[ CONTRIBUTION ] Les dérives de la polygamie au Sénégal : l’urgence d’une réglementation.

Au Sénégal il est fréquent de rencontrer un homme marié, en situation très précaire, se permette d’épouser une nouvelle épouse sans tenir compte de l’avenir des enfants qu’il a avec la première épouse. Le plus souvent  la seule réponse qu’ils ont pour justifier leur acte est « l’Islam me permet d’épouser  jusqu’à quatre femmes ». Certains n’ayant pas assuré le minimum vital à leur femme et enfants, vivant parfois dans une seule chambre en location, les abandonne pour épouser une seconde épouse. D’autres se permettent d’abriter leurs épouses dans  une seule maison, sans jamais se préoccuper de ce qui leurs arriveraient à la mort.  

Cette seconde situation a plusieurs conséquences. Elle engendre  le plus souvent une jalousie entre coépouses  qui se manifeste par des bagarres rangées, des naissances volontairement rapprochées pour avoir une bonne part dans l’héritage, des  maraboutages, etc.  Conscientes que cette maison n’est pas la leur et qu’il y’a de forte chance de la quitter au décès de l’époux, les épouses ne participent pas à sa bonne marche.  Les enfants limités et maraboutés ne sont pas épanouis psychologiquement, ce qui influe négativement sur leurs études.

Ces comportements récurrents ont causé et continuent de causer d’énormes catastrophes dans notre société.  Beaucoup de jeunes en ont fait les frais.  Au décès de leur père, ils se retrouvent dans la rue avec leur mère, frères et sœurs parce que leur maison est vendue pour les besoins de l’héritage.  Alors l’ainé se retrouve obliger, le plus souvent, de reloger et nourrir sa mère ainsi que ses frères et sœurs maternels en plus de sa propre famille. Ce qui crée un appauvrissement cyclique.

Comme ces deux pères de famille, beaucoup de sénégalais se permettent de  prendre plusieurs épouses sans que leurs  moyens ne le leur permettent, donnent plus de priorité à la polygamie plutôt qu’à un bon avenir pour leurs enfants.  Et le problème c’est qu’ils disent se fonder sur l’Islam.

Voyons ce qu’en dit justement l’Islam. Dans le verset 3 de la sourate 4 du Coran, Dieu dit  « Et si vous craignez de n'être pas justes envers les orphelins... Il est permis d'épouser deux, trois ou quatre, parmi les femmes qui vous plaisent, mais, si vous craignez de n'être pas justes avec celles-ci, alors une seule, ou des esclaves que vous possédez. Cela afin de ne pas faire d'injustice ». Donc le nombre de femmes est fixé à quatre. Mais quelles sont les conditions que le musulman doit remplir pour en avoir plusieurs ?  Il serait scandaleux qu’il n’y ait pas de conditions à la polygamie. Ne pas poser de conditions à la polygamie expose la famille, donc la société à des dérives. L’Islam aussi important soit il, est un système de vie complet qui vise le bien-être de l’homme ici-bas et dans l’au-delà. Quelle que soit l’interprétation que les gens peuvent faire des versets du Coran ou des Hadiths, elle doit toujours aller dans le sens du bien-être de l’être humain mais pas de son malheur.  

Voici quelques unes de ces conditions.

Ibn Qoudama dit dans al Moughni :  

« Il n’appartient pas à l’homme de rassembler deux femmes dans un seul lieu d’habitation (Maskane) sans leur accord (aux femmes) et ceci que le lieu d’habitation (Maskane) soit petit ou qu’il soit grand. Car cela peut leur porter préjudice quand il y a entre elles de l’hostilité et de la jalousie. Et leur rassemblement sera la cause d’accrochages et de luttes. Et chacune d’entre elles sera au courant de l’affection du mari lorsqu’il ira vers l’autre ou elle le verra.    
Mais si elles agréent cette situation, alors ceci est permis (c’est-à-dire le fait de les rassembler dans un seul endroit) ; car c’est un droit qu’elles ont (de réclamer un endroit chacune) et il leur appartient de s’en abstenir en le délaissant. » 1

Et ibn abi Chayba rapporte d’après ‘Oubad ibn al ‘Iwam, Ghalib qui a dit :    
« J’ai demandé à Hassan, ou, on s’est renseigné  sur le cas d’un homme qui avait deux femmes dans une maison. Il a dit : « Il détestait le « Wajss », et ceci est le fait que (le mari) soit doux avec l’une d’entre elles et que l’autre regarde ». 2

On voit ainsi  l’importance des moyens dans la polygamie. Il faut avoir les moyens de mettre chacune dans une maison à moins qu’elles souhaitent partager le même toit.

Ces paroles trouvent leur fondement aux versets 33 et 34 de la sourate 33.

«  Restez dans vos foyers; et ne vous exhibez …» S33V33

«  Et gardez dans vos mémoires ce qui, dans vos foyers, est récité des versets d'Allah et de la sagesse. Allah est Doux et Parfaitement Connaisseur. » S33V34

D’ailleurs nos chefs religieux à qui nous nous référons ne mettent pas toutes leurs épouses dans une seule et même maison.  

Quelle est la position de l’Etat dans tout ça ? Il en est conscient certes mais laisse faire pour des raisons politiques politiciennes. L'article 133 du Code de la famille du Sénégal dispose que le mariage peut être conclu :

    * soit sous le régime de la polygamie (quatre épouses maximum)
    * soit sous le régime de la limitation de la polygamie (deux ou trois épouses)
    * soit sous le régime de la monogamie.

Cependant, même sil existe bien de nombreuses dispositions dans ce Code qui exigent des conditions diverses de fonds et de forme, elles restent insuffisantes et mieux dans la pratique, ces conditions sont rarement respectées.   

Il est donc de plus en plus constaté que des musulmans vont à l'encontre des lois islamiques instituées par le Coran ainsi que le droit positif, pour la pratique de la polygamie, sans se soucier des conditions tant matérielle que morale sur la vie quotidienne des femmes et des enfants vivant dans un foyer polygame.

Sur ce, il incombe dès lors à l'Etat, garant des libertés fondamentales et des droits du citoyen, d'instituer un contrôle et une application plus stricte des lois et règlements afin de réduire les effets pernicieux sur les familles et sur la société sénégalaise.

Des conditions matérielles et morales suffisantes devraient être scrupuleusement et rigoureusement appliquées à l’époux avant de prendre plusieurs épouses car l’intérêt et le bien-être de la famille sont de loin plus importants que les siens.



 El hadji Mamadou NGUER 
Enseignant-chercheur Université Gaston-Berger 
Saint-Louis