
(Contribution du Pr. Arona Coumba Ndoffene Diouf, Double Major PhD
Ministre, Conseiller Spécial auprès de SEM Macky Sall)
L’agriculture sénégalaise, qui représente environ
20 % du PIB et emploie 60 % de la population active et une proportion
importante des recettes d’exportations, revêt une importance capitale pour les
perspectives de développement du Sénégal. Avec quatre
cinquièmes des ménages pauvres vivant dans les zones rurales, aucune stratégie
de réduction de la pauvreté ne peut atteindre son objectif sans accorder une
place importante au développement rural et à l’agriculture. Malgré tout, pendant 60 ans, l’évolution de la
production a été décevante. Les politiques agricoles des gouvernements successifs se sont
révélées inadéquates. Très peu d’efforts ont été consentis pour le
développement des zones rurales, encore moins l’élaboration de programmes
novateurs en vue d’étudier les questions agricoles et de mesurer les besoins
pressants en technologies nouvelles.
Comment
en sommes nous arrivés là ?
La
crise agricole du Sénégal date de l’ère coloniale. À la fin du
XIXe siècle, l’introduction de la production de masse d’arachide, de mil
et de sorgho a permis aux colons de générer beaucoup de recettes. Afin de mieux contrôler la production considérable de
l’agriculture, notamment le stockage et la vente, le Gouverneur Roger a créé de nouvelles
organisations agricoles dont les sociétés
indigènes de prévoyance (SIP) et les centres
d’expansion rurale (CER), qui entraient directement en concurrence avec la
Chambre de Commerce française. Avec la complicité des libanais, l’administration coloniale a délibérément mis en oeuvre des
mécanismes leur permettant de limiter la participation des paysans à la traite
de l’arachide. Les célèbres sociétés
commerciales telles que Buhan&Teisseire, Deves&Chaumet, Maurel&Prom
détenaient le monopole dans des secteurs comme le transport et l’octroi de
crédit, et importaient des articles comme le tissu, le riz asiatique et des
espèces utilisées pour acheter la récolte des paysans. Ce négoce générait des milliards de francs au profit
des colons qui freinaient toute tendance susceptible d’œuvrer pour la
nationalisation du commerce colonial (Amin, 1969). Plusieurs rapports ont dénoncé les pratiques déloyales
auxquelles s’étaient livrés les Libanais et certains hommes d’affaires
sénégalais dont la plupart étaient des commerçants titulaires de licences, qui
jouaient le rôle d’intermédiaire entre les sociétés commerciales et les
paysans. Le secteur agricole était le théâtre de spéculations financières pour
les colons ainsi que pour les commerçants libanais « intermédiaires » corrompus.
Le résultat était désastreux et ce fut le début
de l’effondrement de l’agriculture au Sénégal, qui depuis, n’est jamais revenu
à la normale.
Les gouvernements
successifs post-independence : Une série d’échecs de programmes agricoles
défaillants
Au
début des années 60, le premier Président sénégalais, Léopold Sédar
Senghor mit sur pied les centres d’expansion rurale polyvalents (CERP) pour
réguler les services et la production des cultivateurs. Ensuite, il créa un
nouveau bureau nommé office pour la commercialisation de
l’agriculture (OCA) qui était chargé de coordonner la production et la
commercialisation des produits agricoles soutenu par une autre structure appelée centre régional d’assistance au
développement (CRAD) qui servait d’intermédiaire entre les cultivateurs et les
responsables administratifs. La Banque
nationale pour le développement du Sénégal (BNDS) fut créée en vue de
promouvoir et d’appuyer le « programme agricole » de Senghor en
octroyant aux paysans des liquidités pour acheter des semences, du matériel, et
de l’engrais. Progressivement, Senghor
supprima le système agricole colonial, mais seulement pour le remplaçer par un
autre système jumeau dont la principlae mission était l’exploitation des
paysans sénégalais.
En
1966, Senghor mit sur pied une nouvelle agence, l’Office national de
coopération et d'assistance pour le développement (ONCAD) à qui était assigné
la mission d’exécuter la double tâche de l’OCA et du CRAD. En realité, l’Oncad
n’était qu’un prolongement du système de commercialisation colonial, sa reproduction
parfaite et plus élaborée. Cette organisation était composée d’associations de
corrompus et de voleurs de la pire espèce que le Sénégal ait jamais connue dans
son histoire. C’était également un cadre idéal dans lequel les militants du
parti socialiste au pouvoir pouvaient s’enrichir. Beaucoup d’observateurs
tiennent les administrateurs PS de l’Oncad, à travers leur mode de vie,
responsables des détournements de plusieurs milliers de milliards de
francs CFA. Les conséquences ont été néfastes pour le monde rural car nos
malheureux paysans ont été obligés de convenir à des baisses répétitives des prix
de l’arachide, surtout pendant les périodes de sécheresse chronique. L’incapacité du gouvernement de Senghor à initier les
paysans au crédit sur défaillance devenait récurrente et les crédits agricoles
aboutissaient toujours à « l’effacement », dont il se servait à des
fins politiciennes. Selon la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest,
(BCEAO), en 1972, 70 % des crédits de semences et 60 % des crédits
d’équipement et d’engrais n’ont pas été remboursés. En 1973, les paysans ne sont pas parvenus à rembourser
52 % de leurs crédits de semences et 46 % des autres crédits qui leur
ont été accordés. Une étude de la Banque Mondiale a fait état
d’une baisse annuelle de la production agricole sénégalaise de 2,1 % jusqu’en 1970 et une baisse constante de
15,6 % sous le régime de Senghor. Des
experts du FMI ont avoué, dans leur Rapport annuel de 1978, que beaucoup de
réformes prises par Senghor étaient irréalistes et allaient à l’encontre des
intérêts des paysans sénégalais.
Lorsque
Diouf a accédé au pouvoir, il ne réussit pas non plus à améliorer le secteur agricole
sénégalais qui
était déjà en déclin. En 1980, Diouf dissout
l’Oncad pour le remplacer par la Sonacos, une entreprise semi-privée, qui
acquit la tache d’assurer la supervision de la campagne de commercialisation de
l’arachide en collaboration avec les coopératives agricoles. Ensuite, il mit en
place une autre structure chargée de gérer toutes les activités de
distribution : la Société nationale
d'approvisionnement du monde rural (Sonar). Le rôle de la Sonar était principalement orienté vers
le programme de crédit et la mise en place des moyens nécessaires au
financement des activités de distribution. Dans sa mise en œuvre, ce programme ne fut qu’un duplicata d’un autre
distributeur, la Société nationale d'approvisionnement en graines (Sonagraines).
Il devint extrêmement difficile d’avoir accès au
crédit et les prix des semences certifiées flambèrent. Il était
d'autant plus difficile et compliqué pour les paysans de remplir les conditions
d'obtention de crédits dont seuls les « paysans socialistes » avaient
le monopole. Les transactions retorses
devinrent rapidement routinières. La
Sonagraines se mit à vendre de plus en plus de semences à crédit aux paysans PS
dans le but de les récompenser pour leur soutien lors des élections. Le gouvernement de Diouf autorisa la Sonagraines à
vendre toutes ses semences à crédit aux paysans PS sans versement
d’acompte. Les résultats furent
catastrophiques. La moitié des crédits n’a même pas été remboursée et
la plus grande partie des semences certifiées invendues a été bradée aux
sociétés de transformation d’huile.
En
1981, dans le cadre de sa Nouvelle Politique agricole, Diouf a spécieusement
distribué des crédits de semences à chaque adulte ayant acquitté l’impôt de
capitation annuel. Les semences étaient absurdement réparties à raison de
En
1985, dans le but d’accroître l’implication du secteur privé dans la commercialisation
des récoltes, Diouf a autorisé un nombre limité d’opérateurs économiques
(Organismes privés de stockeurs), d’acheter l’arachide directement auprès des
paysans. C’était de la pure moquerie aux yeux de certains experts. Les conséquences
ne se firent pas attendre. En 1986, les prix de gros de l’arachide ont augmenté
de 60 à 90 francs le kilogramme faisant ainsi chuter les prix à
l’exportation. En 1990, suite à une subvention improvisée pour une durée de trois ans, le gouvernement établit
à 70 francs le kilogramme de l’arachide afin de le rendre plus compétitive
sur le marché international. Diouf créa encore une nouvelle structure, le Commissariat à la sécurité alimentaire (CSA),
avec comme mission de garantir des stocks d’urgences de céréales et de réguler
les prix sur le marché lorsqu’il existait une trop grande différence entre les
prix minimum et maximum conseillés. Sans moyens idoine pour lui permettre une régulation efficiente du marché,
le CSA ne fut qu’une fois de plus un autre echec de Diouf (source : Newman,
Ndoye et Sow, 1985). Devant ce désastre, Diouf, sans se lasser de ses
defaillances, mit en place le Projet autonome semencier (PAS) dans le but de soutenir
la Sonagraines. Le PAS a montré beaucoup
plus d’habilité que son aînée à recouvrer ses créances, mais, de nouveau sous
les pressions du lobby PS, elle a été obligée d’« échanger » la
totalité de son stock à crédit contre des voix électorales.
Au
début des années 90, les crédits publics de semences ont été interrompus et le
Programme agricole de Diouf complètement abandonné et remplacé par une retenue
à la source en attendant la mise en place d’un nouveau programme. En juin 1994,
l’inlassable Diouf a instauré un autre programme de développement agricole
visant à déterminer le cadre et les objectifs relatifs à la stratégie
macroéconomique proposée dans le contexte de la dévaluation du Franc CFA. Ce
document stratégique, modifié en avril 1995, a servi de point de départ à
une autre série de réformes connue sous le nom de Programme d’ajustement
structural agricole qui était appuyé par le Crédit pour l’ajustement du secteur
agricole (CASA) avec le soutien de plusieurs bailleurs, dont la Banque
mondiale, l’Agence française de développement, l’Union européenne et l’USAID. Toutes ces
réformes agricoles ont échoué tout simplement parce qu’elles n’ont pas réussi à
produire les résultats escomptés.
Des observateurs étrangers ont classé le Sénégal parmi les
pays importateurs nets de produits alimentaires qui sont constamment
bouleversés par des incertitudes extérieures ou locales. De 1985 à 1994, la
valeur totale des importations agricoles, qui comptaient pour 25 % des
importations totales de produits, est passée de 244 à 352 millions de
dollars en dehors des fluctuations régulières. Cette tendance à la hausse s’est poursuivie dans les années suivantes.
Les importations moyennes nettes
(342 millions de dollars) ont atteint, durant la période 1995-2000, une
valeur de 87 % plus élevée que celle de la période 1990-1994 et 7 %
plus élevée que la valeur extrapolée. La
valeur moyenne des importations agricoles nettes était de 86 % plus élevée
durant la période p que durant la période allant de 1990 à 1994 et de 11 %
plus élevée que la valeur extrapolée. En
outre, Diouf a instauré un droit de timbre de 3 %, ce qui fit croître le
taux moyen statutaire du total des taxes à l’importation qui avait été réduit,
jusqu’à 90 %, passant de 98 % en 1986 à 68 % (PNUD/Banque mondiale,
1992).
La seule
innovation des mesures prises par Diouf au milieu des années 90 a été de
renforcer la compétitivité des divers secteurs tout en atténuant les problèmes
survenus à l’issue de la dévaluation du franc CFA et en appuyant les
réformes déjà entamées avec les donateurs (MEFP, 1996). La seconde
séquence a encouragé la libéralisation des prix, les réformes
institutionnelles, la restructuration de certaines industries (privatisation,
etc.) afin d’obtenir plus d’efficacité dans des secteurs comme le riz, le
coton, l’arachide et l’élevage. La
réforme a également porté sur une plus grande implication des coopératives
agricoles et du secteur privé dans les activités menées jusqu’à présent par le
secteur public.
Beaucoup
d’experts d’institutions internationales attribuent l’échec du secteur agricole
sénégalais aux innombrables réformes élaborées à travers la mise en place des
gouvernements successifs de Senghor et Diouf qui n’ont pu transcender de façon scientifique la croissance de la productivité
agricole, la production alimentaire locale et la diversification de la
production et des exportations agricoles par la promotion de nouvelles cultures
et la transformation des matières premières. Un rapport de l’IDEO (Initiative de
développement et de diversification économique pour l'Ouest) explique cet echec par « l’absence de vision durable et des reformes
qui n’ont pas tenu en compte la recherche d’infrastructures rurales,
l’encadrement des paysans par l’accès aux services ruraux de base tels que le crédit en
intrants et à l’eau potable, mais surtout de l’existence de gouvernements trop
bureaucratiques y compris des conditions climatiques défavorables avec les
années successives de sécheresse aiguë.
(A suivre les
programmes agricoles de Wade et de Sall …)
Pr. Arona Coumba Ndoffene Diouf,
Double Major PhD
Ministre, Conseiller Spécial auprès
de SEM Macky Sall
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