Notre pays a toujours entretenu d’étroites relations de coopération avec les partenaires au développement, bilatéraux comme multilatéraux, du Nord comme du Sud. Me Abdoulaye Wade qui accède à la magistrature suprême le 1er avril 2000, s’inscrit dans cette continuité ou, du moins, en donne l’impression. L’homme se réclame du libéralisme et on s’attend à ce que, sous sa gouvernance, la coopération avec les pays occidentaux soit renforcée. En tout cas, ses deux premiers voyages importants hors du Sénégal (en mai et en juin 2000) sont réservés à la France, où il prend contact avec les plus gros chefs d’entreprises d’alors .
Excellences, Messieurs les Ambassadeurs, quelques années plus tard, comme découragés par les Occidentaux, le président sénégalais donne l’impression de leur tourner le dos et ouvre grandement les portes du Sénégal à vos pays respectifs. Revenant des Etats-Unis d’Amérique, il donne une conférence de presse, le 1er octobre 2007, dans la salle des Banquets de la présidence de la République, « pour faire le point de sa participation à la 62ème Session ordinaire des Nations Unies ». Le texte de présentation avait pour titre : « Compte rendu de mon voyage aux Etats-Unis ». Tout le corps diplomatique représenté à Dakar était invité à ce point de presse. Prenant tout le monde de court, et principalement votre collègue des USA qui devait être présent, il déclare que le Sénégal renonce à l’important Projet dit de la Plateforme de Diamniadio, financé pour environ 500 milliards de francs Cfa, dans le cadre du Mca. Et il explique ainsi son choix : « Pour l’histoire, je n’ai jamais cru à ce projet de plateforme de Diamniadio. Je ne l’ai jamais aimé. Je n’ai jamais compris ce qu’il y avait dedans. Je l’appelais serpent de mer. »
Votre collègue représentant les USA – s’il était présent – a sûrement failli tomber à la renverse. Il comprendra d’ailleurs mieux la décision de Me Wade de divorcer sans état d’âme d’avec le Projet de la plateforme de Diamniadio quand ce dernier ajoute : « Les Américains sont très lents dans la mise en œuvre de nos projets. C’est pourquoi, j’ai dit non ! » La vraie raison est lâchée : les Américains sont lents, surtout pour décaisser. Le projet était pourtant très avancé, mais ne trouvait plus grâce auprès de Me Wade : non seulement les Américains étaient lents à ses yeux, mais ils étaient trop transparents. Au rythme où les choses avançaient, les 500 milliards étaient partis pour profiter directement aux populations, et sans intermédiaires. Me Wade ne pouvait pas supporter un tel état de fait. Á la place des Américains, il intronisait, avec son fils bien aimé Karim Wade, les Émirats arabes unis et principalement Dubaï. Sur les cendres de Diamniadio, Wade père et Wade fils mettaient en place, avec l’accord de leurs nouveaux partenaires, une « Zone économique spéciale », dont nous attendons encore les premiers coups de pioche.
C’est également Dubaï que les Wade vont préférer au grand groupe français Bolloré, dans l’attribution du Terminal à conteneurs du Port autonome de Dakar. C’est encore Dubaï qui sera privilégié par Wade fils dans le partenariat en matière de transports aériens. Excellences, Messieurs les Ambassadeurs, vos pays respectifs sont devenus aujourd’hui les destinées privilégiées de « l’empereur » Wade et de son fils héritier. Loin de nous, bien sûr, l’idée de nous insurger contre la coopération avec vous. Nous souhaitons même qu’elle aille se renforçant, comme celle qui nous lie à tous les autres pays partenaires. Nous n’avons aucune animosité contre vos pays respectifs, mais nous avons l’impression, peut-être même la conviction, que nous ne coopérons pas dans la transparence. Un voile épais semble couvrir cette coopération et seuls, les Wade et les hommes qu’ils se sont choisis, savent réellement ce que cache ce voile. Excellences, je vais essayer de mieux préciser ma pensée en l’illustrant.
Ce n’est plus un secret pour personne désormais chez nous : Wade père prépare Wade fils à lui succéder directement. Le premier acte de son projet monarchique, c’est lorsqu’il lui a taillé une agence sur mesure : l’Agence nationale pour l’Organisation de la Conférence islamique (Anoci) où il a géré, pendant au moins quatre ans et de façon presque discrétionnaire, des centaines de milliards, sans jamais rendre compte et sans qu’aucune structure de contrôle ait osé fouiner dans cette gestion. Après l’Anoci, qui n’avait plus de raison d’être après l’organisation de la Conférence islamique à Dakar, le père envisage de placer le fils gâté sur une autre rampe de lancement vers le sommet : la mairie de Dakar. Le prince héritier est placé en troisième position sur la liste proportionnelle des candidats conseillers municipaux de son quartier aux élections locales du 22 mars 2009. Les Wade s’impliquent fortement dans la campagne électorale et se montrent particulièrement « généreux ». Á l’arrivée, le père, le fils et la mère sont battus dans leur propre bureau de vote et la mouvance présidentielle perd de nombreuses grandes villes, y compris Dakar qui, selon de nombreux observateurs, avait déjà fait l’objet, en secret, d’un profond projet de réforme qui la soustrayait à toute tutelle. Wade père furieux, promet de sanctionner sévèrement tous les perdants de son camp. Contre toute attente, le fils pourtant battu, fait une entrée remarquable dans le gouvernement formé le 1er mai 2009 : il y est nommé Ministre d’État (déjà !), Ministre de la Coopération internationale, de l’Aménagement du Territoire, des Transports et des Infrastructures.
Quatre gros départements en un seul ministère pour quelqu’un qui faisait sa première expérience gouvernementale, avec des prérogatives étendues, tentaculaires, transversales, et qui lui permettent de rogner sur celles de tous les autres départements ! Le super ministre a sous son administration trois grosses directions générales, douze directions et sept agences nationales. Sans compter le Secrétariat général du Ministère bien fourni, et de nombreuses autres structures. Le Conseil des Ministres du jeudi 5 août 2010 a pris, pour son seul ministère, dix mesures individuelles portant nominations de directeurs nationaux. Le super Ministre, qui parcourt le monde en jet privé, a bien plus de prérogatives que le Premier ministre. Peut-être même plus que son père de président qui a mis entre ses mains tous les leviers du pouvoir et tous les moyens de l’État.
Excellences, si je vous ai surtout interpellées, c’est pour attirer votre attention sur l’injustice flagrante de Wade père, qui tient coûte que coûte à nous imposer son fils comme son successeur direct. Á la lecture du décret du 1er mai 2009 portant nomination du nouveau gouvernement, le Ministre d’État Abdoulaye Diop a dû taper vigoureusement sur la table pour retrouver ses pleines prérogatives : Wade père lui avait enlevé sans état d’âme les finances au profit de Wade fils. Pour lui permettre de capter tous les financements qui rentrent dans le pays. Me Wade va se rattraper avec les deux décrets n° 2009-567 et n° 2009-568 du 15 juin 2009, relatifs respectivement aux attributions des deux ministres. Á l’article premier du premier décret, il est notamment précisé : « (…) Á ce titre, il (Karim Wade) est chargé de la coopération économique et financière que le Sénégal entretient avec l’ensemble des ses partenaires du continent asiatique, à l’exception du Japon (c’est moi qui ai souligné). » L’article premier ajoute : « Dans le cadre de la coopération bilatérale, il est notamment chargé du développement des relations avec les pays arabes, la République populaire de Chine, la République de Corée et l’Inde. Dans le cadre de la coopération internationale multilatérale, il est chargé des relations avec toutes les banques et institutions financières arabes ou relevant de l’Organisation de la Conférence islamique. Il représente l’État auprès de la Banque islamique. » Les Wade ont sûrement oublié de citer l’Iran dans le décret. Il paraît que cette omission a été réparée par la suite. L’article premier du second décret qui porte attributions du Ministre d’État, Ministre de l’Économie et des Finances, le cantonne dans la représentation de l’État « auprès des institutions financières internationales et notamment du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale et de la Banque africaine de Développement. » Le même article précise vers les tout derniers alinéas ceci : « Dans le domaine de la coopération internationale bilatérale, il (le ministre Abdoulaye Diop) est chargé des relations avec tous les partenaires au développement, à l’exception des pays arabes, de la République de Corée, de la République populaire de Chine et de l’Inde. Dans le domaine de la coopération internationale multilatérale, il est chargé des relations avec tous les partenaires à l’exception des banques et institutions financières arabes ou relevant de l’organisation de la Conférence islamique. » Excellences, Wade père traîne partout Wade fils et le présente comme étant le meilleur expert en finances du Sénégal. Pourquoi le grand expert ne va-t-il jamais négocier des financements à Washington, à Ottawa, à Berlin, à Paris, à Londres, à Tokyo, à la Banque mondiale ou au Fonds monétaire international ? Ne vous demandez-vous pas pourquoi vos pays respectifs lui sont exclusivement réservés ? Pourquoi est-il chargé « de la coopération économique et financière que le Sénégal entretient avec l’ensemble des ses partenaires du continent asiatique, à l’exception du Japon » ? Pourquoi son collègue le Ministre d’État Diop est-il « chargé, dans le domaine de la coopération internationale bilatérale, des relations avec tous les partenaires au développement, à l’exception des pays arabes, de la République de Corée, de la République populaire de Chine et de l’Inde » ? Pourquoi, « dans le domaine de la coopération internationale multilatérale, (est-il) seulement chargé des relations avec tous les partenaires à l’exception des banques et institutions financières arabes ou relevant de l’organisation de la Conférence islamique » ? Excellence, vous devez quand même vous poser ces questions-là ! « Á l’exception du Japon » ! Á l’exception notable du Japon ! Cet élément de phrase est lourd, très lourd de signification et révèle au grand jour les intentions malsaines et manifestement antirépublicaines du président Wade. Le Japon fait bien partie de l’Asie, mais on le comprend dans le lot des pays dits occidentaux, avec lesquels il partage les mêmes procédures de gestion. Le yen japonais n’est pas jeté par la fenêtre. Les autorités de ce très sérieux pays ne sont pas prêtes à remettre des chèques au premier venu. Elles ne décaissent pas aussi vite que le souhaite Wade fils, à l’image de la République populaire de Chine, dont il lui est arrivé de rendre hommage à la rapidité du décaissement. Excellences, Messieurs les Ambassadeurs, ce garçon vous sollicitera à outrance dans les mois qui viennent. Il vous acculera jusque dans vos derniers retranchements pour vous faire financer mille projets. Il est déjà, avec son père, en pleine campagne pour l’élection présidentielle de 2012. Ils ont besoin d’ouvrir des chantiers partout au Sénégal, même s’ils sont sûrs qu’ils n’auront pas le temps de les terminer. Il leur faut surtout un gros butin de guerre, car ils sont persuadés que c’est avec l’argent qu’ils vont arriver à réaliser leur projet monarchique. Notre préoccupation n’est pas que vous vous absteniez de financer les projets qui vous seront soumis. Notre souhait est plutôt de vous voir suivre la traçabilité de l’argent que vous donnez à ce garçon qui est hyper protégé par son père. Nous n’avons aucun moyen de contrôle sur les milliards qu’il dépense à sa convenance et pour ses seules ambitions présidentielles. Or, ce sont nos enfants et nos petits enfants qui payeront ces milliards-là. Le « jumeau » de Karim Wade, Abdoulaye Baldé, actuel Ministre d’État Ministre des Forces Armées et ancien Directeur exécutif de l’Anoci interpellé sur sa « générosité » lors de la campagne pour les élections locales de 22 mars 2009, répond sans état d’âme ceci : « On dit que je gaspille beaucoup d’argent, mais c’est parce que je suis généreux. Je peux offrir cent millions sans problème. Ce n’est pas l’argent de l’État, c’est mon propre argent, que mes amis arabes me donnent et que j’offre à mes frères. » Je n’ai rien inventé : c’est lui-même qui, piqué par on ne sait quelle mouche, a fait cette déclaration surprenante reprise le lendemain par au moins deux quotidiens de la place, notamment par « Le Populaire » n° 2787 du jeudi 12 mars 2009, page 4. Ces deux « jumeaux » sont déjà riches, plus riches que Crésus. Nous regrettons que certains de vos pays respectifs continuent à les enrichir encore davantage, au détriment des 12 millions de Sénégalais et de Sénégalaises, dont plus de la moitié vit en-dessous du seuil de la pauvreté. Ce que nous attendons plutôt de vous, c’est la même rigueur et la même vigilance que les Occidentaux. Votre collègue des Etats-Unis en particulier, Son Excellence Marcia Bernicat, s’est signalée par sa ferme volonté de veiller sur l’utilisation de l’argent du contribuable américain. Comme une sentinelle, elle a les yeux rivés sur les dollars donnés à notre pays et ne baissera la garde que lorsqu’elle sera assurée qu’ils sont arrivés directement aux populations auxquelles ils sont destinés. Ce crime de lèse majesté lui a d’ailleurs valu d’être terriblement et publiquement rabrouée par le président de la République du Sénégal, au cours de la fameuse audience du 28 mai 2010. Excellence, Messieurs les Ambassadeurs, vous vous souvenez tous de cette histoire rocambolesque de quinze millions de dollars de fonds taïwanais, qui étaient initialement destinés à réaliser des projets sociaux au profit de nos populations. Le président Wade a dépêché un de ses sulfureux conseillers (un certain Pierre Aïm) auprès du président taïwanais de l’époque (Chen Shui-bian), avec une lettre où il lui a donné carte blanche, pour agir en son nom et en celui du Sénégal. Le conseiller se serait fait remettre l’argent et aurait pris la direction de Chypre pour le planquer dans un compte bancaire. L’argent atterrirait finalement dans un autre compte, celui d’un certain Gérôme Godard, un ami de Karim Wade dit-on, qui serait à la base de la faillite, il y a quelques années, des Industries chimiques du Sénégal (Ics). Ce scandale avait fait les choux gras de toute la presse nationale et internationale, avec les fac-similés de la lettre du président Wade, des numéros des comptes bancaires, de la décharge même signée du sulfureux conseiller spécial, qui se serait tapé une confortable commission de 600 millions de francs Cfa. Quel chef d’État, fût-il aussi téméraire que le nôtre, oserait-il dépêcher une telle mission scélérate auprès des présidents Obama ou Sarkozy, de la Chancelière Angela Markel, des Premiers ministres canadien, anglais ou nippon ?
Excellences, Messieurs les Ambassadeurs, je ne vous appelle pas à notre secours pour nous aider à faire échouer le plan antidémocratique des Wade ! Cette affaire relève de notre propre responsabilité. Ce que nous vous demandons, c’est de ne pas leur faciliter la tâche, en mettant sans discernement à leur disposition des fonds importants qui risqueraient de connaître le même sort que les 15 millions de dollars de fonds taïwanais. Ce que nous attendons de vos pays respectifs, c’est qu’ils fassent montre de plus de rigueur, de vigilance et de transparence dans la coopération avec le nôtre. Ayez, comme les Occidentaux, un œil vigilant sur l’utilisation des sommes importantes que vous remettez à Wade père et à Wade fils ! Ne vous dîtes pas seulement que vous serez tôt ou tard payés ! Pensez aussi au pauvre contribuable sénégalais qui va suer sang et eau, pour faire face à cette grosse dette qu’ils contractent davantage pour la réalisation de leur projet monarchique que pour le développement du Sénégal !
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