Mardi 12 mai 2020, le président américain Donald Trump (photo) a fait un post sur son compte twitter, où il expliquait clairement que l'heure est venue pour les Etats-Unis de tirer tous les avantages d'un système monétaire, où la Banque centrale adopterait des taux négatifs. Cette publication n'est pas la première dans laquelle le patron de la Maison Blanche exprime son adhésion pour des taux négatifs, même si cela entraîne de vives critiques.
Très critiqué dans la gestion sanitaire de la pandémie de Covid-19, on pourrait estimer que le président américain nous sert encore une de ses excentricités complètement déconnectées de la réalité. Pourtant, Donald Trump n'est pas le seul leader d'opinion américain à penser de la sorte. Bien plus, l'entrée des Etats-Unis dans les taux négatifs pourrait être avantageuse pour de nombreux pays en développement, dont la cinquantaine de pays africains.
Comprendre le principe des taux d’intérêt négatifs.
Kenneth Rogoff, un grand universitaire américain et économiste de renommée internationale, a aussi exprimé son soutien pour des taux d'intérêt négatifs. Dans la théorie économique et monétaire, les banques centrales augmentent les taux pour inciter les banques commerciales à conserver plus de ressources, et à durcir les conditions de crédit, lorsqu’un pays connaît une forte inflation. Cela contribue à réduire l'argent disponible ; ce qui fait baisser la consommation et l'investissement.
A l'inverse, si on veut relancer la hausse des prix, les taux des banques centrales sont abaissés, et, plutôt que de garder leurs fonds, les banques commerciales prêtent aux acteurs économiques ; ce qui relance la consommation et l'investissement. Le problème, actuellement, c'est que la Banque centrale américaine a poussé ses taux jusqu'à la limite du zéro, mais l'inflation ne repart pas. Au contraire, l'argent est injecté dans les marchés financiers et fait gonfler artificiellement les valeurs boursières.
Les défenseurs des taux négatifs estiment que si les banques commerciales doivent désormais payer pour les dépôts de leurs fonds propres à la Réserve fédérale américaine (FED), cela les poussera à prendre plus de risques en prêtant davantage aux acteurs économiques. Dans ces conditions, on pourrait relancer plus rapidement la machine de la croissance, et avec, l'inflation.
Une conséquence intéressante de la politique des taux zéro serait de permettre aux régions en développement comme l'Afrique, de revenir sur le marché international des capitaux. « Une politique de taux profondément négatifs dans les économies avancées serait une énorme bénédiction pour les économies émergentes et en développement, qui subissent le choc de la chute des prix des matières premières, la fuite des capitaux, une dette plus élevée que leurs revenus et des taux de change défavorables, sans parler des premières conséquences de la pandémie », a expliqué le professeur Rogoff.
Comment des taux négatifs aux Etats-Unis bénéficieraient-ils à l’Afrique ?
En effet, de nombreux analystes et agences de notation ne manquent pas de rappeler que les économies africaines font face à des défis auxquels leurs gouvernements et banques centrales pourront difficilement trouver des solutions adéquates. Le faible tissu productif de la région et le déficit d’intégration économique contraignent plusieurs pays africains à importer sur le marché international.
Pour importer sur le marché mondial, il faut avoir des devises, idéalement des dollars, et dans une certaine mesure des euros, les deux monnaies qui dominent les transactions internationales. Pour avoir ces devises, les pays africains doivent exporter principalement des matières premières, ou recevoir des revenus du tourisme et des transferts de leurs diasporas. Or, en raison de la pandémie, ces trois sources de revenus en devises de la région sont compromises.
Dans le même temps, craignant une détérioration des termes de l'échange, plusieurs investisseurs ont rapatrié leurs capitaux, laissant l'Afrique dans un besoin en devises qui n'est pas satisfait. Des institutions comme le FMI sont intervenues pour aider un peu, mais à l'image du Kenya qui évalue ses besoins à 7,5 milliards $, le soutien de cette institution est trop faible.
Dans le même temps, le continent africain ne peut actuellement pas aller sur le marché international des capitaux, car les taux d'intérêt y sont élevés et se sont encore renchéris. C'est cette situation qui laisse penser que si les Etats-Unis tombent dans le cycle des taux négatifs, cela redonnera de l'intérêt pour la dette des pays émergents et en développement, et fera venir les capitaux notamment en Afrique avec à la clé le renforcement des monnaies de la région.
Quelles sont les barrières à cette opportunité ?
L’Afrique n’a malheureusement pas le pouvoir d’influencer efficacement ce débat en sa faveur. De même, cette question des taux négatifs est assez critiquée aux Etats-Unis. Jerome Powell, le président de la FED, a répondu au tweet du président américain dès le lendemain lors d'une vidéoconférence. Il a estimé que le recours à des taux négatifs n'était pas une option pour son institution en ce moment. « Je sais qu'il y a des fans de cette façon de voir, mais pour l'instant ce n'est pas quelque chose que nous envisageons », a déclaré M. Powell, ajoutant : « nous pensons que nous avons plusieurs autres solutions, et ce sont celles que nous utiliserons ».
L’opposition aux taux d’intérêt négatifs vient aussi du monde de l’investissement. La Banque centrale américaine explique que si on arrivait à cette option, cela pourrait chasser les investisseurs des marchés monétaires (marchés des emprunts à court terme), dont l'économie américaine dépend plus que les autres économies du monde. On a vu ces derniers mois, des pays comme la France emprunter à des taux négatifs. Le spectre d’une telle situation aux Etats-Unis a fait chuter la valeur en bourse des banques, il y a quelques semaines. Une réaction logique, car si les banques doivent payer, l’Etat américain pour lui prêter de l’argent et leur rentabilité prendra un sérieux coup.
De plus, si les fonds de pension et les assureurs sont obligés de détenir des obligations d'Etat qui n’apportent plus de rendements, ils pourraient avoir du mal à respecter leurs obligations vis-à-vis des personnes bénéficiaires des capitaux qu’ils investissent. Les obligations américaines restent une des dernières valeurs refuges pour les fonds d’investissement en ces moments où des milliards d’actions boursières ont perdu de la valeur.
Une autre conséquence, c’est que face à des taux négatifs, les banques pourraient pousser trop loin leur appétit pour les risques, gonflant ainsi les bulles financières et immobilières. Une situation qui a été mal vécue en 2008. La Riksbank (Banque centrale suédoise), une des premières à avoir navigué dans des taux négatifs, les a abandonnés fin décembre 2019. Ses responsables ont conclu que le maintien de cette politique monétaire pendant une période plus longue risquait de provoquer des changements préjudiciables dans le comportement des acteurs économiques.
Il y a enfin de nombreux pays qui à la fin de l’année 2019, détenaient un total de 6700 milliards $ de dettes américaines, le Japon et la Chine en tête. Sur la même année, le portefeuille des investissements sur les obligations américaines a fortement contribué à la hausse de 50% des bénéfices nets de la Banque centrale européenne (BCE). Si la FED adoptait des taux négatifs, on risquerait d’assister à une vente massive de ces obligations, les pays ne souhaitant pas perdre de l’argent sur leurs placements.
Idriss Linge
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