
Nous étions des milliers, voire des millions de Sénégalais ce 14 juillet, les yeux rivés à la télé, à scruter minute par minute, l’arrivée du Président à l’hôtel des Almadies, en attente d’un discours censé être adressé à la Nation, sans position partisane, compte tenu de la situation chaotique qu’a connue le pays le 23 et 27 juin dernier.
Le Président ayant hiberné dans sa tour d’ivoire pendant trois semaines, les observateurs de la scène politique pouvaient aisément imaginer que l’invitation des élus locaux, à laquelle il a accepté de répondre, pouvait également lui servir de tribune pour revenir sur les violents évènements qui se sont récemment succédés au pays, y compris ceux qui ont ôté la vie à Malick, maçon, jeune père de famille de trois enfants aujourd’hui orphelins, unique espoir de toute une famille.
Nous attendions tous Wade avec sa « délégation très spéciale » sur un discours et un ton conciliateur et fédérateur, différent de celui qu’il nous a servi ce 14 juillet.
Les premières images que nous ont offertes les caméras braquées sur le Maître des céans étaient celles d’un homme qu’on peinait à voir. Le visage du Président, devenu Black opal, sans doute à cause de l’enferment et d’un excès de fond de teint destiné à lui procurer une meilleure mine, le regard hagard, Wade avait l’air désinvolte, dépassé par tout ce qui se jouait à ses yeux.
Une fois le micro en main, le Président a retrouvé son élément favori, le populisme. Wade est devenu moins méconnaissable par son apparence physique que par le contenu de son discours. Les propos élogieux et courtisans des nombreux intervenants qui se sont succédés à la tribune, n’ont fait que le rassurer et le revigorer dans sa position d’homme partisan dont la grandeur ne peut dépasser la dimension du PDSL décadent, un parti qui se prévaut de la violence et de la terreur sur les populations pour mieux se maintenir au pouvoir.
De tous les secteurs socio-professionnels qu’il a mentionnés dans son discours, c’est le domaine de l’emploi et de la formation des jeunes qui s’est révélé le plus catastrophique.
Depuis plus de 25 ans de lutte dans l’opposition que Wade promet de l’emploi aux jeunes, depuis plus de deux décennies que ces derniers lèvent la main à la demande de l’ancien opposant qui s’amusait ainsi à évaluer le nombre de chômeurs dans son pays, le Chef de l’Etat, champion de l’improvisation lors de ses one man show, continue toujours à tâtonner sur l’épineuse question de l’emploi et de la formation des jeunes de son pays.
Les Sénégalais qui l’ont élu le 19 mars, en majorité les jeunes, continuent encore à user leurs sandales en avalant la poussière, sous un soleil d’aplomb, à la recherche désespérée d’un premier stage ou d’un premier emploi incertain. 11 ans après son accession au pouvoir, Maître Wade continue à tenir aux jeunes les mêmes promesses d’il y a 36 ans !
La mise en place du FNJP, de l’ANEJ et de l’OFEJBAN, n’a toujours pas suscité d’espoir dans la prise en charge, l’accompagnement et l’orientation des jeunes dans leur insertion professionnelle.
Les nombreuses tergiversations et la légèreté avec laquelle le Chef de l’Etat prend des décisions aussi essentielles comme la formation et l’emploi de cette composante majoritaire de la population sans qu’elles ne soient pensées, réfléchies et évaluées, sont inquiétantes.
L’objectif de créer 100.000 emplois avec des Bac + et Bac – en recrutant des auxiliaires aides de maîtres pour les classes primaires n’a pas de sens. Cette idée farfelue vient corroborer, une fois de plus, l’échec patent de notre système éducatif où l’Etat prétend injecter plus de 40% de son budget. Il n’est dès lors pas surprenant, compte tenu de ces agissements, que le niveau des élèves soit de plus en plus en baisse et que les résultats des examens soient catastrophiques au bac.
L’objectif de l’école sénégalaise n’est pas de mettre en place un système éducatif parallèle qui génère des emplois précaires tout en maintenant les élèves dans leur condition de sous-enseignés. Les parents d’élèves doivent rester vigilants et rejeter un tel projet en soutenant les enseignants dans leurs revendications pour qu’ils soient mieux rémunérés et libérés des urgences vitales afin qu’ils puissent s’adonner entièrement à leur travail. Ces mêmes enseignants pourraient, s’ils sont payés, assurer des heures supplémentaires aux élèves dans l’aide aux devoirs après les cours.
Pour une meilleure réussite de notre système éducatif, l’Etat doit d’abord s’engager à respecter l’âge minimum de scolarisation des jeunes. Il doit prendre toutes ses dispositions et mettre en place des conditions qui permettent de ne pas exclure des élèves qui rencontrent des difficultés à suivre les cours. Ces derniers peuvent être accueillis dans des classes relais regroupant des secteurs géographiques, le temps de les aider à travailler les matières où ils éprouvent des difficultés, avant de regagner leur classe d’origine.
L’éducation, notamment l’enseignement, ne s’improvise pas et ne doit en aucun cas être bidouillé dans le seul but de satisfaire d’éternelles promesses à l’approche des élections électorales. Il y a un grand fossé entre savoir et savoir transmettre le savoir que seul un Etat généreux et responsable, soucieux de faire passer l’éducation et l’instruction de sa jeunesse en priorité, se préoccupe.
Ce projet du chef de l’Etat serait d’autant plus injuste que la plupart des hommes et femmes politiques qui nous gouvernent ont leurs enfants à l’extérieur ou dans des écoles privées catholiques au Sénégal.
D’autre part, l’idée de Maître Wade d’« utiliser des milliers de jeunes » dans la construction d’habitations ne règle en rien le problème de l’emploi pour les jeunes ni celui de l’habitat pour les populations. Le problème de l’habitat au Sénégal est essentiellement dû à la spéculation foncière qui ne permet pas à un jeune couple à revenus modestes d’accéder à la location à plus forte raison à la propriété.
Les difficultés que rencontrent les jeunes dans le monde de l’emploi n’en serait pas non plus résolues quand on sait qu’il y a des milliers de maçons et autres travailleurs du bâtiment qui chôment actuellement au Sénégal et que tous ces jeunes n’ont pas vocation à travailler dans ce secteur. Que deviendraient ces « incasables » lorsque la construction des bâtisses des nouveaux riches sera terminée ? N’est-ce pas, là encore, une meilleure façon d’exploiter les enfants des pauvres et de les maintenir dans leur condition sociale de classe ouvrière ? Si nous sommes d’accord qu’il y a pas de sots métiers, convenons ensemble que les secteurs que Wade réserve aux jeunes sont ceux de l’emploi précaire offre qui ne leur offre aucune opportunité de sortie de leurs conditions sociales. Qu’en est-il donc de nos jeunes et vieux diplômés chômeurs ?
Plutôt que d’imaginer et de mettre en place un système de formation en alternance qui leur permet de rester scolarisés tout en accédant au monde de l’entreprise afin qu’ils puissent avoir de nouvelles perspectives d’évolution en plus de la maîtrise d’un métier, Wade tâtonne et joue de l’avenir de ces milliers de jeunes qui l’ont élu au soir du 19 mars 2000.
Cette même jeunesse, digne et sans emploi, vit dans le noir et patauge dans la boue et les eaux usées des inondations tandis que le monument de la renaissance du Maître triomphe majestueusement. Les jeunes sont venus rappeler à Wade qu’ils refusent de s’engouffrer dans d’éternelles promesses d’un homme censé représenter la sagesse qui ne cesse de se dédire. Ma waxoon, waxeet ! Telle est la nouvelle devise de l'homme qui décide tous les jours de notre destinée et celui de nos enfants.
Dans son discours, Maître Wade feint d’ignorer que la tempête du 23 juin qui a secoué le pays émane de la force de chaque Sénégalais qui, où qu’il soit, a essayé de faire bouger les choses dans son petit microcosme. Contesté jusque dans son propre rang, son Premier ministre, finalement résigné à se « ranger derrière le gosse », n’a pas échappé aux huées de ses partisans de circonstance.
Wade ignore peut être que les petits partis insignifiants qui ont accroché leurs Wagons à sa locomotive et son parti réunis, ne peuvent, tout au plus, lui assurer que 25% des suffrages -Walaat-, de leurs familles et proche entourage, avant de le mener à la perdition.
En attendant, le combat continue.
Madame Hélène Della CHAUPIN
AFP, porte-parole de Benno Siggil Sénégal/France
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