Dans la première partie de ce texte publiée le
mercredi 17 octobre 2012 par les
quotidiens « La Tribune »,
« Sud quotidien » et
« xalima.com », j’ai
indiqué un certain nombre de pistes, pour un éventuel audit des différents
personnels de l’Enseignement. Cet audit, absolument nécessaire, devrait nous permettre de nous
faire une idée du nombre d’enseignants de tous les niveaux, de savoir exactement qui ils sont, où ils
sont, ce qu’ils y font.
L’audit s’intéresserait aussi, par-delà les
personnels, aux infrastructures de l’École. Les Libéraux de l’ancienne
gouvernance étaient fascinés par le nombre. Construire des écoles en
particulier, était devenu pour eux une sorte de course poursuite. « Du temps des Socialistes, il y avait tant
de lycées, tant de collèges, tant d’écoles élémentaires. En tant d’années, nous
en avons construit le double, le triple, voire le quadruple », les
entendait-on souvent clamer sur tous les toits, en se bombant le torse. Ils
avaient même entraîné, dans ce penchant morbide pour les chiffres, la quantité,
l’ancien Ministre de l’Éducation nationale, le Pr Moustapha Sourang. Clôturant ainsi
la 4ème Revue annuelle du PDEF tenue les 19 et 20 février 2004 au
Novotel, ce dernier reconnaissait les insuffisances notées dans le domaine de
la qualité. Il déclarait notamment ceci : « la qualité (est) l’équation que
le PDEF donne l’impression de ne pas être en mesure de résoudre. Le
Ministre reconnaissait ensuite que « la délicate question des
redoublements et des abandons, particulièrement élevés (réside) au centre de
(leurs) préoccupations.»
Je n’ai fait que résumer les insuffisances et
faiblesses remarquables de la qualité de l’Enseignement que le Ministre a reconnues en la
circonstance. C’est pour remédier à cette situation d’ailleurs que la phase
2004-2010 du PDEF avait fait d’un enjeu l’amélioration de ladite qualité. Dans
une contribution, je lui rétorquais que « l’éducation (est) un
système, un ensemble cohérent, dont tous les éléments se tiennent, se
renforcent, se complètent et marchent ensemble vers la même direction. On
n’y réussit pas la quantité, puis la qualité : les deux vont ensemble,
côte à côte ».
Dans le premier jet de ce texte, je rappelais la Loi
d’orientation de l’Éducation nationale ((Loi n° 91-22 du 16 février 1991). Sa
mise en œuvre, même tardive, a donné lieu, en 2000, à un programme important :
« Le Programme décennal de l’Éducation et de la Formation (Pdef) ». Le
Pdef en particulier a injecté beaucoup d’argent dans le système éducatif
sénégalais : 4500 milliards de francs Cfa, précise le Ministre de
l’Éducation nationale, Monsieur Ibrahima Sall. En tout cas, la période
2000-2010 couverte par le Pdef, disposait d’un financement important : 400
à 430 milliards de francs Cfa.
Avec autant d’argent, les Libéraux qui ne pensaient
que chiffres, foncèrent tête baissée, dans la construction d’infrastructures (d’écoles
élémentaires, collèges, lycées), dans le recrutement et la formation
d’enseignants, dans l’achat de manuels et autres matériels pédagogiques, etc. Ce
que personne ne pouvait leur reprocher, puisqu’on notait une certaine évolution
positive des indicateurs du système éducatif sénégalais, notamment des taux
bruts de scolarisation qui étaient constamment en hausse et qui devaient
atteindre, selon les prévisions du PDEF, le cap des 80 % vers les horizons
2003-2004.
C’était donc l’euphorie chez les Libéraux qui
brandissaient fièrement leurs chiffres. Ainsi, Mamadou Diop Decroix, qui
excellait dans ce genre d’exercice affirmait, à l’occasion de la célébration du
quatrième anniversaire de l’Alternance du 19 mars 2000 : « En
quatre ans, nous avons mieux fait que les socialistes en quarante ans !
» Ils étaient fascinés par la quantité au détriment de la qualité, qui est
pourtant l’objectif ultime de toute action éducative. Ils réduisaient
finalement le système éducatif à des infrastructures physiques et en
construisaient sans tenir compte le moins du monde de certains facteurs
importants.
Les Libéraux, qui sont encore malheureusement aux
affaires pour nombre d’entre eux, ignoraient surtout deux instruments
importants : la carte scolaire et la planification. La carte scolaire en particulier
joue un rôle essentiel dans la planification à court ou à moyen terme des
ressources éducatives au niveau national, régional ou local. Elle détermine, en
tenant compte de la politique démographique et d’éducation comme des réalités
socio-économiques d’un pays, le nombre d’écoles à construire, leurs coûts, leur
superficie, la population qui les fréquente, le nombre d’enseignants qu’il
faudra former, etc.En particulier, les classes doivent être construites
prioritairement dans les localités où la demande existe, c’est-à-dire, en fin
de compte, là où on est sûr de trouver une population suffisamment nombreuse pour
les remplir au moins pendant une bonne vingtaine d’années. Leur implantation ne
se fait surtout pas au hasard des circonstances ou en fonction de
considérations politiciennes, mais en accord avec tous les partenaires que sont
les services de la carte scolaire et les différents acteurs de l’École
(inspecteurs d’enseignement, syndicats d’enseignants, associations de parents
d’élèves, élus locaux, etc). J’ai rappelé les nombreux avantages de la carte
scolaire et de la planification dans une contribution publiée par « Le Quotidien » du mercredi 26 mai
2010. Elle avait pout titre : « L’École
et les Libéraux : le fétichisme des chiffres ». Malheureusement, nos
anciens gouvernants n’avaient cure de ces avantages et construisaient les
infrastructures à la tête du client, souvent à la veille d’élections pour
s’attirer les bonnes grâces d’un porteur de voix, pour regagner la confiance d’une
localité perdue. Même quand les moyens n’existaient pas et que la demande était
loin d’être évidente, ils construisaient quand même à la hâte des collèges
d’enseignement moyen (Cem) et des lycées dits de proximité, souvent sans les
accompagnements nécessaires : eau, électricité, sanitaires, personnel
d’appui, bureaux pour les enseignants et les chefs d’établissements, etc.
Parfois, souvent d’ailleurs, on se contentait de simples abris provisoires
emportés par les premières tornades. Sur l’ensemble du territoire national, on
rencontre encore des infrastructures scolaires commencées de façon tonitruante
en 2005-2006, mais qui sont encore en chantier aujourd’hui, sans compter les
très nombreux abris provisoires en piteux états.
Souvent, après avoir construit à la hâte un collège, on
se retrouve sans professeur en octobre et on se rabat sur les tout nouveaux
bacheliers de la localité, qui attendent d’être orientés à l’Université. Il y a
vraiment de quoi s’inquiéter si on considère le niveau actuel, particulièrement
médiocre, de nos bacheliers sortis émoulus de nos lycées. Ces derniers
établissements, pour nombre d’entre eux, sont créés dans les mêmes conditions
politiciennes et clientélistes que les collèges. Souvent, sous la pression du
notable, du chef religieux ou du responsable politique du coin, le Cem est
transformé manu militari en lycée, sans autres formes de procès. Les élèves de
la ou des classes de seconde créées, « squattent » les locaux du Cem
ou des écoles élémentaires environnantes. Quand, à l’ouverture, il n’y a pas de
professeurs d’enseignement secondaire, on se rabat sur les professeurs sur
place : souvent des professeurs d’Enseignement moyen (Pem) en nombre
d’ailleurs insuffisants, à côté d’anciens bacheliers ou de cartouchards. Ces
derniers sont manifestement mal à l’aise dans tous les enseignements,
principalement dans les disciplines scientifiques.
On constate la même course effrénée vers la création
d’universités chez les Libéraux. « Les Socialistes nous ont laissé
deux universités, le pays en compte cinq aujourd’hui », clamaient-ils
partout avec fierté. En réalité, d’universités dignes de ce nom, il n’y en a
que deux au Sénégal : l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) et l’Université
Gaston Berger. Les autres ne l’étaient que de nom : c’étaient plutôt des
universités forcées, parfois virtuelles. L’« Université » de Thiès en
particulier, créée en 2005, est encore péniblement en chantier sept ans après,
malgré les efforts consentis sous la pression des étudiants.
Le tout n’est pas donc de construire des
infrastructures physiques, même en grand nombre. Il faut les équiper et y
affecter des enseignants bien formés et en nombre suffisant. En particulier,
les établissements doivent avoir à leur tête des chefs (directeurs d’écoles,
principaux, proviseurs) qui aient le profil requis et les tiennent bien main.
En d’autres termes, ils ont pour, entre autres missions, celles de s’assurer
régulièrement que leurs différents personnels font normalement leur travail. Ce
qui n’est malheureusement pas toujours le cas : nombre de chefs
d’établissements qui n’ont pas le courage d’affronter les « fortes
têtes » et les fainéants qui se contentent du minimum, se terrent prudemment
dans leurs bureaux.
C’est pourquoi, j’ai toujours posé le problème du
choix des chefs d’établissements et d’autres responsables de l’Éducation
nationale, et fait des propositions dans ce sens. L’’espace ne me permet malheureusement
pas de les développer toutes ici. Je renvoie donc le lecteur intéressé à mes
écrits antérieurs (livres et contributions).
La seule
ancienneté dans le grade et dans l’échelon ne suffit pas à faire un bon chef –
c’est le terme consacré. D’autres considérations devraient entrer en ligne de
compte : antécédents, esprit d’entreprise, capacité d’innovation, sens des
responsabilités, coefficient personnel, etc. En particulier, il ne serait pas
superflu d’envisager la constitution d’une liste d’aptitude aux fonctions de
chefs d’établissements et de directeurs de services nationaux, selon des
modalités arrêtées de façon consensuelle, par tous les acteurs concernés. Le
leadership devrait y occuper une place de choix.
Un audit profond devrait nous éclairer sur tout
cela : raisons objectives de création et d’installation d’infrastructures
scolaires dans telle ou telle autre localité, nombre d’écoles non achevées
plusieurs années après leur démarrage et les raisons de ce retard, comportement
des chefs d’établissements, etc.
L’École sénégalaise est aussi minée par deux virus :
la facilité et la tricherie. Pour ne donner que quelques exemples, le
Certificat d’Aptitude pédagogique, qui était un diplôme de référence qu’on
acquérait après plusieurs années d’efforts, d’apprentissage de son métier, va
être désormais tout bonnement donné aux instituteurs adjoints, dont l’écrasante
majorité se prélasse dans des postes sédentaires. Ce qui va conduire, en fin de
compte, à l’extinction de leur corps. L’audit profond devrait s’intéresser à
cette facilité qui, non contente d’être injuste, promeut la paresse au
détriment du mérite et de l’effort personnels. Quelles raisons surtout
ont-elles été avancées pour sa justification ? Ces raisons sont-elles
en conformité avec la réglementation en vigueur ?
L’attention des auditeurs devrait être retenue aussi
par la tricherie. Une région périphérique se distingue, depuis plusieurs
années, par des résultats scolaires qui font tiquer les spécialistes : 80
à 90, parfois 100 % aux différents examens, même à l’écrit du Cap. Aucun
facteur particulièrement favorable n’explique ces « excellents »
résultats : ni l’environnement général des établissements, ni leurs
équipements, ni la formation des enseignants. Ils porteraient plutôt la marque
du « fétichisme » des chiffres, encouragé pendant plusieurs années
par un ministre de l’Éducation nationale, ressortissant de la localité. L’École
sénégalaise a toujours connu la tricherie mais, dans cette localité-là, elle
semble dépasser toutes les bornes, dans l’indifférence totale.
Je n’insisterai pas, l’espace ne le permettant pas,
sur les milliards de francs Cfa qui sont injectés dans le système éducatif,
notamment par le budget national et par le Pdef. Avec autant de milliards, nos
élèves sont-ils mieux formés, mieux encadrés et mieux outillés ?
Travaillent-ils dans de meilleures conditions ? Quel pourcentage des
classes occupent encore les abris provisoires ? Nos inspecteurs,
proviseurs, censeurs, directeurs d’écoles et principaux de collèges sont-ils
mieux formés eux aussi pour leurs importantes tâches d’encadrement ? S’en
acquittent-ils honorablement ? Les enseignants bénéficient-ils d’une
meilleure formation, qu’elle soit initiale ou continuée ? Reçoivent-ils
plus fréquemment la visite du directeur d’école ou des inspecteurs ?
On sait aussi que, avec les compétences transférées,
les collectivités locales (régions, mairies, conseils ruraux) reçoivent
annuellement des fonds de dotation destinés aux écoles et qu’ils achètent
eux-mêmes des fournitures scolaires avec lesdites dotations. Dans quelles
conditions ces achats se font-ils ? Les autorités locales de l’Éducation,
les syndicats d’enseignants et les associations de parents d’élèves y sont-ils
associés ? Quelle est la part des surfacturations dans ces achats ? La lumière doit être faite sur tout cela. Elle
doit l’être surtout les milliards du Pdef, qui ont été gérés pendant plusieurs
années par un certain Directeur général de l’Administration et de l’Équipement
(Dage), connu pour n’avoir jamais été un modèle de bonne gestion. Chaque année,
des millions de manuels et de matériels divers étaient annoncés pour le
bénéfice de nos établissements. Les importantes quantités annoncées sont-elles
toujours parvenues jusqu’aux bénéficiaires ? Les dotations des inspections
d’Académie comme celles des inspections départementales de l’Éducation
devraient être passées, elles aussi, à la loupe.
Il est temps de conclure. L’audit que je propose, qui
serait, de mon point de vue, plus efficace que des Assises nationales,
déposerait un rapport avec, en évidence, les plaies béantes qui gangrènent
l’École sénégalaise, et des recommandations de nature à la sortir
progressivement de la crise dans laquelle elle s’est empêtrée depuis de
nombreuses années. Le rapport serait confié à une commission technique
compétente, pluridisciplinaire et pas très encombrée, composée des ministères
et d’autres acteurs (de l’École) concernés, tous représentés au plus haut
niveau. Avec des termes de référence précis, ladite commission qui disposerait
de suffisamment de temps et d’excellentes conditions de travail, proposerait
des solutions de sortie progressive de crise. La mise en œuvre desdites solutions
qui s’imposeraient à tous, devrait exiger des mesures vigoureuses, des
sacrifices qui n’épargnent aucun acteur de l’École.
Les prétentions financières des syndicats d’enseignants
sont difficiles à satisfaire. Les moyens budgétaires ne le permettraient pas et
l’Enseignement serait surtout condamné à ne recruter plus que des volontaires
de l’Éducation et des vacataires. Ce qui est loin de garantir une bonne qualité
de l’Éducation. Pour faire avaler cette pilule amère, le Gouvernement devrait
commencer par donner lui-même l’exemple de la vraie sobriété. Aucun enseignant,
aucun fonctionnaire en général n’acceptera de se serrer la ceinture, alors que
le train de vie de l’État continue à engloutir des fonds importants. Il ne
suffirait même pas d’ailleurs de réduire ce train de vie de l’État, - ce qui
est déjà une gageure. Nos gouvernants devraient aller encore plus loin, en
faisant revenir tous les agents de l’État à l’orthodoxie. L’ancien vieux
président nous a laissé une École et, plus généralement, une Fonction publique
en lambeaux et minée pas les injustices, les incohérences et les frustrations.
Il convient de restaurer, au besoin en la réactualisant, la Loi portant Statut
général de la Fonction publique, et n’attribuer plus désormais salaires et
indemnités, qu’en fonction de critères objectifs déterminés par les textes
officiels en vigueur. Nos gouvernants actuels ont-ils le courage et la volonté
politiques nécessaires pour opérer une telle remise en cause ? Je laisse
le soin à l’avenir de répondre à cette question, toutefois sans grande
illusion.
Dakar, le 24 octobre 2012
Mody Niang,
inspecteur de l’Enseignement à la retraite, mail : [email protected]
7 Commentaires
Latyr Kamara
En Octobre, 2012 (16:33 PM)Zad
En Octobre, 2012 (18:23 PM)Gamo
En Octobre, 2012 (21:45 PM)Taalibelaaran
En Octobre, 2012 (00:58 AM)Le systeme educatif senegalais est dans l’impasse. Il faut un pilote dans l’avion sinon ... Les acteurs principaux sont plus interesses, a tort ou a raison, par la chasse aux primes et per diem. Le gouvernement n’a aucune idee de ce qu’il faut vraiment faire. Il est convenable de parler de qualite mais il faut une expertise averee pour s’attaquer a ce probleme.
Université Du Futur Africain
En Octobre, 2012 (02:41 AM)Université du Futur Africain avec des locaux jamais inutilisés pourtant nous avions des bacheliers dans la rue mais nous parle de la construction d'une université de la banlieue qui serait financée par la BM.
Une université avec des locaux disponibles (à Sébicotane) par contre un projet de nouvelle université (Diamniadio disent-ils) sans locaux ! Qu'est ce qui les intéressent ? le développement de l'enseignement supérieur ou la manne financière promise par la BM pour la construction d'une seconde université à Dakar. Va savoir ce qu'ils veulent bien à cette manne qui serait en réalité un prêt.
Où sont les syndicalistes ? les véridiques ? où tout simplement les citoyens ?
Déém Ba Jèèx
En Octobre, 2012 (08:51 AM)"Dans une réaction chimique, rien ne se crée ,rien ne se perd ,tout ce transforme", comme Lavoisier , les Enseignants de cette génération là avaient ce principe sacro-saint en bandoulière.
Maintenant , nous assistons à des "mercenaires" de l'Enseignement. Dommage.
Surtout ,pas d'Assises Nationales pour l'Ecole. C'est des millards qui ne serviront à rien. Il faut une solution politique hardie et courageuse. Remettre les enseignants devant leurs responsabilités.
Ousseynou7
En Octobre, 2012 (12:14 PM)il faut auditer et tenir des assises
merci toutefois de la contribution
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