
A chaque régime, plusieurs députés ont vu leur immunité levée dans des circonstances qui mettent en lumière des enjeux cruciaux liés à l’équilibre entre la préservation du statut des élus et l’impératif de justice. Cette étude se propose d’analyser les limites de cette immunité face aux infractions pénales, à la lumière des pratiques parlementaires, en insistant particulièrement sur les insuffisances de la procédure actuelle et les réformes nécessaires.
1. Le Cadre Juridique de l’Immunité Parlementaire
L’article 61 alinéa 2 de la Constitution du Sénégal définit l’immunité parlementaire en deux volets distincts :
L’irresponsabilité parlementaire, qui protège les députés contre toute poursuite pour les opinions ou votes émis dans l’exercice de leur fonction.
L’inviolabilité parlementaire, qui interdit l’arrestation ou la poursuite d’un député pour des faits antérieurs ou concomitants à son mandat, sauf en cas de flagrant délit ou après la levée de son immunité par l’Assemblée nationale.
La procédure de levée de l’immunité parlementaire est régie par l’article 51 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale et repose sur trois étapes fondamentales :
1. Une demande formelle émanant du ministère de la Justice ;
2. L’examen du dossier par une commission ad hoc, chargée d’analyser les éléments et de soumettre un rapport à l’Assemblée ;
3. Un vote à la majorité simple des députés pour décider de la levée ou non de l’immunité.
En théorie, cette procédure vise à garantir un équilibre entre la protection du mandat parlementaire et l’exigence de justice. Toutefois, son application suscite des réserves, notamment en raison du manque de transparence et de l’instrumentalisation politique qu’elle peut engendrer.
2. L’Absence de Dossier de Fond : Une Faille Juridique Majeure
L’un des points les plus controversés de la procédure de levée de l’immunité parlementaire au Sénégal réside dans l’absence de communication du dossier de fond aux députés appelés à statuer. Or, selon le principe juridique "actori incumbit probatio" (la charge de la preuve incombe au demandeur), toute accusation doit être étayée par des éléments concrets et accessibles aux décideurs. Cette lacune soulève plusieurs préoccupations majeures :
• Un risque d’arbitraire : Les députés sont appelés à voter sans disposer d’une appréciation objective des charges pesant sur l’élu concerné, ce qui favorise des décisions influencées par des considérations politiques.
. Une atteinte aux droits de la défense : En privant le parlementaire d’un accès aux preuves avant le vote, on compromet son droit à une défense équitable.
• Une menace pour l’indépendance de la justice : Le caractère opaque de la procédure alimente la perception d’une instrumentalisation judiciaire à des fins politiques, érodant la confiance des citoyens dans l’État de droit.
3. Perspectives : Vers une Réforme Nécessaire
1. La communication systématique du dossier de fond aux députés appelés à voter sur la levée de l’immunité, afin de garantir une décision éclairée.
2. Un encadrement plus strict des conditions de poursuite, pour éviter que la procédure ne soit utilisée comme un outil de règlement de comptes politique.
La question de l’immunité parlementaire au Sénégal mérite une réflexion approfondie et des ajustements législatifs pour éviter qu’elle ne devienne un instrument au service des rapports de force politiques. Seule une application rigoureuse et transparente de cette protection permettra de garantir à la fois l’indépendance des élus et l’égalité de tous devant la loi, pierre angulaire de toute démocratie fondée sur l’État de droit.
EL Amath THIAM,
Juriste et Président « JUSTICE SANS FRONTIERE »
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