J’ai visité Addis-Abeba un certain nombre de fois au cours des vingt dernières années, et plus fréquemment depuis 3-4 ans. L’Ethiopie est un des pays africains en tête de peloton du point de vue de la croissance économique – avec un taux de croissance qui a fréquemment atteint ou dépassé 10% depuis 2010. On assiste à une transformation rapide du pays, à tous points de vue. Addis est une ville en chantier. Parmi les signes du dynamisme économique et de l’ambition de l’Ethiopie il y a bien sûr Ethiopian Airlines, maintenant de loin la 1ere compagnie aérienne d’Afrique. On peut ajouter la réhabilitation et la modernisation du chemin de fer Addis-Djibouti, une liaison essentielle pour ce grand pays enclavé. Mais il y a aussi le Light Rail Network Transit (LRNT), le métro d’Addis Abeba.
266 milliards FCFA pour le RNT, 568 milliards FCFA pour le Ter pour la même distance
Les similitudes entre le LRNT et le TER de Dakar sont frappantes. Etant donné tout le débat et la controverse autour du TER, je me suis intéressé et ai commencé à me renseigner sur le LRNT, sans pour autant avoir la prétention d’offrir un traitement approfondi de la question. Dans cette brève contribution, je compare les deux projets et fais des constats qui interpellent les concepteurs et promoteurs du TER, mais qui doivent aussi faire réfléchir tous les citoyens sénégalais. Voir tableau ci-après pour la description de deux projets suivant des paramètres clés techniques et économiques.
D’abord quelques points de ressemblance. Les deux projets portent sur des trains électriques utilisant des rails à écartement standard avec deux voies. L’objet de ces projets est d’améliorer la mobilité urbaine, de réduire les temps de trajet et fluidifier le trafic dans les plus grandes agglomérations des deux pays : Dakar et sa proche et lointaine banlieue (Sénégal) et Addis Abeba (Ethiopie). Le TER (phase 1) et le LRNT sont presque de même longueur (une peu plus de 30 km) et les trains utilisés vont rouler à la même vitesse --dite vitesse commerciale—de 60 à 70 km/h, même si le TER peut atteindre 160 km/h si les conditions le permettaient (par exemple sur une longue distance sans arrêts). Les deux projets seront complétés par des réseaux de Bus Rapides de Transit (BRT) auxquels ils seront intégrés.
115.000 personnes transportées par jour à Dakar, 200.000 à Addis
Les projets présentent aussi des différences. Le LRNT d’Addis a deux lignes (une Nord-Sud et une Est-Ouest), contre une seule pour le TER (Dakar-Rufisque-Diamniadio). Alors que le TER aura 14 stations pour la phase 1 (avec une station additionnelle –AIBD—pour la phase 2), le LRNT a 39 stations dont 10 hubs. Le LRNT est en service depuis 2015 alors que le TER ne le sera que dans quelques mois. Pour ce qui concerne le nombre de personnes transportées par jour, on prévoit 115.000 pour le TER contre 200.000 pour le LRNT. Le TER est financé par l’Etat Sénégal, la BAD, l’AFD et le Trésor français alors que Eximbank of China a pour l’essentiel financé le LRNT. Des entreprises françaises construisent le TER alors le LRNT est construit par des entreprises chinoises. Une compagnie chinoise et la Régie des Chemins de Fer d’Ethiopie exploitent le LRTN.
Venons-en aux différences qui ont le plus attiré mon attention. Il y a d’abord le coût de ces projets. Le LRNT a coûté 475 millions de dollars US ou 266 milliards FCFA, donc 47% du coût hors-taxe du TER qui est 568 milliards de FCFA, compte non tenu des dernies avenants (Rapport d’évaluation du projet par la BAD). Même si le volet indemnisation et recasement a coûté 50 milliards pour le TER (je n’ai pas d’information sur les indemnisations de personnes déplacées par le LRNT), la différence de coût entre les deux projets est énorme. Pour donner une idée du poids de ces projets dans les économies des deux pays, il faut noter que le coût du TER représente un endettement de 60,7 USD (34.000 FCFA) hors taxe par habitant au Sénégal contre 4,3 US (2400 FCFA) par personne en Ethiopie.
Mais le plus choquant, c’est la différence concernant le coût du trajet : pour le TER, on parle de 1.500 FCFA pour le trajet de Dakar à Rufisque, contre 4 Birr (ou 160 FCFA, 1 Birr = 20 FCFA) le trajet sur le LRNT à Addis Abeba. Pour l’Etat éthiopien, un des objectifs du LRNT est contribuer à la compétitivité économique du pays, avec un faible coût des facteurs de production (électricité, eau, etc.), et en particulier de la main-d’œuvre, ce qui nécessite le transport des travailleurs au moindre coût.
Près de 3000 frs par jour entre Dakar et Rufisque
Pour ce qui concerne le Sénégal, on a du mal à se faire une idée précise du profil des 115.000 personnes qui seront transportées par jour le TER. Au prix du trajet annoncé, les élèves et étudiants sont certainement exclus. Il en est de même de beaucoup des travailleurs du secteur informel. Pour les salariés du secteur privé formel, il faut se rendre compte qu’un usager du TER résidant à Dakar et travaillant à Rufisque ou Diamniadio doit au moins prévoir 3.000 FCFA par jour et donc environ 66.000 FCFA par mois pour son budget de transport. Ceci représente 120% du SMIG du Sénégal, alors que le budget transport de l’usager du LRNT n’est que de 17% du SMIG de l’Ethiopie ! Si les futurs salariés du Parc industriel de Diamniadio – on ambitionne de créer 25.000 emplois—doivent prendre le TER pour aller au travail, il va falloir un niveau de rémunération qui risque de décourager les futurs investisseurs.
A moins que l’Etat du Sénégal n’envisage de subventionner massivement le transport par le TER pour tous les usagers aussi bien du secteur public que privé, avec des répercussions importantes à court et long terme sur les finances publiques…
Cette note a certainement fait un traitement plutôt superficiel d’un sujet complexe et j’espère que les experts et décideurs qui maîtrisent mieux le sujet vont la lire apporter les compléments d’information nécessaires.
Au-delà du cas particulier du TER, une question qui me taraude l’esprit et à laquelle je n’ai aucune réponse c’est le fait qu’au Sénégal, tous les grands travaux qui ont été réalisés par l’Etat au cours des 20 dernières années (autoroutes, aéroports, TER, construction ou rénovation d’édifices publics, etc.) ont été extrêmement coûteux, comparés aux travaux de même nature dans les autres pays africains. Ces grands travaux réalisés au Sénégal peuvent être des motifs de fierté légitime mais ils affectent la cherté de la vie, la compétitivité et l’attractivité de notre économie tout en alourdissant fortement le poids de la dette. A cela s’ajoute le fait que ces infrastructures accentuent l’exclusion des couches les plus défavorisées de la société.
Cela dit, oui, tout le monde est d’accord que le Sénégal doit avoir de l’ambition. Mais pour mieux réussir les chantiers futurs, notre approche actuelle dans la planification des investissements, la conception des ouvrages à réaliser et leurs modes de financement doit fait l’objet d’une revue critique.
Madiodio Niasse
Annexe. Tableau comparatif Train Express Régional – Phase 1 (Dakar, Sénégal) et LRNT (Addis Abeba, Ethiopie)
Paramètres |
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Longueur Phase |
36 km (Phase 1) |
31,6 km (Phase 1 :17 km ; Phase 2 : 14,6 km) |
Ecartement rail |
Standard |
Standard |
Nombre de lignes |
1 (Dakar-Diamniadio-AIBD) |
2 (Ligne 1 : Est-Ouest ; Ligne 2 : Nord-Sud) |
Nombre de voies |
3 (dont une ligne métrique à écartement métrique pour transport de marchandise) |
2 |
Vitesse max |
60 km/ (Vitesse commerciale) avec potentiel tech de 160 km (source : BAD) |
70 km/h |
Nombre de stations |
14 |
41 (dont 10 hubs) |
Prix du ticket |
1.500 FCFA (trajet Dakar-Rufisque) |
4 Birr (160 FCFA, 1 Birr – 20 FCFA) |
Nombre de passagers par jour |
115.000 personnes |
200.000 personnes |
Cout |
568 milliards CFA (1.015 millions USD) -- Phase 1 (Source BAD) |
266 milliards FCFA (475 millions USD (Phases 1 et 2) |
PIB/per capita (pays) |
1,330 (USD – ref. 2017 NU) |
720 USD (Ref. 2017 NU) |
Pop totale (pays) |
16,7 millions habitants |
110,1 millions habitants |
Ratio endettement per capita lié au train |
60,7 USD |
4,3 USD |
Salaire minimum mensuel - SMIG |
55.000 FCFA |
42.000 (902 USD annuel pour 1 USD = 560 CFA) (Ref. 2019) |
Budget transport TER/LRNT par travailleur (22 jrs de travail par mois) |
66.000 FCFA (1.500 F x 2 fois/jour pour 22 jours) |
7.040 FCFA (160 FCFA x 2 fois/jour pour 22 jours) |
Part du transport TER/LRNT dans le salaire du travailleur au SMIG |
120% (66.000/55.000*100) |
17% (7.040/42000*100) |
Photos du TER et du LRNT |
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Photos du TER et du LRNT |
11 Commentaires
Xxx3
En Février, 2019 (16:25 PM)Anonyme
En Février, 2019 (16:34 PM)wakh, wakh, wakh rék!!!!
Anonyme
En Février, 2019 (18:28 PM)Momo
En Février, 2019 (18:44 PM)Anonyme
En Février, 2019 (19:56 PM)Anonyme
En Février, 2019 (20:02 PM)Bob
En Février, 2019 (21:47 PM)GOOD JOB ..............
En gros notre TER, et ses 14 stations, vaut 2 fois plus cher que le métro éthiopien avec 2 lignes et 41 stations .............. sans parler du coût pour l'usager
Les sénégalais vous avez des putains de dettes au dessus de vos têtes .....
Merci Mackouille
Anonyme
En Février, 2019 (11:10 AM)Anonyme
En Février, 2019 (12:23 PM)Cette Comparaison Est Très Sup
En Février, 2019 (21:22 PM)Cette Comparaison Est Très Sup
En Février, 2019 (21:22 PM)Participer à la Discussion