Extraire clairement les recommandations des messages diplomatiques du FMI n’est pas toujours facile pour le citoyen lambda car l’institution évite de froisser les autorités et les populations. Déceler un dénominateur commun entre les situations et ambitions de deux pays aussi différents que le Sénégal et le Rwanda n’est pas non plus un exercice facile. Néanmoins, essayer de le faire peut être utile aux sénégalais dans le contexte des visites de la Directrice Générale du FMI dans ces deux pays.
Au-delà du langage diplomatique, un des messages du FMI au Rwanda, pays envié en Afrique pour son taux de croissance de 7% et sa place dans le classement Doing Business (46ieme) est celui–ci. Votre taux de croissance ne sera pas soutenable s’il continue de dépendre en partie d’un niveau d’aide extérieure qui ne va pas continuer (40% du budget du Rwanda est financé par l’aide publique qui est projetée en baisse). Le secteur privé doit prendre le relais de la croissance, et l’état va devoir compenser l’aide extérieure avec des recettes fiscales pour continuer à financer les investissements dans les secteurs sociaux comme il le fait si bien. La pression fiscale n’est que de 15% du PIB comparée à 20% dans d’autres pays à faible revenu.
L’intégration régionale et la libéralisation du commerce sont une bonne chose car elles peuvent accroître les possibilités d’exportations sous régionales, mais l’union monétaire envisagée en Afrique de l’Est avec la contrainte de taux de régime de change qu’elle contiendra, peut-être pas. Heureusement que ce n’est prévu qu’en 2024, entre temps, faire la convergence macroéconomique ne peut être que bénéfique et nous vous y encourageons. Dans ce contexte, le maintien de la flexibilité de votre propre taux de change est une bonne chose. Cette flexibilité aidera la transformation de votre économie par des exportations plus variées ainsi que la réduction du déficit de votre commerce extérieur (18% du PIB) que l’aide ne pourra bientôt plus financer.
Pour accompagner votre transition démographique, la croissance va devoir être tirée par le secteur non-agricole bien que la majorité de votre main d’œuvre vive de l’agriculture, population que vous avez bien aidée par ailleurs sur le plan social. Cela peut paraître contre intuitif mais la productivité dans l’agriculture devra permettre de réduire sa taille dans l’économie et sa main d’œuvre va devoir être absorbée ailleurs dans une économie plus diversifiée. Là encore, la flexibilité de votre taux de change vous aidera de même que le financement des PMEs par un secteur financier dont la profondeur de seulement 22% va devoir augmenter. Là encore, maintenir la flexibilité de votre taux de change et un marché financier plus actif qui l’accompagne vous aideront.
Le parallèle avec le Sénégal est vite fait. L’état que nous avons ne pourra pas faire le développement et les ambitions d’investissements plus élevés à financer par des bailleurs, des partenariats publics-privés, et l’endettement extérieur doivent être revues à la baisse. Nous avons déjà le niveau de pression fiscale que le Rwanda voudrait, mais nous n’avons pas sa croissance car il s’agit d’autant de ressources soustraites du secteur privé qui en aurait certainement fait meilleur usage. Si seulement nous pouvions le leur retourner sous forme de dépenses sociales plus efficaces, ça les soulagerait. Evitons aussi de présenter au parlement des projections de recettes fiscales que nous n’atteignons souvent pas car la régulation des dépenses et les lois rectificatives pour se caler aux recettes effectives sont préjudiciables à la visibilité de la politique budgétaire et au secteur privé, y compris bancaire.
Il nous faut réduire le rôle de l’état, simplifier la réglementation, libéraliser les prix tels que ceux de l’électricité inefficacement subventionnés, et nous focaliser sur des réformes structurelles d’envergure pour aider le secteur privé. Des réformes structurelles pro secteur privé qui devront être plus approfondies qu’au Rwanda car nous sommes embourbés (comme la Grèce) dans une union monétaire et n’avons pas le taux de change pour nous aider dans notre transformation structurelle.
En ce qui concerne le Plan Sénégal Emergent, en langage clair, c’est une bonne opportunité dans la mesure où c’est un slogan soutenu au plus haut sommet de l’Etat. Cependant, puisqu’on peut tout y mettre, il va falloir lui donner un contenu complémentaire pour réussir une transformation structurelle car les actions envisagées ne produiront pas les résultats escomptés, notamment en ce qui concerne les sources de la croissance. Les rapports du staff du FMI l’ont démontré à suffisance.
En somme, sénégalais et autorités sénégalaises, le Rwanda a une vulnérabilité que nous ne devrions pas souhaiter et une efficacité dans les dépenses sociales que nous devrions émuler. Le Rwanda doit mobiliser des recettes fiscales que nous avons déjà, mais pour continuer à croître à 7% (notre ambition), il doit faire autre chose que ce qu’il fait actuellement et que nous voulons faire (dépendre davantage de l’extérieur pour atteindre 7% de croissance et miser sur l’agriculture). Faire autre chose, c’est réduire le rôle de l’état et encourager le secteur privé et ne financer des projets d’envergure de l’état qu’après mûre réflexion car notre niveau d’endettement est déjà élevé; en plus, nous le devons principalement à des étrangers, une situation que nous avons déjà vécue. Le faible niveau de la dette publique du Rwanda de 28% du PIB mais essentiellement extérieure ne doit pas atteindre celui du Sénégal (50% du PIB) en le restant. La flexibilité de son taux de change rendrait une dette en devise étrangère indésirable. Nous avons déjà ce problème de composition de notre dette, inversons la tendance, et surtout ne l’augmentons pas.
Malheureusement, le Sénégal ne pourra pas atteindre le taux de croissance du Rwanda dans un avenir proche, s’il n’a pas son régime de change. De notre point de vue, les deux pays n’atteindront ou ne maintiendront pas un taux de croissance de 7% si la profondeur de leur secteur financier reste autour de 30% du PIB.
Une flexibilité du taux de change au Sénégal et le changement de composition de sa dette publique d’une dette extérieure vers une dette davantage domestique approfondiraient le marché financier et accompagneraient la transformation structurelle tant souhaitée. Cette flexibilité propre lui étant impossible, seul un concours de circonstance comme la chute récente de l’euro, un événement tout à fait fortuit, aidera Sénégal sur cette voie. Il faut donc profiter de la baisse de l’euro qui contribuera à booster la croissance et l’inflation au Sénégal aussi, continuer à réduire le déficit budgétaire, et changer la composition du stock de la dette avant de militer pour le décrochage du taux de change. En attendant, il faudra essayer d’améliorer la qualité de la dépense en la décentralisant au niveau local et davantage impliquer les élus locaux.
Dr. Abdourahmane Sarr
Centre d’Etudes pour le Financement du Développement Local
16 Commentaires
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En Janvier, 2015 (14:45 PM)Manga Ndour
En Janvier, 2015 (14:54 PM)Ces conditions assez contradictoires sont-elles réalisables ?
Libs
En Janvier, 2015 (14:58 PM)Ya
En Janvier, 2015 (16:04 PM)Pharoah
En Janvier, 2015 (16:39 PM)Mody
En Janvier, 2015 (17:07 PM)La réalité est que les pays africains francophones sont les plus pauvres parmi les pays sous developpes. Nous avons en commun un f cfa qui rend nos exportations non competitives, des secteurs financiers dominés par des banques étrangères et qui financent peu, un secteur des mines et des produits agricoles qui favorisent l exportation des matières premières non transformees.
En resume nos économies souffrent du néo colonialisme sous sa pire forme qui est la francafrique.
Au lieu d'intégrer les institutions de Breton Woods, nos jeunes économistes doivent servir en Afrique et promouvoir des voies pour une prospérité pour les africains et par les africains.
Ardojeeri
En Janvier, 2015 (17:28 PM)Vous préconisez la libération du secteur de l'énergie, surtout l'électricité qui est subventionnée par l'Etat. Vous oubliez que le prix de l'électricité au Sénégal est l'un des plus chers au monde. L'Etat taxe les produits pétroliers qui font fonctionner les turbines de la Sénélec et les produits pétroliers constituent la majeur partie des combustibles utilisés. Le jour où le Sénégal exploitera son pétrole qu'il vient de découvrir, on pourra éventuellement libéraliser le secteur de l'énergie. Mais si on le fait avant, les PME vont disparaître et les particuliers s'appauvriront davantage. Comme vous les savez, l'énergie est la clé du développement. Tout le monde est d'accord que la Sénélec est un gouffre financier et que ses dirigeants sont foncièrement incompétents, mais de là à la privatiser alors que le Sénégal n'a pas encore exploité son pétrole où à la rigueur trouvé une autre source d'énergie, c'est nous mettre le couteau à la gorge.
Modousa
En Janvier, 2015 (18:14 PM)Si je prends le cas du Sénégal, ouff, j'agrée la démission politique du PSE, seulement, son portable au niveau sectoriel est trés caractéristique. C'est pourquoi, j'estime que les pays comme le Sénégal, devrait imposer un système économique basé sur les innovations avec un important volet de transfert pour briser la vanne qui existe entre l'europe, l'asie. La croissance du Sénégal contrairement au Rwanda trouve un créneau dans cette voix avec évidemment un secteur privé national comme étranger viable.
Merci Mr SARR, mais vous avez développé un aspect fort important et relatif aux équation budgétaires dans nos pays et le lien avec la croissance. Demain, je suggère un argumentaire sur les investissements et la croissance et le cas du Sénégal peut être discuté d'autant que sur le pan politique même le standard poor nous donnerai la meilleure note
Cccca
En Janvier, 2015 (18:16 PM)Laclasse
En Janvier, 2015 (20:30 PM)Par contre, les pays africains de la zone franc comme le Senegal n’ont pas beaucoup d’opportunités pour accroitre leurs exportations du fait de leur capacite limitee. De plus, la baisse de l’euro affecte les pays de la zone CFAcmme le Senegal qui est fortement dependant des importations de denrees de première nécessite facturees le plus souvant en dollars; entrainant ainsi une hausse des prix.
Au finish, les effets positives escomptes de la baisse de l’euro pour nos pays Senegal restent plutot discutables.
On a different note Abdou, drop the “Dr.”. It is a bit snobbish!!!
Laclasse
En Janvier, 2015 (21:11 PM)Lucide!
En Janvier, 2015 (23:02 PM)Par contre j'ai aime lire les commentaires des uns et des autres et chui tout a fait daccord que liberaliser le secteur de l'energie est une partie de la solution mais eliminer les subventions je ne pense pas que ce soit la solution, le peuple souffre deja assez. De plus si la dette publique devrait etre plus financer par les locaux que par l'exterieur (ce qui est une bonne idee) il faudrait expliquer comment arriver a ce point.
Aussi je suggere Mr Sarr que quand vous prenez la peine d'ecrire un article soyez plus interactif, lisez les commentaires et repondez du tac au tac pour qu'il y ait un debat contradictoire et fera avancer tout le monde, y compris vous.
Je salue votre effort.
Papi
En Janvier, 2015 (23:25 PM)Sans une monniae souveraine,l'etat n'a aucun levier pour influer sur le Credit Interieur,l'Inflation et l'investissement, donc l'emploi.
La facon dont on prete a un pays,c'est d'acheter des obligations (Bonds),En l'etat actule,c'est la Banque de France qui tire plus profit de tout interet genere par des emprunts en CFA.
Ce que tous les économiste occulte c'est l'apport en devise qu’aurait généré les transfers des immigres vers le Senegal. C'est plus de $2M /Jours, en devises que le trésor francais garde,parcequ'il imprime le CFA qui permet de payer ces envoies.
Mr Sarr (professeur Maths/pc)
En Janvier, 2015 (23:37 PM)Jamilo
En Janvier, 2015 (03:40 AM)Doff
En Février, 2015 (03:20 AM)Participer à la Discussion