Cher, Youssou Ndour…
Ce 25 Mai, sera célébrée la Journée de l’Afrique. «Engageons-nous dans une réflexion collective sur l’après-crise et commençons à construire une nouvelle Afrique : Unie et Innovante». C’est sur la page Facebook de Youssou Ndour, leader du Super Étoile et chef d’entreprise, que nous avons découvert ce message que j’aimerai bien intituler : «l’Appel du 25 Mai».
Je suis allé plus loin pour comprendre ce qu’englobe l’initiative de Youssou Ndour. C’est là que j’ai compris qu’il s’agit d’un conclave virtuel, qui devrait regrouper des icônes de la musique africaine, toutes générations et tous styles confondus. Les objectifs de cet «Appel du 25 Mai», sont :
-d’engager une réflexion collective pour relever les défis post-Covid19 ;
- de bâtir une nouvelle Afrique.
Cette Afrique que Youssou Ndour et ses frères africains veulent«unie et innovante». Il suffit juste d’enlever le mot : «Covid-19», pour rejoindre les objectifs fixés par d’anciens grands dirigeants africains, qui s’étaient battus pour la réalisation de l’Unité Africaine. Ce fut les périodes de post indépendance, «post l’an 2000» et, aujourd’hui, le contexte est marqué par le Covid-19, qui a bien fouetté la conscience africaine.
Je tenais, tout d’abord, à saluer cette belle inspiration du leader du Super Étoile, qui semble avoir bien compris les nouveaux enjeux qui s’affichent sous nos yeux, nous Africains.
Le 15 avril 2020 dernier, j’avais adressé une lettre au président de la République, Macky Sall. A travers lui, j’ai voulu m’adresser à tous les dirigeants africains. A mon avis, il fallait qu’ils comprennent et acceptent que l’Afrique ne sortira jamais de la pauvreté, si ses dirigeants ne changent pas de paradigme. La Solution ! La grande Solution de l’Afrique est dans l’Unité. Si l’Afrique ne s’unit pas, elle comptera encore moins et sera malmenée dans les relations internationales, pire qu’avant le Covid-19. Et le continent va s’embourber davantage dans sa posture de terrain de jeu ou de champ de tirs entre les grandes puissances mondiales qui se disputent ses ressources et leurs grandes entreprises qui assurent et assument la prolongation de la colonisation économique.
Cheikh Anta Diop l’a théorisé dans son ouvrage : «les fondements économiques et culturels d’un État fédéral d’Afrique noire». Me Abdoulaye Wade l’a confirmé dans son livre-programme : «Un Destin pour l’Afrique». Kwameh Nkrumah du Ghana, Gamal Abdel Nasser d’Égypte, Modibo Keita du Mali, Patrice Lumumba (RD Congo), Blaise Compaoré du Burkina Faso, Mouammar Kadhafi de Lybie et tant d’autres leaders ont tous défendu, avec pertinence, l’indispensable unité du continent, pour assurer son développement économique et social.
Le bloc américain, le bloc chinois, le bloc européen et le bloc arabe contrôlent le monde, sans partage, face à une Afrique désunie, divisée et qui souffre de tout : pauvreté, mal gouvernance économique, mal gouvernance politique, mal gouvernance judiciaire, maladies, insécurités. Face à ces gangrènes qui étouffent l’Afrique, s’ajoute une classe politique responsable, en partie, de tous les maux dont souffrent les Africains et inconsciente de sa véritable mission.
Il n’existe pas de programme de développement national qui peut sortir un pays africain de la pauvreté. Il est illusoire,par exemple, de vouloir développer le Sénégal seul, sans tenir compte de ses voisins : le Mali, la Gambie, la Guinée, la Mauritanie et la Guinée-Bissau. Le Sénégal n’atteindra jamais l’émergence dans un espace géopolitique dominé par des pays sous l’étreinte de la pauvreté. D’ailleurs, depuis notre indépendance, nous avons essayé seul et cela n’a rien donné. Abdou Diouf nous a laissé le Document stratégique pour la Réduction de la Pauvreté(DSRP),Me Abdoulaye Wade nous a légué sa Stratégie de la Croissance accélérée (SCA) et son Plan Stratégique Sénégal-2035, Macky Sall déroule son Plan Sénégal émergent (PSE). Les résultats produits par ces différents plans et programmes sont connus des Sénégalais.
L’Afrique est dans une posture d’éternelle assistée. L’Aide publique au Développement, l’Aide alimentaire, les Programmes de Développement dictés par le Fmi et la Banque mondiale n’ont jamais sorti le continent de la pauvreté endémique.
En Afrique, les hommes passent, la pauvreté demeure.
En Afrique, les hommes passent, la corruption demeure.
En Afrique, les hommes passent, le sous-développement demeure.
Alors, un Nouveau Modèle Africain s’impose. Je vais rectifier pour, tout simplement, écrire : «Un Modèle Africain», car l’Afrique n’en a jamais eu de «Modèle» pour que je parle de «Nouveau». Un modèle politique africain n’a jamais existé. Sinon, c’est celui qui a produit tous les maux dont souffrent les peuples d’Afrique. Nous devons engager des ruptures et nous retourner sur nous-mêmes.
L’annulation de la dette, parlons-en ! De quelle dette parle-t-on d’ailleurs, lorsqu’on sait que l’argent qu’on prête aux pays africains, par la main droite, est repris par la main gauche, par ces partenaires, car toute cette aide est conditionnée ? La France qui nous prête de l’argent pour réaliser une autoroute, nous impose ses entreprises. Ainsi, nos États acceptent le prêt, donnent le marché à une entreprise française, la paient sur cet argent prêté par la France, et remboursent la dette à l’État français. Pire encore, l’argent passe par les banques françaises qui prélèvent ses intérêts.
Youssou, je me garde de revenir sur le débat autour de la monnaie unique.
Rappelons juste que la solution est dans l’unité du continent. Tous les instruments pour réaliser l’Unité africaine ont été discutés, il ne reste que les ratifications et il faut une volonté politique des dirigeants au pouvoir pour passer le cap. Mais, faute d’accord entre ces derniers jaloux de leur trône, l’Afrique tarde à former son bloc.
E tc’est ce qui explique sa faiblesse face aux blocs américain, chinois, européen et arabe.
Du moment qu’en Afrique, aucun président n’a l’influence de Vladimir Poutine (Russie), de Tayyip Erdogan (Turquie) encore moins le courage d’Hassan Rohani (Iran) ou la folie de Kim Jun Un (Corée du Nord)…Alors, la conclusion qui s’impose, c’est que l’Afrique doit parler d’une seule voix.Et, pour cela, il faut briser les frontières pour bâtir une Afrique unie. C’est-à-dire une Afrique Nouvelle (New Africa), avec un Plan de Redressement Economique (PRE),dont la réalisation devrait permettre au continent d’atteindre le niveau de développement des autres puissances mondiales, dans les 50 prochaines années. Les fondements de cette Afrique doivent être bâtis, aujourd’hui, si nous voulons mériter la reconnaissance des générations futures.
Monsieur Youssou Ndour, à mon humble avis, là où les grands dirigeants politiques africains des années 60 et 70 et 2000 ont échoué, d’autres fils de l’Afrique d’aujourd’hui peuvent réussir l’unité du continent. C’est l’idée qui a été propulsé dans mon esprit, lorsque j’ai appris l’initiative WAN. Par la culture, tout est possible.
Youssou Ndour, WAN sera comme un Sommet de l’Union africaine, version culturelle. Car, en regardant la liste des artistes participants, j’ai remarqué que vous avez quadrillé tout le continent,toutes les zones étant représentées : Afrique de l’Ouest, Afrique du Centre, Afrique du Nord, Afrique de l’Est et Afrique du Sud. Votre quorum dépasse de loin, celui des 10 derniers Sommets de l’Union africaine tenue à Addis-Abeba.
Le WAN est suffisamment représentatif pour parler au nom des peuples africains, alors allez-y. Allez voir Macky Sall (Sénégal), Alassane Ouattara (Côte d’Ivoire), le Général Al Sissi (Égypte), Mohamed II (Maroc), Cyril Ramaphonsa (Afrique du Sud, président de l’Union africaine en exercice), Paul Kagamé (Rwanda), Andry Rajoelina (Madagascar) et tous les autres, pour les convaincre de l’urgence d’aller vite. Youssou Ndour, l’intérêt de faire porter ce projet à des non politiques, c’est que cela va oblitérer tous les calculs politiques qui pourraient plomber l’initiative.
Youssou Ndour, vous pouvez réussir ce que nos dirigeants d’hier et d’aujourd’hui n’ont jamais pu réaliser. Parce que vos invités et vous n’avez pas de préoccupations électoralistes. Voilà pourquoi, j’ai la forte conviction que l’Unité politique de l’Afrique peut jaillir de votre projet WAN.
Il faut créer un déclic dans la conscience africaine pour pousser les leaders d’opinion que vous êtes à aider les dirigeants politiques à réaliser l’Union africaine. Vous avez mobilisé les artistes de renommée internationale. Mais, j’estime que les sportifs africains, tels El Hadji Diouf (Sénégal), Didier Drogba (Côte d’Ivoire), Samuel Eto'o (Cameroun), Nwankwo Kanu (Nigéria) et leurs frères d’autres pays sont assez influents dans leur pays pour pouvoir participer à cette dynamique d’unité en Afrique. Par conséquent, il ne faudrait pas oublier le rôle important que peuvent jouer la Jeunesse et les Femmes.
Youssou Ndour, nul n’est plus grand ou très petit pour enclencher, encourager et participer à la réalisation de l’Unité africaine. «C’est l’homme qui a peur, sinon y a rien !», vous l’avait chanté. Les hommes politiques nous ont toujours fait croire que le Pouvoir, c’est eux. Or, le véritable Pouvoir est détenu par le bas peuple. Alors, bâtissons l’union par le bas, pour atteindre le sommet.
Le Covid-19 devrait, tels les rayons du soleil, éclairer la lanterne des dirigeants africains sur l’urgence d’unir le continent. Depuis le début de la pandémie, l’Afrique est le continent toujours aidé et qui n’a jamais aidé,jusque-là. Il est évident que le continent noir a tout à perdre face à cette maladie, qui compromet son avenir et celui de ses enfants. Par conséquent, Youssou Ndour, vos amis et vous,avez un rôle immense à jouer pour convaincre les dirigeants africains d’aller vite.
Youssou, ne doutez jamais de vos capacités à pouvoir réunir les dirigeants autour d’une même table, pour les amener à accélérer le processus. L’Unité africaine n’est pas l’unité des chefs d’Afrique, elle traduit plutôt l’union des peuples d’Afrique, qui doivent indiquer la voix à l’élite politique continentale.
Cette élite a échoué– ayons le courage de le dire – puisque, depuis les indépendances, elle n’a pas réussi à fonder un bloc africain pour représenter dignement le continent dans le concert des Nations. Alors, faisons confiance à la Société civile africaine, c’est-à-dire la masse citoyenne : acteurs culturels, sportifs, intellectuels, jeunesse, femmes, chefs d’entreprises, professeurs etc., pour allumer et entretenir la flamme.
Je ne le dirai jamais assez :les populations sénégalaises refusent de comprendre qu’aucun acteur politique ne pourra, seul, transformer le Sénégal pour le hisser au niveau de développement du Qatar, de Dubaï ou de la Corée. Alors, à un moment donné de la vie de notre Nation, il faut que les acteurs se retrouvent autour d’un projet commun de développement, pour la transformation qualitative du Sénégal, avec des ouvertures sur l’Afrique. Ma conviction, c’est que les programmes nationaux de développement doivent être articulés autour d’un programme africain, pour atteindre les objectifs de développement. L’Europe, l’Amérique et la Chine – avec sa population d’un milliard 300 millions –, l’ont réussi. Alors, pourquoi pas l’Afrique, avec son marché qui dépasse un milliard de consommateurs ? En 2050, la population africaine va atteindre 2 milliards 500 millions. Ça, c’est un gros marché !
De grâce, ne vous arrêtez pas à une Journée de l’Afrique. «L’Appel du 25 Mai», serait un échec, si vous vous limitez uniquement à chanter. Youssou, vous faites partie des grands dirigeants africains, ce statut honorable que certains semblent restreindre au cercle éphémère des chefs d’États élus et appelés à partir au terme de leur mandat. Le projet de l’Union africaine doit être, maintenant, l’affaire des dirigeants sans mandat électif, plus libres et sans contraintes dans leurs démarches.Il n’est pas dit que l’union de l’Afrique est exclusivement l’affaire des présidents en exercice. Toutefois, ils seront sollicités pour la ratification des Traités, car l’Union africaine introduit le renoncement à une partie de la souveraineté de nos petits États.D’ailleurs, ma certitude, c’est que cette génération de présidents africains sera disposée à accompagner cette aspiration des peuples d’Afrique.
Youssou, il faut mobiliser toutes les énergies, dans tous les coins du continent.Votre parcours d’artiste, votre influence à travers le monde vous permettront d’aider les dirigeants à franchir le pas. Plus qu’un artiste, vous êtes un leader d’opinion africain, un dirigeant qui doit inscrire son nom dans les annales de l’Afrique. Alors, pour que la Journée de l’Afrique du 25 mai 2020 ne soit pas une journée de plus, profitez-en pour convaincre les dirigeants à faire le grand bond en avant. Ce sera la seule bonne nouvelle, qui marquera à jamais l’après Covid-19, et qui ouvrira les portes d’une Afrique Nouvelle, Unie et Innovante.
Je vous présente mes condoléances suite au décès de votre grand-frère Mory Kanté.
Que la terre, lui soit légère.
Sincères sentiments panafricains…
Fait à Dakar ce 21 Mai 2020
Mamadou Mouth BANE
0 Commentaires
Participer à la Discussion