
Mon telephone sonna vers deux heures du matin. A l’autre bout du fil, une voix me rendit compte de la situation d’un malade, en phase terminale, que j’ai connu, il y’a juste une semaine. Il venait de s’éteindre paisiblement. Voici le lot quotidien des agents de santé ou assimilés. Cotoyer, aider, écouter et parfois annoncer à la famille la mauvaise nouvelle. Les gens ne meurent pas parce qu’ils sont malades, ils meurent simplement parce qu’ils ne sont pas soignés. Les gens ne meurent pas parce qu’ils ne sont pas soignés, ils se laissent mourir. Par dépression. Par solitude dans le dénuement. Par solitude de tout, malgré les apparences. Dans une indifférence totalement globalisante. Parce que même Dieu ne semble plus être là. Ils arrêtent. Ils abandonnent. Par fierté, parfois par grandeur, parfois par manque de solution. Ils abandonnent le combat, par pudeur, parfois par compassion pour leurs proches, parfois aussi par réalisme. Parfois pour garder leur dignité. Ils abandonnent pour ne pas en rajouter, pour arrêter la souffrance. La souffrance de soi, la souffrance des proches et des amis qui souffrent en même temps que vous. Oui, partir dignement. Après d’innombrables essais, sans résultat, sans mieux-être, sans possibilité de guérison. Ils abandonnent, après s’etre battus crânement, pour tomber, les armes à la main. Après avoir donné espoir à la famille et aux proches, sourire, faire semblant d’aller mieux. Pour leurs permettre de souffler. Esquisser le mieux-être pour masquer la douleur et sourire pour rester digne.
A un moment, les gens abandonnent. Ils arrêtent d’aller à l’hôpital. Ils arrêtent, pour ne pas pomper encore davantage les maigres ressources de ceux qui vous aiment et vous accompagnent encore, malgré leur soutien, leur amour et leur compassion. Des personnes arrêtent de se rendre à l’hôpital. Elles arrêtent et attendent la mort. Arrêter pour soulager la famille. Arrêter pour partir dignement. Sans haine et sans regret. Parce qu’en définitive, il y’a forcément de quoi avoir de la haine et des regrets. Le constat est que des générations successives de dirigeants ont manqué à leurs devoirs. Des générations de pillards de très haute voltige, de connivence avec l’oligarchie politico- affairiste, ont saigné ce pays en tout temps. L’argent qui devait aller dans l’investissement pour le Sénégal, a atterri dans la poche de cette oligarchie. Penser qu’un individu puisse détenir plus de 400 milliards dans son compte, alors qu’il n’est ni opérateur économique, ni banquier, ni financier, ni président de la république, ni footballeur professionnel, seulement parce qu’il est ami du président, il est militant du président, il est fonctionnaire haut placé et capable de vendre sa signature, relève presque d’une exception mondiale à la sénégalaise. La possession d’un seul milliard signifie la possibilité de donner la somme de 1 million par mois comme dépense et ce, pendant presque 80 ans. Entendre de simples citoyens en déclarer des centaines est tout simplement abjecte.
On aurait compris que ce soit des familles ayant accumulé sur des siècles ces fortunes, à l’image de Peugeot, Renault, l’Oréal, Lagardère, Toyota, ou Mitsubishi. Mais non. Au Sénégal, c’est simplement de simples fonctionnaires. Et ça ne gêne personne. Au contraire, ils sont adulés. Un professeur d’université, un docteur, un ingénieur, un enseignant, bref un fonctionnaire normal met presque 20 ans à construire sa maison, brique après brique. Lorsqu’il a fini de la construire, il ne lui reste même plus beaucoup de temps pour en profiter. Un colonel des douanes, un politicien véreux, un proche du président, un parent du président, un DG de l’artp, un DG de l’Apix, le fait en un mois. Des passe-droits, des discriminations entre sénégalais qui ne reposent sur aucun critère rationnel. Voici le Sénégal. Voici ce que nous sommes devenus. Des familles entières obligées de se coltiner un repas par jour, de se débrouiller pour manger, de se débrouiller pour que leurs enfants aillent à l’école, des pères de famille qui, après une retraite bien méritée, après avoir investi pleinement dans leur progéniture, constate que cela n’a servi à rien. Parce que simplement, depuis l’aube des indépendances, le Sénégal est dirigé par des roi- présidents, dans un royaume – république, et ou tous ceux qui ne soient pas avec vous, sont considérés comme « gnou tékiwoul dara ».
Pourquoi au Sénégal avons-nous toujours des abris provisoires, alors que des individus trimballent plus de 400 milliards dans leur compte. Environ 05 milliards sont dépensés pour une cohorte de 1000 personnes à dialyser. Mais à coté, 1500 personnes attendent pour des rendez-vous dans le public, à défaut de ne pouvoir le faire dans le privé. La moitié ne survivra pas. Elle mourra dans le silence, dans la douleur, mais dans la dignité. Parce qu’elle n’intéresse personne. C’est le bas peuple, c’est le peuple de tous les temps, c’est le peuple qui ne compte pas. Le peuple qui meurt à cause d’un rhum, du palu, du diabète, de la prostate, de la maladie rénale. Parce que l’argent qui devait servir à investir dans les hôpitaux, dans les centres de santé, dans la prévention, est entré dans les poches de politiciens et de fonctionnaires véreux. De simples particuliers. C’est une honte pour le Sénégal et les sénégalais, de remarquer que de simples personnes drainent des milliards, qu’elles ne peuvent jamais justifier par le mérite, alors que nos enfants sont toujours dans des abris provisoires, nos campagnes ne bénéficient d’aucune infrastructures dignes de ce nom, et que parfois il faille simplement parcourir des kilomètres pour se soigner. Avec la douleur et la souffrance que l’on connait. Mais ou étions-nous ?
Pourquoi avons-nous autant de difficultés avec les machines à dialyse ou la radio chimiothérapie pour les cancéreux ? Quelqu’un peut-il me dire pourquoi la dialyse coute si chère au Sénégal ? Quelqu’un peut-il me dire pourquoi il y’en a pas dans toutes les régions, départements et communes, compte même tenu, de la pyramide sanitaire ? Mais c’est quoi une machine à dialyser ? Dans le monde d’aujourd’hui, peut-il exister une solution informatique si difficile à acheter. Ou y’a-t-il simplement une mafia de fournisseurs de matériels médicaux, en collaboration avec les élites sanitaires, qui empêche de fouiner. Mais qu’est ce qui se passe au Sénégal pour qu’on ne puisse même plus s’interroger sur nos rapports avec la vie, la maladie et la mort. Dans toute société, l’idéologie dominante reflète toujours celle de la classe dominante et dans la théorie marxiste, à force de vouloir toujours se hisser vers le haut (classe bourgeoise), les masses populaires deviennent des hommes unidimensionnels, uniquement obnubilés par la société de consommation, le marché, les apparats et les apparences. L’individu perd progressivement ses tendances réactionnaires, et pires, ses facultés de discernement et de priorisation des besoins en famille et en société. Tout ce qui faisait alors traditionnellement le socle de la société, des valeurs, des traits culturels s’effondrent, laissant le champ libre à la mondialisation, à la globalisation et à l’intrusion sournoise de l’athéisme et de la banalisation de comportements sociaux déviants.
L’émotion prend alors le dessus sur la raison, l’analphabétisme (pire ennemi) prend le dessus sur l’instruction et l’éducation, l’obscurantisme sur la rationalité, le feeling à la place du « refleshing », la bêtise sur la raison. Apparait alors progressivement un type de sénégalais totalement désynchronisé, désincarné, sans prise sur la réalité et les enjeux du monde. Un sénégalais qui croit que le soleil se lève à l’est et se couche à l’ouest, un sénégalais qui croit que Dieu est sénégalais, un sénégalais qui croit que la vie est un hasard. Bref le type de sénégalais qui n’existait pas avant. La société de pudeur se transforme en société d’évitement pour tous ceux qui encore, aujourd’hui, veulent garder leur dignité. Ce sont eux qu’on frôle ou côtoie sans s’en rendre compte. Parce qu’ils baissent le regard pour ne pas laisser apparaitre leur angoisse et leur tristesse. Par dignité, ils sourient pour ne pas pleurer. Par dignité, ils restent à leur place pour masquer l’immense néant qui les sépare des autres. Par dignité, ils se démarquent des rangs, pour marcher seul, pour marcher droit. Mais pour marcher quand même. Par dignité, ils ferment leur cœur qui n’est plus désormais qu’un immense vide sidéral. Voici le Sénégal. Voici ce que nous sommes devenus. Les gens ne meurent pas parce qu’ils sont malades, ils meurent simplement parce qu’ils ne sont pas soignés. Les gens ne meurent pas parce qu’ils ne sont pas soignés, ils se laissent mourir. Pour l’honneur et la dignité. Dans un monde, ou vivre c’est posséder et où la pauvreté est devenue un délit.
Aly Khoudia Diaw Socio- Anthropologue
18 Commentaires
Milk
il y a 3 heures (21:06 PM)Nos médecins sont devenus des commerçants,ils ne s'intéressent qu'aux malades nantis ,les appauvrissement avant de ne plus Sénégal occuper.
La honte!
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il y a 2 heures (21:58 PM)Jen
il y a 3 heures (21:47 PM)M. DIAW à fait une observation participative de la société sénégalaise. Oui, certains se laissent mourrir car l'accès aux soins devient inaccessible. Par dignité, par pudeur, par le regard de la société, certains attendent la mort.
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il y a 2 heures (22:40 PM)Les institutions créées au lendemain des indépendances se chargent d’extraire la richesse des populations laborieuses et des entreprises pour se les accaparer grâce au poste occupé ou sous le manteau de serviteurs de l’état en charge de services publics.
Depuis la Douane lorsque vous importez vos matériels pour créer une entreprise et des emplois jusqu’au fonctionnaire des impôts qui taxe les maigres bénéfices que vous avez pu réaliser difficilement voire les pertes que vous n’avez pas pu éviter, toute la chaîne de fonctionnaires s’enrichit telle la pyramide de Ponzi avec comme un citron pressé, le pauvre contribuable qui supporte tout le monde. Qui prend le risque si ce n’est l’entrepreneur et son entreprise ? La doctrine d’une administration maître du destin d’un pays uniquement avec la signature et le cachet est à l’origine du faible développement de ce pays et plus généralement des pays francophones. L’initiative personnelle est négligée, alors que le larbinisme est récompensé. Voilà où cela nous a mène aujourd’hui. Des lendemains incertains et de la pauvreté partout. Des richesses soudaines et sans cause, une défiance majeure du sénégalais vis-à-vis de l’administration et des politiciens, les vampires diaboliques de la société. Que Dieu nous vienne en aide. Merci Professeur pour ce coup de gueule et cette indignation solidaire et amplement justifiée.
Azer
il y a 1 heure (23:16 PM)Tu es pauvres ils te tuent
Nos hôpitaux son des mourroirs à l'image de la société senegalaise.
On est foutu
C'est paradoxal. Devant la pauvreté d'une bonne partie des sénégalais, il y'a des individus qui sont extrêmement riches. C'est scandaleux !
C'est la réalité. Les soins de santé, les analyses médicales ou biologiques et les scanners sont très chers. Les sénégalais moyens peinent à se soigner.
Les plus riches préfèrent, eux, aller se soigner à l'étranger.
On nous dit que partout dans le monde, c'est comme cela.
Réflexion D'un Jeune Sénégalai
il y a 21 minutes (23:57 PM)Participer à la Discussion