société sénégalaise n’est plus ce qu’elle était, l’éducation formelle et la famille semblent disparaitre. Les valeurs de «Jom», «kersa», respect, religiosité, responsabilité tendent de plus en plus à disparaitre au profit d’un individualisme émergent et isolateur. La famille, incubatrice de valeurs dans la société sénégalaise traditionnelle, les noms de famille (nom de domaine) qui étaient presque des labels et des marques de filiation, gages de vertu et de pérennité, ont complètement disparu. Du jour au lendemain, la société sénégalaise se retrouve avec le déclin de la famille, le recul de l’éducation et la promotion de la facilité et du gain facile, l’irresponsabilité des parents qui ont abandonné la progéniture dont le paramétrage n’a pas lieu ou s'il a lieu n’a pas été achevé.
Les racines du mal
Du jour au lendemain, le Sénégal se retrouve avec des hommes et des femmes qui cherchent travail, argent, femmes, époux en dehors des règles et des circuits reconnus et qui ont fait du Sénégal jadis la fierté de ses dignes fils. Du jour au lendemain, le Sénégal se retrouve avec une démographie galopante que personne n’a vu venir et qui entraine un taux de chômage extraordinaire, une explosion de jeunesse à ne rien faire et qui noie ses soucis au tour du thé, de l’alcool, du tabac, de la drogue et forcément dans la délinquance et dans l’agression. Ce cocktail explosif est dangereux car chacun va essayer de trouver sa voie dans ce dédale. Les jeunes particulièrement sont les plus touchés. Le désœuvrement est source de toutes les tentations, le chômage crée chez les individus un sentiment d’inutilité, le sentiment de ne servir à rien, le sentiment de rejet car la famille et la société n’attendent rien de vous, les filles et les femmes que vous convoitez ne vous regardent même pas, vous ne pouvez rien régler, vous êtes à la remorque des autres qui font tout pour vous le faire savoir.
Au sein de votre famille, vos parents vous regardent avec compassion et peuvent comprendre la situation s’ils ont un degré d’instruction qui leur permette de faire la part des choses, sinon c’est eux-mêmes qui vous poussent à la révolte. Une fois que vous êtes dehors, le groupe de pairs qui vous accueille est comme pour vous une seconde famille. Il vous redonne votre dignité, vous donne un toit et un couvert en attendant la prochaine casse. Le paramétrage que la famille avait commencé et qui n’a pas abouti sera reformaté par le groupe et toutes les pulsions qui étaient en attente seront réinvesties dans la déviance, la violence, la brutalité, le refus de l’ordre établi, la négation des autres et de l’ensemble des interdits sociaux. Là, vous ne pouvez plus reculer car pour la première fois de votre vie, vous vous sentez vraiment exister et valoriser par des gens. Ainsi naissent les bandes organisées d’agresseurs.
Le déséquilibre dans le partage des ressources nationales entrainent un sentiment de frustration chez beaucoup de sénégalais qui n’y croient plus. Il n’y a plus de rêve, plus de débouchées, le mérite personnel n’existe plus, il est remplacé par le copinage et le clientélisme, l’entreprenariat personnel est presque impossible pour un gars du ghetto car il y’a une uniformisation des mentalités, des réussites et des échecs. Votre propre quartier va préférer le maure ou le chinois d’à coté si ce n’est le peulh fouta du coin. Chacun supporte mal la réussite de l’autre. «On se jalouse, on se hait, on se médit, mais on se supporte». Car il devient tout simplement difficile d’être sénégalais. De réussir et de compter.
Aly Khoudia Diaw, Sociologue
23 Commentaires
Anonyme
En Novembre, 2016 (19:44 PM)Anonyme
En Novembre, 2016 (20:12 PM)Anonyme
En Novembre, 2016 (20:44 PM)Anonyme
En Novembre, 2016 (21:01 PM)Anonyme
En Novembre, 2016 (21:05 PM)et pour ça nous ne sommes pas d'accord
Anonyme
En Novembre, 2016 (21:12 PM)Mbeurr
En Novembre, 2016 (21:13 PM)Anonyme
En Novembre, 2016 (21:15 PM)Anonyme
En Novembre, 2016 (21:17 PM)Bl(o)uffés
En Novembre, 2016 (22:08 PM)Pour se preserver de tous ces travers que vient de décrire Dia(w), il faut persévérer à se tenir hors d'atteinte de la " certainité " et de ses vicissitudes.
Le " certainisme " est un cas malheureux!
Anonyme
En Novembre, 2016 (22:18 PM)Anonyme
En Novembre, 2016 (22:42 PM)Deug
En Novembre, 2016 (22:44 PM)Anonyme
En Novembre, 2016 (23:19 PM)"Votre propre quartier va préférer le maure ou le chinois d’à coté si ce n’est le peulh fouta du coin." moralité il faut les égorger ?
Monsieur a une dent contre les peuhls...que dis je un croc
* des maures: on en croise un tous les 10 du mois
* des chinois: tous les 15 du mois
* des peuhls : tous les jours !!
Anonyme
En Novembre, 2016 (01:19 AM)Weuz
En Novembre, 2016 (03:50 AM)Anonyme
En Novembre, 2016 (08:17 AM)Anonyme
En Novembre, 2016 (10:03 AM)1 ils sont humbles ( ba gnou préférer lé lene
2 ils ne sont pas gourmands sur les prix (je prends toujours les taximens peuleufouteu parce qu'ils sont moins gourmands que les taximens sénégalais en plus ils ne sont pas impolis ils sont très corrects
Anonyme
En Novembre, 2016 (10:47 AM)Anonyme
En Novembre, 2016 (11:11 AM)Anonyme
En Novembre, 2016 (13:02 PM)Ami
En Novembre, 2016 (23:43 PM)Jeune Socio
En Novembre, 2016 (11:30 AM)Participer à la Discussion