
Comme dans beaucoup de pays francophones d’Afrique de l’ouest, le Sénégal a une population dont la majorité ne comprend pas leur langue officielle, le français, utilisée dans l’administration, l'enseignement, les médias et le monde des affaires, les panneaux d’indication, les panneaux publicitaires, etc.
En effet d’après le rapport1 de l’OIF2, « La Francophonie dans le monde 2006-2007, éd. Nathan, Paris, mars 2007 », le Sénégal dont la population estimée alors à 11 700 000 de personnes compte :
10% de francophones réels, soit (1 170 000)
21% de francophones partiels soit (2 457 000)
Ce qui constitue véritablement un frein au développement économique du pays car figurez vous que près de 80% de la population ne comprend pas les lois, n’a pas accès à la formation (le code de la route par exemple), ne comprend pas les informations de la presse écrite, les films, les contrats, les indications, etc., car tout simplement c’est en français.
Au même moment la langue Wolof est comprise et parlée par plus de 80% de la population d’après les recensements de 20083. Elle arrive en troisième position en Gambie avec 15% de la population. Elle est aussi parlée au Mali, en Mauritanie, etc. De plus elle est citée parmi les deux langues africaines qui seraient majoritairement parlées en Afrique à la fin du siècle.
En effet, Colette Grinevald (linguiste chercheur au laboratoire dynamique du langage de l'Institut des sciences de l'homme Lyon-II) estime, dans le travail qu’elle a effectué avec UNESCO en vu de définir la vitalité des langues et leur capacité à rester encore vivante dans le futur, qu'en 2100, les langues majoritaires seraient, je cite4 « l'anglais bien sûr, l'espagnol, à cause de l'Amérique du Sud, l'arabe, puis des langues d'Asie, comme le chinois et l'hindi. Sur le continent africain, le swahili et le wolof sont en plein essor et avalent les langues de la région. »
Pourquoi continue-t-on alors à conserver le français comme seule langue officielle au Sénégal alors que le peuple dans son écrasante majorité ne le comprend pas ? Ce qui est d’ailleurs même contraire à la démocratie qui veut que tout soit fait pour l’intérêt de la majorité. C’est donc anti-démocratique de ne pas officialiser le Wolof car pratiqué par la majorité et d’officialiser uniquement le français puisqu’il est compris par une infime minorité.
Qu’est ce qui nous empêche alors d’officialiser certaines langues nationales comme le Wolof par exemple ? Et c’est pourtant légitime.
Certains me diront que c’est pour conserver la stabilité nationale. Et pourtant d’autres pays l’ont fait, c’est le cas de l’Afrique du Sud dont la constitution reconnait onze langues officielles5 (anglais, afrikaans, zoulou, xhosa, zwazi, ndebele, sesotho, setswana, xitsonga, tshivenda).
Je pense que c’est tout simplement pour protéger l’intérêt économique de la France et de sa suprématie sur nos pays. En effet par exemple avec l’ère des nouvelles technologies de l’information et de la télécommunication, la langue devient une riche matière première dès l’instant qu’elle est parlée par un très grand nombre de personnes. C’est le cas, par exemple, de l’anglais, du français, du wolof, etc. C’est d’ailleurs ce que Microsoft a compris en lançant les versions wolof et Bambara de ses outils (Windows et Office).
Par ailleurs si Microsoft vend des logiciels, Google quant à elle vend des mots. En effet Google vous donne les résultats de votre recherche en vous montrant à droite de l’interface les adresses web des entreprises ayant acheté auprès de lui les mots clés que vous avez tapés.
C’est une des raisons qui a poussé Google à lancer la traduction en wolof ainsi que dans plusieurs langues africaines de ses différents composants.
C’est aussi ce que la France a compris en mettant en place la francophonie. Plus le français est parlé à travers le monde (près de 200 millions de personnes), plus cela développe l’économie de la France car ce sont eux qui produisent, doublent et traduisent les films, les jeux, les livres, les logiciels, etc. pour les 140 millions de francophones restants.
Par exemple les arabes regardent la version arabe du film indou Vaidehi, les italiens en italien, mais les ouest africains le regardent en langue française sans trop le comprendre. Alors que la version originale du film est en langue indoue comme les films brésiliens qui passent le soir dans nos télévisions sont en langue portugaise. C’est que des français les ont tout simplement traduits en français pour le grand marché que la francophonie continue à leur assurer. Tous les peuples le font sauf les africains qui se contentent de consommer sans comprendre.
Il est important que nous, intellectuels africains, sachons que la langue du colonisateur (le français et l’anglais) nous était nécessaire le temps de mettre en place une élite dirigeante, des chercheurs et des ingénieurs pour rendre opérationnelle nos langues comme l’était le latin pour le français.
Maintenant que certaines de nos langues sont devenues aujourd’hui opérationnelles, c’est le cas par exemple du Wolof6 au Sénégal et du Swahili en Afrique de l’Est, il devient urgent de voir le français et l’anglais, comme des langues d’ouverture, et de se tourner résolument à notre objectif final. Cela consiste à donner à nos populations les moyens de se prendre elles mêmes en charge, non pas en leurs imposant une langue étrangère, mais en leurs valorisant les tiennes par l’écriture, le doublage de films et la traduction de jeux, de livres, de logiciels pour qu’elles soient aussi outillées autant que les autres peuples afin de leurs éviter demain une nouvelle colonisation qui risque de passer par les NTIC.
El hadji Mamadou Nguer
Maitre Assistant en Informatique
Université Gaston Berger Saint-Louis
Email : [email protected]
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